A toast to the socially awkward. | Viper & Eleanor

Comme tous les matins, Viper se leva en même temps que le soleil et prépara un grand café dans lequel il versa une petite quantité de lait. Le reste de la journée, il aimait son café bien noir, mais pas au réveil. Silencieux pour ne pas réveiller son colocataire - lequel allait certainement dormir jusqu'à midi par principe - il fit griller deux toasts et les grignota en lisant le journal du jour, déposé que le bord de la fenêtre par son hibou. Une fois son rituel achevé, il se prépara pour le travail et descendit les escaliers qui menaient au rez-de-chaussée. Par chance, quelques années en arrière, le propriétaire de cette boutique avait vendu les lieux et Viper avait sauté sur l'occasion d'y créer le bar dont il avait toujours rêvé, juste en bas de chez lui. Aujourd'hui, il savait que la clientèle allait être nombreuse car qui disait " sortie scolaire de Poudlard " disait aussi " sortie repos des professeurs alcooliques ". Cela ne manqua pas car avant même l'heure du déjeuner, certains membres du personnel de Poudlard avaient déjà envahi les lieux pour se détendre autour d'une bonne pinte de bière. C'est vers l'heure où Viper commença à servir des repas chaud aux tables occupées que Maverick descendit pour aller se promener, clairement réveillé depuis peu.

« Pense à reprendre du pain !
- Oui mamaaaan... »

Il soupira en laissant son ami sortir du bar, les mains dans les poches. Malgré tout, il fit un mini sourire amusé. Même s'ils avaient l'air de se chamailler comme un vieux couple, ce genre d'interaction faisait le charme de leur amitié. Préférant ne pas s'attarder plus longtemps sur le sujet, Viper se glissa à nouveau derrière le bar et se mit à nettoyer les verres en attendant un prochain client. Ce dernier - ou plutôt cette dernière - ne se fit pas trop longtemps désirer, puisqu'une femme que le jeune homme ne connaissait pas fit son entrée. Il la gratifia d'un hochement de tête accueillant et lui indiqua un tabouret confortable au bar, puisque toutes les tables étaient encore prises par ceux venus ici pour déjeuner. Cette inconnue dégageait quelque chose d'étrange que le barman n'arrivait pas à comprendre, mais elle lui semblait familière en un sens. Pourtant, il était certain de ne l'avoir jamais rencontrée avant aujourd'hui.

« Bonjour madame. Puis-je vous servir quelque chose ? »

Un ton professionnel, sympathique, même si Viper n'avait dans le fond rien de sociable ni sympathique. Il savait faire semblant pour la clientèle.

Après la mauvaise expérience de l’autre fois au Chaudron Baveur, Eleanor avait préféré éviter la capitale londonienne et avait décidé de se contenter de l’animation toute relative de Pré-au-Lard. Au moins ce week-end là les élèves étaient de permissions et les professeurs en avaient aussi profité pour descendre au village et se changer les idées. Eleanor avait beau être là depuis quelques semaines déjà, elle ne s’était pas rapprochée de beaucoup de monde. Il y avait bien Lily, encore qu’Eleanor préférait ne pas en parler, mais elle n’avait pas été disponible aujourd’hui. De toute façon ce n’était peut-être pas plus mal, ça lui permettrait de se détendre complètement. Elle appréciait énormément la compagnie de la jeune femme mais elle avait constamment l’impression de devoir rester sur ses gardes. Cet après-midi là elle avait laissé la majorité des habitants du château partir avant elle, préférant profiter du week-end pour dormir un peu plus tard et recharger ses batteries. Entre le stress, les cours, les corrections de devoirs et la quantité de whisky pur feu qu’elle avait fini par siroter toute seule dans son bureau la veille, elle avait eu grand besoin de sommeil supplémentaire. Quand elle partit enfin en direction du village de Pré-au-Lard, l’heure du déjeuner avait déjà sonné. Elle enfila sa cape d’hiver ainsi que son ancienne écharpe de Serdaigle avant de faire le tour des échoppes dans lesquelles elle pourrait aller se réfugier. Aucune ne la tentait vraiment mais elle finit par rentrer dans la dernière qu’elle n’avait pas encore eu l’occasion de tester. Le pub était bien rempli et elle ne tarda pas à remarquer que plus aucune table n’était libre. Elle suivit le signe que lui avait offert le barman et alla s’installer sur un tabouret au niveau du bar. Elle enleva son écharpe et offrit un sourire plus poli qu’autre chose au jeune brun debout face à elle. « Je vais vous prendre une Bièraubeurre. » Répondit-elle tout en défaisant le bouton qui retenait sa cape sur ses épaules. Elle l’accrocha à un crochet situé sous le bar avec son écharpe et commença à tapoter le bar de ses doigts. « Vous avez ouvert récemment ? Je ne me souvenais pas de cet endroit. » Demanda-t-elle pour tenter de faire la conversation. Elle était bien descendue quelques fois à Pré-au-Lard depuis son arrivée à Poudlard mais elle n’était généralement pas allée assez loin pour voir l’enseigne de Viper, et le nom du pub ne lui rappelait rien de ses années en tant qu'élève. Eleanor entendit quelqu’un l’appeler dans son dos et elle fit un signe de la main rapide à l’un de ses collègues avant de se retourner vers le bar, n’ayant pas particulièrement envie de sympathiser avec ses collègues aujourd’hui. Elle n’était pas là pour soutirer des informations à qui que ce soit, peut-être qu’elle irait les rejoindre mais plus tard. Là elle avait besoin d’une pause. « En tout cas vous avez l’air d’avoir du succès. » Ajouta-t-elle en haussant un sourcil. Elle paya sa consommation et prit une longue gorgée de sa Bièraubeurre avant de reposer le verre sur le bar.

L'Épouvantard était plein à craquer à l'heure du déjeuner, comme tous les jours. Viper ne pouvait pas s'empêcher d'être fier de la popularité de son bar dont il avait tant rêvé et pour lequel il travaillait si dur depuis deux ans. Ses efforts commençaient enfin à payer. L'arrivée de cette nouvelle cliente confirmait que malgré son emplacement un peu loin dans la rue principale, les gens pouvaient s'y retrouver par hasard. À l'époque où il espérait ouvrir son établissement, Viper n'aurait jamais pu imaginer qu'il ferait de la concurrence aux Trois Balais et à la Tête de Sanglier. Quel honneur ! Il faut dire que sa décoration était moins...rustique. Le bar était lumineux, chaleureux, avec deux âtres où crépitaient des feux bleutés et des lanternes en cristal au plafond. Ravi de cette nouvelle cliente, Viper s'attarda sur elle pour la détailler. Elle avait l'air plus âgée que lui et portait une vieille écharpe serdaigle. Il se douta assez vite qu'elle était professeur à Poudlard, même s'il ne la reconnaissait pas. Peut-être une nouvelle là-bas aussi ? En tout cas, il fut content de la voir s'asseoir face à lui au bar. Sa commande ne le surprit pas. La bièraubeurre faisait partie de ses plus grosses ventes, surtout parce qu'il utilisait une recette de sa grand-mère, différente de celle des autres pubs du coin. Elle était moins écœurante et moins sucrée. Tout était dans le dosage du beurre et de la cannelle. Un mélange parfait et unique. Il déposa le verre rempli devant la dame avec une certaine assurance, celle de ceux qui savent que leur produit va plaire. La question de l'inconnue lui fit un peu plaisir car Viper adorait parler de son bar.

