Miles avait encore du mal à y croire, enfin pour être plus exacte, il refusait d’accepter le fait qu’Emma ait débarqué comme ça dans sa vie. Ça faisait quasiment vingt ans qu’il n’avait pas entendu parler de Jenna et encore moins de sa fille et maintenant la jeune sorcière débarquait chez lui comme un cheveu sur la soupe, sans être invitée. Et maintenant elle squattait carrément chez lui, c’était n’importe quoi. Il n’avait jamais rien voulu avoir à faire avec sa soi-disant fille, à l’époque il n’avait juste rien pu pour elle ou pour Jenna et il avait eu trop peur que cette histoire ruine ses chances de réaliser son rêve alors il avait mis tout ça derrière lui. Le retour de bâton faisait bien mal, il avait l’impression de s’être pris un gros coup de massue dans la gueule et il était partagé entre l’envie de se débarrasser de sa fille et celle d’ignorer le problème jusqu’à ce qu’il disparaisse de lui-même. En tout cas il n’avait pas encore eu le courage de virer Emma de chez lui, ce n’était pas l’envie qui lui manquait pourtant, mais il s’était arrangé pour s’éloigner de l’appartement le plus souvent possible histoire de ne pas trop la voir. S’il avait bien tout compris, ça arrangeait autant sa fille que lui alors pour l’instant c’était encore vivable. Ils ne se parlaient pas et quand Miles rentrait chez lui, Emma ne le faisait pas chier. Elle le détestait, tant mieux, comme ça il n’était pas obligé d’apprendre à la connaître. N’empêche que toute la situation était ridicule. Il n’avait pas entendu parler d’elle pendant vingt ans et d’un coup elle venait frapper à sa porte. Apparemment Jenna était morte, Miles s’en voulait un peu de ne pas être triste mais voilà, c’était la vie, et ce n’était pas comme s’ils avaient été proches. Non, lui ce qu’il retenait c’était qu’il était désormais, contre son gré, responsable d’une jeune adulte. Merde, elle ne pouvait pas se démmerder toute seule ? Elle était majeure et probablement vaccinée, elle pouvait aller vivre chez un pote ou un oncle le temps de se trouver un boulot. Miles n’était pas sûr que Jenna ait eu des frères ou des sœurs. Il l’avait probablement su à une époque, mais il l’avait oublié depuis longtemps.
Il avait conscience d’être un peu égoïste. C’était à cause de lui qu’elle était là, qu’elle était née, et lui n’avait jamais rien fait pour l’aider elle ou sa mère. N’empêche qu’il y avait bien une raison pour laquelle il n’avait jamais cherché à la contacter, et il n’appréciait pas du tout que son passé le rattrape comme ça. Il avait fait une connerie quand il était gamin, une erreur de parcours et après avoir passé vingt ans à penser qu’il n’allait pas devoir la payer, il était bien obligé d’admettre qu’il s’était fait des illusions. Il avait envie de rester toute la journée au lit – pas d’entraînement ce matin là – mais il n’arrivait pas à se rendormir. Alors un peu après dix heures il se mit à écouter les bruits dans l’appartement pour s’assurer qu’Emma n’était pas debout ou bien était partie, et il se leva à son tour. Il enfila simplement un pantalon de jogging et resta torse nu. Tant pis s’il croisait sa fille, elle pouvait déjà s’estimer heureuse qu’il ait fait l’effort d’enfiler un pantalon. Il sortit de sa chambre et fonça jusqu’à la cuisine, n’ayant aucune envie de perdre du temps et de risquer de croiser Emma. Il n’était plus libre dans sa propre maison, le comble. Il avait l’impression de devoir vivre avec une ancienne conquête constamment et ce n’était pas agréable. Il avait l’impression de devoir faire attention à ce qu’il faisait tous les jours et il détestait ça. Ce n’était encore une fois pas pour rien qu’il avait toujours vécu seul. Finalement quand il releva les yeux une fois dans la cuisine ce ne fut pas sur Emma qu’il tomba mais sur un inconnu aux cheveux bruns frisés et qui était à peu près aussi habillé que lui. Miles fronça les sourcils et s’arrêta dans son élan, restant planté bêtement au milieu de la cuisine en attendant que le jeune homme remarque sa présence. Après moins de deux secondes il perdit patience. « Qu’est-ce que tu fous ici ? » Demanda-t-il d’un ton agressif, ne se gênant pas pour le tutoyer. Il fallait dire que l’homme en question semblait avoir bien dix ans de moins que lui, et puis il était quand même chez lui. « Dégage de ma cuisine, tu veux ? » Il se rapprocha du jeune brun, prenant un air mi-menaçant mi-surpris, impatient qu’on lui explique ce qu’il se passait. Ça ne lui arrivait pas souvent de se réveiller et de découvrir des inconnus à moitié à poil dans sa cuisine. Pas des hommes en tout cas.