« L'Épouvantard a été créé il y a deux ans, madame. C'était un atelier de poterie avant ça. Le propriétaire voulait déménager sa boutique ailleurs dans le Yorkshire. » Répondit-il calmement.

L'air détaché et professionnel de Viper n'était que façade car dans le fond il avait très envie de sourire de sa chance. Cependant, il n'était pas dans ses habitude d'avoir l'air trop joyeux ou trop avenant avec les étrangers. Déjà qu'avec ses proches il était du genre grincheux, ce n'était pas pour avoir la banane au travail. L'attention de son interlocutrice fut attirée par ce qui ressemblait fort à un collègue à une table derrière, plus loin dans la salle. Il l'observa agiter légèrement la main puis se retourner, comprenant assez bien ce que ça signifiait. Qui que soit cette cliente, elle n'avait pas envie d'être sociable apparemment et il était bien mal placé pour la juger. Entre misanthropes, il fallait bien se serrer un minimum les coudes. Toujours parfaitement calme, Viper attrapa un verre propre sortant tout juste de l'évier enchanté qui lavait tout par lui-même. Il se saisit d'un torchon propre avec son autre main et se mit à essuyer l'objet soigneusement. Ces verres étaient en verre très fin et de qualité supérieure, il y tenait beaucoup. Il avait mis ses économies dans de la vaisselle chère et raffinée alors il fallait en prendre soin. Une fois encore, la cliente s'adressa à lui, faisant naitre une nouvelle vague de fierté dans son cœur.

« Oui madame, principalement grâce au bouche-à-oreille. Les clients savent que l'endroit est plus calme que les Trois Balais et la Tête de Sanglier. Les élèves vont rarement jusqu'ici, nous sommes trop éloignés de l'entrée du village. » Précisa-t-il.

À l'ouverture du bar, cet éloignement de l'agitation l'avait inquiété. Il avait cru que personne ne viendrait jusque là. Le hasard lui avait montré le contraire. Chaque client sortant de l'établissement avec le sourire était une chance de voir arriver prochainement ses amis et collègues.

Eleanor hocha la tête devant la réponse du jeune brun, savourant sa première gorgée de Biéraubeurre, un air satisfait mais surpris au visage. Elle ne put s’empêcher d’examiner la chope, comme pour vérifier qu’il lui avait bien servi ce qu’elle avait commandé et que le conteneur n’était pas enchanté. De toute évidence tout était en ordre, mais c’était sans doute la meilleure Bièraubeurre qu’elle avait jamais goûté, et sans vouloir trop s’étendre sur le sujet, elle en avait goûté un certain nombre… Elle reprit aussitôt une deuxième longue gorgée et laissa échapper un petit soupir appréciateur. Elle aurait sans doute dû commencer à fréquenter cet établissement plus tôt, quand elle pensait qu’elle était retournée jusqu’à Londres il y a quelques semaines parce qu’elle n’avait pas voulu s’abaisser à aller boire aux trois balais… Elle regrettait à présent un peu de ne pas avoir laissé une deuxième chance aux bars de Pré-au-Lard. Au moins maintenant elle savait que ce pub existait et ça lui éviterait les transplanages jusqu’à Londres ainsi que les rencontres… déplaisantes qu’elle pouvait y faire. « Pas d’élèves ? » Répéta-t-elle d’un ton légèrement amusé avant de se retourner pour observer la clientèle éparpillée dans la salle. Le propriétaire avait raison, la salle n’était pas bondée mais elle était tout de même bien remplie et Eleanor ne reconnaissait que des collègues du château, aucun élève. Elle se tourna à nouveau vers Viper et ajouta : « Je comprends maintenant mieux pourquoi tous mes collègues sont venus se réfugier ici plutôt qu’ailleurs. » S’ils étaient comme elle ils devaient être bien contents de pouvoir sortir du château mais quand même d’éviter de croiser leurs élèves, surtout s’ils comptaient consommer de l’alcool. Eleanor n’était pas là depuis longtemps mais elle avait déjà eu l’occasion de croiser un Hagrid particulièrement éméché rentrant jusqu’à sa cabane le soir et ce n’était pas un très bon exemple à donner aux élèves. C’était d’ailleurs pour ça qu’elle préférait généralement boire tranquillement dans son bureau, à l’abri des témoins. Ce n’était peut-être pas glorieux mais c’était mieux que de se donner en spectacle alors qu’elle tenait à peine debout. « J’imagine qu’ils viennent aussi pour la Bièraubeurre. » Compléta-t-elle en levant sa chope. Elle reprit d’ailleurs une gorgée de sa boisson et passa sa langue sur ses lèvres pour les essuyer. « Ce n’est pas la recette traditionnelle, si ? » Demanda-t-elle, l’air sincèrement curieuse. « Ne le prenez pas mal, au contraire, je préfère la votre. » Ajouta-t-elle un peu subitement en se rendant compte que sa question pourrait être mal interprétée. Elle n’était pas non plus spécialiste en Bièraubeurre – préférant le whisky pur feu quand elle en avait l’occasion et surtout quand elle ne revenait pas d’une gueule de bois un peu trop récente – mais elle était quand même capable de sentir une nette différence par rapport à celle qu’elle avait bu boire aux trois balais ou même au chaudron baveur. Elle n’était pas sûre d’avoir un palais assez sophistiqué pour déterminer ce qui la rendait plus plaisante, mais elle était certaine de la trouver meilleure.

Un bref amusement passa sur le visage de Viper au moment où sa cliente fut retournée pour observer la salle. Même lorsqu'il était lui-même élève, le jeune homme n'aimait pas les autres élèves, encore mois dans Pré-au-Lard, tous surexcités à l'idée d'acheter des kilos de bonbons et d'aller se flanquer la frousse dans une maison hantée pas très hantée. Il avait toujours trouvé ces activités absolument stupide et avait passé le plus clair de son temps à se moquer d'eux en compagnie de Maverick. Il ne voulait donc même pas imaginer ce que c'était pour les professeurs de passer tous les jours de la semaine entourés de ces gamins insupportables et devoir se les coltiner aussi le weekend quand ils avaient juste envie de boire un verre pour décompresser. Quel enfer. Naturellement, tout amusement quitta son visage quand la dame ramena son regard vers lui. Il ne voulait pas qu'elle pense qu'il se moquait d'elle, au contraire, il comprenait son ressenti. D'ailleurs, ses paroles confirmèrent ce qu'il pensait et il ne se fit pas prier pour hoche la tête.

« Vous avez tous fait le bon choix de venir ici. En même temps je serais un bien mauvais propriétaire de bar si je prétendais le contraire. »

L'honnêteté avait tendance à payer, surtout avec le genre de personne qui lui faisait face. Cette inconnue lui semblait plutôt franche et brute de décoffrage. Tout ce qu'il respectait chez une personne, clairement. Il avait presque envie de lui demander son nom, mais il ne voulait pas paraitre envahissant. Les barmans trop familiers et curieux n'étaient pas vraiment appréciés par tout le monde et ce n'était de toute façon pas son genre de poser des questions personnelles aux gens. Viper était plutôt le genre de personne à s'en foutre. Une vague de fierté le fit bomber un peu le torse en voyant la cliente boire sa bièraubeurre avec autant de gourmandise et faire des commentaires dessus. C'était toujours une valeur sûre cette recette. Il aurait aimé pouvoir remercier sa grand-mère pour ça si elle était encore de ce monde.

« Je ne le prend pas mal du tout. Vous avez un palais raffiné. Vous avez raison, cette recette est unique, elle se transmet uniquement dans ma famille. Elle a été inventée par ma grand-mère paternelle. C'est un peu la marque de fabrique de la maison. Je suis ravi qu'elle vous plaise. »

Et ravi, il l'était vraiment. Voir son rêve se concrétiser et recevoir des compliments pour son travail était tellement gratifiant. C'était pour ces instants que Viper se levait tous les matins. Et aussi peut-être un peu pour ne pas ressembler à son colocataire...

La remarque de Viper la fit sourire. Effectivement il n’aurait pas été un très bon propriétaire s’il avait pensé que ses clients auraient mieux fait d’aller voir ailleurs, et de toute évidence il ressentait une certaine fierté à avoir ouvert cet endroit. Vu sa réaction, il était aussi fier de la recette de Bièraubeurre qu’il utilisait ici et Eleanor dissimula un léger sourire moqueur derrière sa propre chope en le voyant bomber le torse. Un palais raffiné ? Eleanor hocha doucement la tête mais elle avait trouvé la remarque amusante, plus parce qu’elle savait que ce n’était pas tellement ça qui lui avait permis de faire la distinction mais plus l’habitude… Elle ne se considérait pas comme une grande amatrice de Bièraubeurre, d’alcool en général d’ailleurs. Elle buvait beaucoup mais n’était généralement pas très regardante sur la qualité. Par contre elle était quand même capable de remarquer que cette Bièraubeurre ci était meilleure que les autres, c’était plus un compliment sur le travail de Viper que ce n’en était un sur le palais d’Eleanor, mais cette dernière se retint de commenter. À quoi bon se dénigrer gratuitement ? Sans compter que faire des compliments à des inconnus la mettait généralement mal à l’aise, elle ne tenait pas à insister sur celui qu’elle venait de dispenser. « Vous avez bien raison de la servir en tout cas. » Répondit la jeune sorcière d’un ton poli avant de reprendre une gorgée de son verre. Elle en avait déjà bu plus de la moitié et elle le reposa sur le bar devant elle pour se forcer à ralentir un peu. Les souvenirs du réveil difficile de ce matin étaient encore bien présents en mémoire et elle ne comptait pas boire autant aujourd’hui. « Vous avez l’air très fier de votre établissement. » Commenta Eleanor en lançant un petit sourire poli à Viper. Il n’y avait pas besoin d’être particulièrement observateur pour s’en rendre compte, ne serait-ce qu’à la façon qu’avait eu le jeune homme de bomber le torse en parlant de sa recette de Bièraubeurre il avait été clair qu’il en tirait une vraie fierté. Eleanor ne pouvait pas s’empêcher de trouver ça intéressant, elle qui n’avait jamais vraiment eu d’ambition, qui s’était contentée de passer de boulot insipide en boulot insipide. Elle n’avait jamais su ce qu’elle voulait faire de sa vie, alors elle avait juste fait en sorte de naviguer comme elle l’avait pu et de se trouver une situation stable. Maintenant qu’elle avait rencontré les mangemorts, c’était différent, elle avait l’impression d’avoir un vrai but dans la vie. « C’est ce que vous avez toujours voulu faire ? Enfin, si ce n’est pas trop indiscret de ma part de demander. » Lança-t-elle avec une sincère curiosité dans la voix. Elle ne tarda pas à sentir du mouvement dans son dos et elle tourna la tête au moment où un jeune inconnu venait s’accouder au bar à ses côtés. Ce dernier était séduisant, et si même Eleanor était capable de le remarquer, c’était qu’il l’était vraiment. Il lança un sourire en coin à Viper avant de commander un autre verre et Eleanor se prit à observer leur interaction sans trop savoir pourquoi.

L'ancien Serpentard n'avait pas honte d'avoir bombé le torse de cette manière. Ce n'était pas comme s'il le faisait souvent et il était quelque part fier d'être fier. Ce n'était pas quelque chose de mal, d'admirer sa propre réussite, surtout si ça avait demandé autant d'efforts que ceux qu'il avait fournis. Tous les matins, il se levait aux aurores et n'allait se coucher que tard dans la nuit. Il travaillait pendant la plupart des vacances scolaires, et les weekends. Il avait peu de temps de fermeture dans la semaine et il dédiait souvent ce temps à l'amélioration du bar, à condition que Maverick n'exige pas qu'il lui tienne compagnie. Néanmoins, de temps en temps, il cédait à son meilleur ami un peu de son précieux temps car leur relation lui importait plus qu'il ne le laissait voir. Bien plus. Il observa avec contentement sa cliente vider la moitié de son verre comme si c'était du petit lait. Le plaisir qu'approuvaient ses clients en consommant ses produits et ses cocktails valait largement le temps qu'il passait à les choisir et à les travailler. Sa remarque, loin de l'embarrasser, le fit sourire un peu et hocher la tête. Vraiment, aucune honte à être fier.

« Merci. Je suis en effet très fier de mes boissons et de mon bar. Je suis aussi fier de mes employés. Les cuisiniers sont appliqués et volontaires. Je les ai choisis jeunes et j'aime l'énergie qu'ils dépensent à vouloir continuer à apprendre de nouvelles choses, essayer au risque d'échouer, pour avancer dans leur métier. » Expliqua-t-il calmement.

Les cuisiniers étaient deux. Fraîchement sortis de Poudlard, il avait choisi de leur donner leur chance plutôt que de prendre des elfes de maison comme tant d'autres sorciers. Il n'aimait pas l'idée de profiter de ces créatures alors que des gens confirmés pouvaient faire le même travail contre un salaire, sans abuser de personne. Contre toute attente, Viper était quelqu'un de juste et pour la liberté de chacun. S'il avait su que sa charmante cliente était une mangemort, peut-être aurait-il été moins sympathique avec elle. Mais ce n'était pas le cas et elle avait un caractère qui allait bien avec le sien. C'était sûrement pour cette raison que leur conversation était si plaisante. Sa question un peu intrusive ne le dérangea pas plus que ça. Il n'avait jamais honte de parler de lui sur le plan professionnel, du moment que rien ne penchait vers le personnel.

« Toujours. Je voulais être mon propre patron et pouvoir travailler avec ou sans magie. Je suis heureux d'être un sorcier bien sûr, mais si je ne l'avais pas été, j'imagine que j'aurais ouvert un bar malgré tout. C'est un métier plus noble que ce que les gens veulent croire. Et polyvalent. Je fais plein de choses variées et ne m'ennuie jamais. » Répondit-il en toute honnêteté.

Il allait continuer à parler à propos du bar lorsqu'il remarqua lui aussi ce nouveau client. C'était un jeune homme avec des cheveux châtains aux reflets tirant vers le blond. Ses yeux étaient gris et son sourire charmeur. Viper eut un léger frisson et lui rendit son regard lorsqu'il s'installa au bar à côté de son interlocutrice. Sans gêne aucune, le jeune brun détailla l'inconnu des pieds à la tête, promenant ses yeux sur sa carrure et ses traits. Mignon. Très mignon. Il se racla la gorge pour redevenir professionnel.

« Bonjour monsieur. La carte des boissons est écrite sur le tableau derrière moi. N'hésitez pas à me demander ce que vous voulez. Absolument tout. »

Le sous-entendu n'était qu'à peine dissimulé. Cependant, Viper était en service et ne pouvait pas faire que draguer. Il reporta son attention vers sa cliente qui n'avait pas pipé mot depuis l'arrivée de l'étranger.

Entendre Viper parler du fait qu’il ait recruté des personnes jeunes à son service alors qu’il ne devait lui-même pas avoir bien plus de vingt ans fit doucement sourire Eleanor. Elle le trouvait sympathique, il dégageait une aisance et une franchise qui le rendaient très dur à détester et Eleanor était en train de se rendre compte qu’elle ne serait pas contre l’idée de passer son après-midi à discuter avec lui. Ça ne lui ressemblait pourtant pas, mais elle avait toujours tendance à se fier à son instinct, et ce dernier lui disait qu’elle ne craignait rien avec Viper. « C’est vrai que vu comme ça. » Commenta Eleanor d’un air pensif, essayant de voir les choses du point de vue du propriétaire du bar. Elle-même n’avait jamais envisagé ce genre de carrière, mais en toute honnêteté elle n’avait jamais vraiment envisagé la moindre carrière, elle était tombée dans la sienne plus qu’autre chose et elle s’en contentait pour l’instant. Elle enviait à Viper sa motivation et sa passion, c’était justement tout ce qui lui manquait à elle. Ses pensées furent pourtant interrompue par l’arrivée d’un jeune homme venant se renseigner sur les boissons et Eleanor observa l’interaction entre lui et Viper avec intérêt, sans trop savoir pourquoi au début. Elle avait soudainement la sensation d’être de trop et d’observer quelque chose qu’elle n’aurait pas dû, mais elle n’arrivait pas à détourner le regard pour autant. La façon qu’avait Viper de détailler le jeune client du regard ne laissait pas énormément de place au doute sur ce qui était en train de lui traverser l’esprit, et Eleanor réalisa seulement à ce moment là qu’il ne lui avait pas du tout réservé le même traitement tout à l’heure. Sans être du genre irrésistible, Eleanor pensait quand même avoir un certain pouvoir de séduction avec les hommes – pour son plus grand malheur – et il lui arrivait souvent de voir leurs regards traîner sur elle. Si le regard appuyé de Viper n’avait pas suffi de toute façon, Eleanor n’aurait plus pu se voiler la face en entendant le sous-entendu à peine voilé que venait de faire le barman. Elle s’éclaircit la gorge et détourna subitement le regard, finalement un peu gênée, avant de reprendre une gorgée de son verre. L’inconnu ne sembla remarquer la présence d’Eleanor que quand Viper se tourna à nouveau vers elle et il lui lança un regard curieux avant de se tourner à nouveau vers le barman. « Je vais vous prendre un whisky pur feu. Pour l’instant. » Eleanor s’efforça de ne pas regarder à nouveau Viper et l’inconnu et de se concentrer à la place sur sa propre boisson, faisant de son mieux pour ne pas écouter la conversation qui se tenait juste à côté d’elle. Sans être particulièrement prude, elle devait bien avouer qu’elle se sentait de trop, et même si sa présence n’avait pas l’air de gêner les deux hommes, elle aurait nettement préféré être à des kilomètres d’ici. Viper finit par servir le jeune inconnu qui s’éloigna, non sans avoir lancé un clin d’oeil au barman, et Eleanor sentit les muscles de son corps se détendre légèrement. Elle se tourna à nouveau vers Viper et haussa légèrement un sourcil, l’observant désormais comme si elle le voyait pour la première fois. « Est-ce que je peux vous poser une question ? » Demanda-t-elle plus pour préparer le terrain qu’autre chose. Elle n’avait pas prévu d’attendre son approbation pour poser sa vraie question, mais elle n’avait pas non plus eu envie de la poser de but en blanc. « Vous n’avez pas peur que ce soit mauvais pour le business ? » Finit-elle par demander sans prendre la peine de préciser de quoi elle parlait. Elle ne pensait pas en avoir besoin. Elle se tourna d’ailleurs pour regarder autour d’eux, comme pour vérifier que l’interaction dont elle venait d’être témoin n’avait pas attisé la curiosité d’autres clients. D'expérience, Eleanor savait que l'homosexualité n'était pas forcément toujours acceptée dans le monde des sorciers, encore plutôt vieux jeu.

Si le barman avait remarqué la gêne de sa cliente, il aurait peut-être été un peu moins démonstratif envers l'autre homme, même s'il était hors de question pour lui de cacher entièrement ses préférences et ses intérêts. Il fit un sourire charmeur en réponse à la commande de son client et lui servit le whisky pur feu demandé, non sans le regarder s'éloigner. Son regard dévia un peu vers le bas et il souffla un peu avant de reporter son attention pour de bon sur son interlocutrice principale. C'est là qu'il remarqua qu'elle n'avait pas l'air très à l'aise avec ce qu'elle venait de voir. Mal à l'aise, mais pas dégoûtée. Cela le rassura un peu car il n'aurait pas aimé la mettre à la porte alors qu'ils s'entendaient bien avant. Néanmoins elle ne semblait pas avoir de réel reproche à lui faire. Il la laissa le détailler avec son sourcil levé, comprenant qu'il s'agissait là d'un processus nécessaire pour qu'elle assimile l'information correctement. Passé le moment de surprise, les questions fusèrent sans qu'il n'ait vraiment d'autorisation à donner, même s'il l'aurait donnée sans crainte si elle lui en avait laissé le temps. Son interrogation le laissa d'abord perplexe, plus il fit un sourire amusé et s'autorisa même à souffler un peu du nez. Pourtant, il ne lui répondit avec aucune moquerie ni condescendance, juste avec l'honnêteté de ceux qui n'ont pas honte d'être eux-mêmes.

« Pas du tout madame, bien au contraire. J'espère bien que ceux qui sont comme moi en entendront parler et sauront qu'ici, ils pourront être eux-mêmes. Je ne juge personne et je ne permet pas que l'on me juge. Ceux qui ne sont pas contents peuvent trouver la porte par leurs propres moyens. Je n'ai pas besoin de clients stupides et perdus dans le siècle dernier. »

Car aux yeux de Viper, l'intolérance des sorciers face à l'homosexualité était similaire à l'intolérance des moldus ou des sangs mêlés. Une pensée ancienne, dépassée, ridiculisée et qui ne pouvait rien apporter de bon. Il suffisait de voir la consanguinité présente dans les familles de sang-pur pour réaliser que le soucis ne venait pas des moldus mais de cet élitisme décadent. Il était temps que le monde de la magie lève le nez hors de ses petites idées étriquées et apprenne ce qu'était la vie. La vraie vie. Celle qui était dénuée de sens, qui faisait tomber les gens amoureux contre toute attente, qui emportait parfois des personnes sur un chemin qu'ils n'avaient pas prévu. Tout n'était pas politique, mariages arrangés et statistiques. Certaines choses ne pouvaient pas être contrôlées ni mises en cage. L'amour en faisait partie. Même Viper en était conscient, lui qui n'avait pourtant rien de romantique en lui.

« Je n'ai pas honte de mes valeurs ni de qui je suis. Si le monde de la magie était un peu plus ouvert d'esprit, il y aurait moins de conflits et de guerres. Je ne suis pas un activiste et on ne me verra pas parader dans les rues pour protester, mais je ne compte pas non plus faire semblant d'être quelqu'un que je ne suis pas. »

Il ne restait pas grand chose à dire sur le sujet, il s'était montré plutôt éloquent, lui qui d'habitude devait se forcer à prononcer plus de trois mots à la fois. Cette femme avait un étrange talent pour le mettre à l'aise. Calmement, il remplit un verre d'une boisson délicieuse et sans alcool, issue d'une recette qu'il avait lui-même inventée.

« Tenez. Cadeau de la maison. »

Eleanor n’avait pas essayé de lui faire de reproche en posant sa question mais plus de comprendre quelle était la logique derrière sa décision. Visiblement Viper n’était pas du genre à se vexer facilement ou du moins il avait comprit qu’aucune méchanceté ne s’était cachée derrière la question de sa cliente puisqu’il répondit calmement et de manière éloquente. Sa réponse, pourtant, fit doucement sourire Eleanor qui ne put s’empêcher de répliquer : « Des clients stupides et perdus dans le siècle dernier ? Ça représente plus de la moitié du monde sorcier, vous savez ? » Lança-t-elle d’un moqueur – même si une petite pointe d’amertume s’était glissé malgré elle dans sa voix. Elle trouvait le choix de Viper courageux mais naïf, à quoi bon chercher les ennuis alors qu’il aurait très bien pu garder sa vie privée… privée. Eleanor avait eu assez d’années pour assumer personnellement qui elle était et qui elle aimait, mais le jour où elle se mettrait à le montrer en public n’était pas encore arrivé, loin de là. Ça ne lui aurait rien apporté après tout, à part des emmerdes inutiles. Mais si Viper n’y voyait pas d’inconvénient, c’était son choix, un choix qu’Eleanor ne comprenait pas franchement mais qu’elle se devait de respecter, au moins un peu. « Je comprends. » Finit-elle par commenter de manière un peu plus neutre suite aux explications de Viper, ne sachant pas quoi ajouter d’autre. Elle le remercia pour le verre qu’il venait de lui tendre et le porta à ses lèvres rapidement. Elle hocha de nouveau la tête d’un ton appréciateur, bien qu’un peu déçue de ne pas sentir la moindre goutte d’alcool dans le breuvage. « Très bon, un autre héritage familial ? » Demanda-t-elle en lançant un petit sourire amusé à Viper. Elle termina ensuite sa première bièraubeurre et tendit le verre au jeune homme. « Mais si ça ne vous dérange pas, je crois que je suis plus d’humeur à reprendre une bièraubeurre. » Déclara-t-elle avant de s’essuyer les lèvres d’un revers de la main. Elle qui s’était promis de ne pas abuser de l’alcool aujourd’hui, elle n’était pas particulièrement bien partie. Elle n’avait pris encore qu’un verre mais elle se connaissait assez pour savoir qu’elle ne réussirait probablement pas à s’arrêter avant d’en avoir pris quelques uns supplémentaires. « Et je vois ce que vous vouliez dire tout à l’heure. » Lança-t-elle un peu subitement, se rendant compte directement que la fatigue de la soirée de la veille avait sans doute baissé sa tolérance à l’alcool. Sans ça, elle aurait lâché le sujet et en aurait lancé un un peu moins épineux, mais elle n’avait pas su résister à l’envie de défendre un peu son point de vue, même si Viper ne pouvait évidemment pas savoir pourquoi ce sujet l’intéressait elle aussi. « Mais je pense que dissimuler aux yeux du monde sa vie privée ne veut pas nécessairement dire qu’on en a honte. Peut-être que c’est simplement de la pudeur, ou de la prudence. » Expliqua-t-elle avant de relever les yeux vers le jeune homme, se rendant quasiment aussitôt compte qu’elle aurait effectivement mieux fait de passer à autre chose au lieu d’insister.

En étant parfaitement franc, Viper devait reconnaitre que sa cliente n'avait pas tort. Le monde sorcier était encore majoritairement fermé à ce genre de différence. Mais le monde pouvait-il vraiment changer si la plupart des sorciers s'en servaient comme excuse pour ne rien faire ? Certainement pas. Le jeune homme n'était peut-être pas un activiste, mais il était conscient que le changement qu'il voulait voir devait commencer par lui, sinon ça n'avait pas de sens. Il était content (enfin..."content" parce que Viper n'était pas du genre à beaucoup sourire) que son interlocutrice comprenne ce qu'il essayait de faire en tout cas. Il l'observa boire la boisson offert puis fit malgré tout un demi sourire à sa remarque. Cette fois-ci, non, ce n'était pas une recette familiale, et il n'était pas contre lui resservir de la bieraubeurre. Après tout, c'était son métier et ce n'était pas une boisson si alcoolisée que ça finalement.

« Non, ce cocktail sans alcool est une recette personnelle. Je suis ravi qu'il vous ait plu. Et bien entendu... » Il se coupa dans sa phrase le temps de servir une nouvelle pinte et la poser devant elle. « Vous pouvez avoir autant de bieraubeurre que vous le voulez. Moi du moment qu'on me paye, je sers sans juger. »

Une ou deux fois néanmoins il avait du refuser de servir des sorciers, mais ces derniers étaient bien plus beurrés que ça, avec des alcools bien plus forts, et refusaient de partir à la fermeture du bar. Le reste du temps, il n'avait pas de soucis avec le fait de servir jusqu'à plus soif, surtout le personnel de Poudlard qui avait tendance à bien payer et sans faire crédit. Viper fut un peu surpris d'entendre sa cliente revenir sur le sujet qu'il pensait clos, à propos des couples ouvertement différents. Son point de vue faisait du sens, il n'était pas contre sa façon de voir les choses, et pourtant il ne pouvait pas agir comme ça lui-même.

« Je ne jugerai jamais une personne qui souhaite tout simplement garder sa vie privée... eh bien, privée. Disons simplement que je n'ai jamais vraiment eu de pudeur, ni de prudence. Oh je devrais, bien sûr, mais... Faut croire que je suis né sans. » Répondit-il avec un air amusé.

Il réalisa alors que depuis tout à l'heure, il discutait de choses plutôt privées avec une femme qu'il appréciait, mais qu'il ne s'était pas correctement présenté. Il semblait adéquat de le faire à présent, puisqu'ils parlaient clairement de choses qui ne concernaient pas des inconnus.

« Je m'appelle Viper. »

« Parfait, je suis venue au bon endroit. » Plaisanta Eleanor alors que Viper lui resservait justement une pinte de Bièraubeurre. Elle ne l’avait pas dit sérieusement mais ça n’allait pas l’empêcher de noter cet endroit et d’y revenir la prochaine fois qu’elle aurait besoin de s’éloigner de Poudlard, de ses collègues, de ses élèves et de ses « amis ». En tout cas elle s’était presque sentie obligée de revenir sur le sujet précédent, se rendant compte qu’il le titillait trop et qu’elle aurait peut-être regretté d’avoir laissé passer une opportunité pareille de pouvoir enfin parler à quelqu’un qui comprendrait. La remarque du propriétaire de l’établissement fit sourire Eleanor qui baissa légèrement les yeux et commença à hocher la tête, comme pour montrer qu’elle comprenait. « Moi je crois que je suis née avec un peu trop. » Commenta-t-elle avant d’attaquer sa deuxième pinte de Bièraubeurre et de relever les yeux vers Viper. Elle reposa la chope un peu brusquement quelques secondes plus tard quand le barman se présenta finalement, lui rappelant qu’elle ne lui avait même pas demandé son prénom avant ça. Non pas que c’était dans ses habitudes, mais vu le sujet qu’elle s’était permis d’aborder, ça aurait quand même été la moindre des choses. « Eleanor, enchantée. » Répondit-elle, se présentant à son tour. « Enfin vous le saviez peut-être déjà. » Ajouta-t-elle un petit sourire au coin des lèvres, se rappelant de ses collègues de tout à l’heure qui l’avait appelée pour lui proposer de se joindre à eux. Eleanor posa ses coudes sur le comptoir du bar et se pencha légèrement en avant pour se rapprocher de Viper, comme pour tenter de rendre leur conversation un peu plus privée. Personne n’était en train de les épier, mais Eleanor avait pris l’habitude à force de devoir cacher qui elle était à tout le monde. « Et ça ne vous a jamais causé de soucis ? De ne pas être plus prudent ? » Demanda-t-elle avant de reprendre une rapide gorgée de Bièraubeurre. Elle jeta un coup d’œil par dessus son épaule, comme pour vérifier qu’il n’y avait toujours personne en train d’essayer d’écouter leur conversation, avant de laisser échapper un petit soupir. « Disons que j’ai connu pas mal de personnes qui auraient sans doute mieux fait de se montrer un peu plus discret justement. » Elle aurait été incapable de citer une seule ex à qui il n’était jamais arrivé de malheur à cause de leur orientation sexuelle. Entre les remarques déplacées, les promotions refusées sans raison et les insultes dans la rue… Eleanor en avait assez entendu au fil des années pour se conforter dans son opinion.

Spoiler:

Plus les minutes s'égrainaient et plus Viper avait effectivement l'impression que sa cliente était arrivée au meilleur endroit pour elle, sans vouloir se jeter de fleurs. Sa mentalité semblait coller parfaitement à celle du bar et il appréciait sa compagnie. C'était toujours plus agréable d'avoir quelqu'un avec qui parler. Le fait qu'elle admette qu'elle avait certainement trop de prudence et de pudeur là où lui affirmait ne pas en avoir du tout, était assez osé et il aimait sa franchise. Le barman fit un petit sourire compréhensif. Elle avait tous les droits d'être méfiante et de vouloir garder pour elle ses préférences qu'il devinait très opposées des siennes. Au moins comme ça il n'y avait pas de malentendu, elle n'était pas le genre de Viper et il n'était pas le sien non plus. Les présentations étaient donc de mise et il se fit le serment de retenir son prénom.

« J'avais cru l'entendre en effet, mais comme vous n'aviez pas choisi de me le donner, j'aurais trouvé ça malpoli de m'en servir. Enchanté également, Eleanor. »

La façon dont la femme se rapprocha un peu de lui, penchée sur le bar, le laissa deviner aisément qu'elle ne souhaitait pas que ses paroles soient entendues par une tierce personne. Il tendit donc une oreille attentive pour qu'elle ne soit pas obligée de se répéter ou de hausser la voix. Sa question le fit soupirer un peu avec un air las. Des ennuis... Oui bien sûr qu'il en avait eu, comme tout le monde probablement. Mais Viper avait décidé depuis longtemps que ces tracas n'allaient pas régir sa vie et qu'il n'avait pas envie de se soumettre à la pression de quelques sorciers étroits d'esprit.

« Ce n'est pas facile tous les jours. Mais est-ce qu'une longue vie passée à me cacher vaudrait vraiment la peine d'être vécue ? Je crois que je préfère avoir une vie courte et heureuse, à aimer qui je veux et comme je veux, plutôt que vieillir dans la honte de ce que je suis. Je ne fais rien de mal, après tout. Et puis... si personne ne prend ce risque, comment les choses pourraient-elles changer ? » Répondit-il le plus sincèrement possible.

Si les risques qu'il prenait au quotidien pouvaient aider un peu les mentalités à changer, ouvrir l'esprit de ne serait-ce qu'une seule personne ou deux, et que d'autres comme lui avaient le même effet, alors peut-être que les générations suivantes pourraient avoir une chance d'être acceptées. S'il ne suffisait que des battements d'ailes d'un papillon, il voulait bien être cette brise du changement. Quelque part, c'était dans ce projet insensé que son ambition de serpentard se révélait, même si Maverick aurait sûrement eu le culot de lui dire qu'il s'agissait là du courage d'un gryffondor.

La remarque de Viper fit doucement sourire Eleanor. Elle commençait à bien l’apprécier, malgré son caractère à l’opposé total du sien. Il était honnête et franc et ça, Eleanor ne pouvait que le respecter. En plus il était poli et servait une Bièraubeurre à faire tomber la barbe de Merlin, elle n’avait presque pas le choix. Non seulement elle commençait à l’apprécier mais elle commençait surtout à lui faire confiance, il était si ouvert sur ses préférences et qui il était qu’il semblait quasiment impossible à la jeune professeure de ne pas en faire autant. Jusqu’à un certain point du moins. Elle était sûre qu’il comprendrait très bien sa position avec ce qu’elle était entrain de lui dire mais elle n’avait jamais prononcé le mot interdit, le mot qu’elle ne pourrait jamais reprendre. Au pire, elle pourrait toujours prétendre à un quiproquo sans le moindre souci, c’était aussi sa façon à elle de se protéger. « Je ne suis pas persuadée que les choses changent réellement de toute façon. » Répondit-elle d’un ton un peu pessimiste. Elle était sûre que les mentalités évoluaient un peu, lentement, et à certains endroits, mais on ne pouvait pas en dire autant d’une grande partie de la population magique. Quelque part elle trouvait les réactions violentes face au courage de gens comme Viper presque pire que de vivre dans la honte et la peur comme il le disait si bien. C’était plus confortable pour elle de ne pas faire de vague, au fond ce n’était pas comme si elle avait déjà eu envie de proclamer son amour au grand jour de toute façon, donc à ses yeux elle n’y perdait vraiment rien. « Mais c’est vrai que vous avez la chance d’être votre propre patron, le risque est déjà plus limité. » Commenta-t-elle avant de prendre une longue gorgée de sa Bièraubeurre. « En tout cas, même si je ne vois pas les choses de la même façon, je crois que j’admire un peu… » Ce que vous faites ? Ça paraissait maladroit. Elle hésita donc quelques secondes avant de terminer sa phrase du mieux qu’elle put. « Votre courage. » Car c’était courageux ce qu’il faisait, même si visiblement c’était naturel pour lui, ce n’était pas le cas pour tout le monde et elle savait de quoi elle parlait. Toujours était-il que l’alcool commençait tout doucement à lui monter à la tête, c’était une remarque qu’elle ne se serait probablement pas permis sobre, et ce, même si elle appréciait Viper. Ce n’était pas son genre de complimenter les autres, et généralement encore moins sur leur courage, ce n’était pas forcément la qualité qu’elle préférait chez les autres. Elle avait d’ailleurs tendance à les trouver plus impulsif que vraiment courageux. « Ça n’a pas été trop dur avec votre famille ? » Demanda-t-elle avant de reprendre une gorgée de sa boisson. Il lui fallut quelques secondes pour se rendre compte que ce n’était encore une fois pas une question à poser à quelqu'un qu’on connaissait à peine. mais elle n’avait au final pas si souvent que ça l’occasion d’avoir ce genre de discussions avec des gens comme elle. « Ne vous sentez pas obligé de me répondre, c’est juste aussi que je préfère faire la conversation avec vous que de rejoindre mes collègues. » Expliqua-t-elle d’un ton légèrement moqueur avant de jeter un coup d’œil par dessus son épaule à la table où étaient assis les autres professeurs de Poudlard.

Spoiler:

Difficile d'ignorer le certain pessimisme présent dans les paroles d'Eleanor, mais dans un sens le barman était flatté que son interlocutrice s'ouvre un peu à lui en assumant son avis. Et puis ce n'était pas comme si Viper était une boule de positivité lui-même. Il hocha calmement la tête pour indiquer à la femme qu'il comprenait ce qu'elle voulait dire par là. Les choses ne bougeaient effectivement pas vite chez les sorciers, surtout concernant les mentalités et les préjugés venus de générations anciennes et inflexibles. Le fait qu'il soit son propre patron le mettait effectivement à l'abri de maltraitements sur son lieu de travail, mais ce n'était pas non plus suffisant pour le mettre hors de danger. La remarque de son interlocutrice le fit cependant sourire avec amusement.

« Mon courage ? Ne le dites pas trop fort, j'en connais qui seraient trop heureux de ne pas être seuls à le croire. Je préfère me considérer comme un opportuniste. Même si la situation n'est pas encore idéale, nous n'avons pas vécu dans une époque aussi paisible depuis des décennies. C'est tout simplement le bon moment pour ouvrir sa gueule avec le moins de risques. Je profite de toutes les chances qui me passent sous le nez. » Rétorqua-t-il en haussant les épaules.

Même s'il n'étaient pas encore tous mis tous les barreaux, les mangemorts étaient clairement en position de faiblesse actuellement et les gens " différents " avaient enfin un peu moins peur de sortir de l'ombre. Cela dit, si Viper avait connu les engagements d'Eleanor, il se serait indéniablement abstenu de se lancer sur ce sujet. Heureusement, il était parfaitement inconscient de tous ces détails et n'avait pas non plus dit de mot spécifique pouvant l'incriminer. Il n'avait que fait que sous-entendre son opinion. Non pas qu'il soit pour l'Ordre du Phénix non plus. Globalement, Viper était dans le camp de Viper. Et parfois un peu dans le camp de Maverick. Sa gorge se serra à la question suivante de la sorcière alors que de désagréables flashbacks envahissaient ses pensées. Il fronça un peu les sourcils puis se secoua un peu comme pour chasser les émotions négatives qui venaient d'apparaitre sur son visage.

« J'imagine... que ce n'est simple pour personne. La famille est une source inépuisable de problèmes, pour tout le monde. Je ne connais pas un seul être vivant qui ait une famille parfaite. »

Et certainement pas lui. Non pas qu'il ait envie de discuter à propos de son oncle violent et abusif ou de ses parents qui n'avaient pas voulu le soutenir. Il s'était enfui pour une raison et il n'aimait pas spécialement regarder en arrière. Bien sûr il ne s'était pas senti obligé de répondre, et d'ailleurs il n'avait donné qu'une réponse très vague, et il n'était pas capable d'entrer davantage dans les détails. C'était loin tout ça et Viper n'était pas prêt à en parler à qui que ce soit. Il n'en avait pas parlé à Maverick, ce n'était pas maintenant qu'il allait commencer avec une cliente qu'il ne connaissait que depuis une série de minutes.

Eleanor devait bien avouer qu’elle aimait la façon qu’avait Viper de voir les choses. Au fond il n’était pas aussi ouvert sur ses préférences pour défendre un étendard auquel il croyait sincèrement mais plus parce qu’il jugeait que c’était mieux pour lui. Et ça, Eleanor pouvait le respecter sans le moindre souci, et encore une fois elle se reprit à penser qu’elle trouvait le barman bien sympathique. Plus en tout cas que la plupart des gens qu’elle avait l’occasion de côtoyer, et c’était d’autant plus surprenant qu’elle ne lui avait adressé la parole pour la première fois qu’il y a une trentaine de minutes. Eleanor avait beau ne pas être particulièrement impulsive, elle était du genre à se fier à son instinct infaillible, et ce dernier lui disait qu’elle était avec une personne de confiance. Ce fut d’ailleurs pour ça qu’elle se permit une question encore plus personnelle, réalisant un peu après que Viper n’avait peut-être pas envie de lui en parler. Et effectivement le barman esquiva la question plus qu’il n’y répondit vraiment. La jeune professeure reprit une gorgée de son verre et hocha la tête, bien consciente qu’elle était probablement allée trop loin avec sa dernière question et bien décidée à ne pas insister. Après tout le jeune brun ne lui devait rien, et encore moins de partager des expériences et des souvenirs qui avaient l’air difficiles juste pour satisfaire sa curiosité. « C’est vrai, dieu sait que la mienne ne l’est pas. » Répondit-elle sur un ton un peu plus léger, l’air de faire une plaisanterie. Sa famille n’était certes pas parfaite, et elle avait récemment découvert que son père spécifiquement ne l’était pas, mais ses parents l’aimaient, elle en était sûre, et si elle ne leur avait jamais parlé de ses préférences c’était plus dans un souci de pudeur et de protection de sa vie privée qu’autre chose. Elle ne pensait pas qu’ils réagiraient mal à la nouvelle, même si elle ne pourrait probablement jamais en être sûre. « Je peux vous demander un service ? » Demanda-t-elle un peu subitement mais d’un ton qui laissait clairement indiquer qu’elle ne parlait de rien de bien sérieux. Elle se releva de son tabouret et fit un signe de la main aux collègues qui la surveillaient encore du coin de l’œil, l’air d’attendre le moment où elle daignerait les rejoindre. « Si je vous fais signe, vous pourriez venir me chercher et expliquer qu’il y a un hibou avec une lettre marquée urgente qui vient d’arriver pour moi ? Ou quelque chose du style. » Lança-t-elle avant d’attraper son verre. « Ils sont sympas mais un peu too much pour moi des fois. » Se justifia-t-elle avant de reprendre une rapide gorgée de son verre. « C’était un plaisir de vous rencontrer en tout cas. Et de découvrir votre établissement. » Ajouta-t-elle avec un sourire poli tout en laissant de l'argent pour payer ses consommations, prenant soin de laisser plus que nécessaire et bien consciente qu’elle risquait de le recroiser souvent. Elle qui était toujours en recherche de bonnes adresses pour venir prendre un verre (ou cinq), elle comptait bien revenir sans tarder.

Spoiler:

La réaction d'Eleanor ne surprit pas le patron du bar qui savait bien que derrière chaque personne se cachait une vie de famille complexe. Aucun humain, sorcier ou moldu, n'avait un entourage familial parfait. Cela n'existait pas. Même les plus chanceux trouvaient de quoi se plaindre. Voilà bien l'une des nombreuses raisons qui faisaient que Viper ne voulait jamais avoir d'enfants. Enfin... ça et le fait qu'il préférait les hommes. Ce dernier point l'avait souvent perturbé d'ailleurs, compte tenu de son vécu familial justement.

Lorsque son interlocutrice lui demanda si elle pouvait lui demander un service, il l'observa dans les yeux sans forcément se sentir obligé de répondre. Nul doute que la sorcière allait le lui demander sans forcément attendre qu'il donne son accord. Surtout qu'à en juger par l'expression sur son visage, il ne pouvait pas s'agir de quelque chose de trop grave. Viper fit un mince sourire en coin en écoutant la requête Ô combien complexe d'Eleanor. Venir la sauver d'une conversation ennuyeuse avec des gens qu'elle n'appréciait pas forcément ? C'était dans ses cordes.

« Plaisir partagé. Je resterai attentif à votre signe, comptez sur moi. » Répondit-il.

Puis, sans se mêler de ce qui ne le regardait pas, il la laissa rejoindre ses collègues. Il avait encore du travail et dans le coin de la pièce, le jeune homme de tout à l'heure était toujours en train de le regarder. Au moins, Viper passait une bonne journée sur le plan social. Et il espérait, si Maverick ne faisait pas trop des siennes, que cela se poursuivrait dans la soirée.

Comme promis, quelques temps plus tard, le jeune sorcier remarqua un geste discret de la part d'Eleanor depuis le bar et il vint la sauver avec une excuse parfaitement sensée et plausible. Une fois la dame sortie, il retrouva le calme de son travail. La journée était loin d'être terminée.