Je déteste cette baraque. La mère de Telly se retourna, sourcils froncés, un air réprobateur plaqué sur le visage.
Comment tu parles ? La brunette soupira longuement et bruyamment pour signifier son mécontentement, mais n'ajouta rien de plus. Quelques semaines plus tôt, elles avaient déménagé. Telly, sa mère, et son beau-père. Le nouveau père de Telly était un excentrique, un homme qui balançait trois coups de pinceau sur une toile et appelait ça œuvre. Un artiste, si l'on en croyait sa mère. Un malade mental, si l'on en croyait Telly. Toujours était-il qu'il avait trouvé une muse en la personne d'une adorable et cotonneuse créature : un mouton, affectueusement nommé Robert. Cette subite inspiration s'était suivie d'un déménagement express en Irlande, dans la campagne, loin de tout. Et Telly détestait cet endroit. Sèchement, elle ferma le livre qu'elle lisait, sortit en trombe de la maison, et enfourcha son vélo. Tous les jours, sa mère venait la chercher à l'école, et elle savait d'ores et déjà que la fin de journée serait terriblement ennuyeuse. Au moins, dans leur appartement miteux de Londres, elle avait des amis. Telly pédala à toutes vitesse jusqu'au bout du chemin, prit la route jusqu'à une maison en ruine, et laissa son vélo sur le bas côté. Cette maison, c'était son château, son endroit secret, où elle pouvait passer des heures à jouer, en inventant des aventures. Mais aujourd'hui, des murmures s'élevaient du salon en friche. Silencieuse comme une ombre, sur la pointe des pieds, Telly s'avança vers la pièce concernée. Un enfant marmonnait des mots intelligibles, et une petite lueur bleutée s'alluma au bout d'un bâton de bois. Surprise, Telly lâcha un petit cri, et sortit de sa cachette pour le prendre en flagrant délit.
Hé, tu fais quoi, c'est trop cool !!! Elle trépignait. Elle voulait savoir. Le garçon, du même âge qu'elle sûrement, pas loin de neuf ans, se retourna, un air de terreur affiché sur son visage qui blêmissait à vue d’œil.
Non, t'as rien vu !!! Telly haussa les sourcils et fit un grand sourire.
Bah si, j'ai vu. Le garçon avait l'air de paniquer, de ne pas savoir quoi dire ni faire. Finalement, il pointa son bâton sur la petite moldue qui ne comprenait rien, et souriait toujours. Il se mit à brailler.
OUBLIETTES ! OUBLIETTES ! OUBLIETTES !!! Ne comprenant pas, Telly se mit à hurler n'importe quoi, juste pour hurler plus fort.
ON EST PAS DANS UN CHÂTEAU Y'A PAS D'OUBLIETTES !!! OUBLIETTES ! OUBLIETTES !! Un éclair bleu illumina la vieille habitation. Puis c'est le trou noir.
Mrs. Fowler ? C'est... c'est votre fille, elle... elle a eu un problème. On avait sonné tard à la porte de la maison perdue dans la campagne. C'était rare, qu'il y ait des visiteurs. La mère de Telly avait ouvert, son sourire niais toujours affiché sur son visage. Si elle avait été moins... distraite, disons, elle aurait peut-être remarqué l'étrange accoutrement de l'homme qui se tenait dans l'embrasure de la porte. En effet, le kilt écossait qu'il avait revêtu jurait horriblement avec la chemise hawaïenne bleue. Sans parler des sandales et du bonnet qu'il avait ajouté à la tenue. N'importe qui aurait vu là un dangereux malade mental, mais Mrs. Fowler restait Mrs. Fowler.
Va, ma petite, tout va bien. L'homme étrange poussa Telly, cheveux en batailles et regard vide, dans la maison. Mais plaquée sur la bouche, la mère de la brune bégaya quelques syllabes, que l'étranger considéra comme une question.
Elle jouait dans une maison abandonnée, pas très loin d'ici. Elle... elle a du chuter, et mon fils l'a trouvée inconsciente. On nous a dit que c'était votre fille. Inquiète, Mrs. Fowler secoua sa fille par les épaules, mais les yeux de celle-ci restaient indubitablement fixés sur le sol. Elle cracha quelques mots de remerciement à l'homme qui avait ramené Telly, et elle prit la main de sa fille pour l'installer sur le canapé.
Telly ? La brune fixait sa mère d'un œil morne. Mais on aurait su dire si elle la voyait vraiment, puisqu'elle se contentait d'attendre sans bouger, lèvres obstinément closes et yeux définitivement vidés. Finalement, elle croassa une phrase, alors que dans ses yeux brilla un éclair d'effroi.
Mais vous êtes qui, vous ?❆❆❆
Maman, lève-toi un peu, steuplé ! Telly tirait de toutes ses forces sur le bras de sa mère, étalée sur le sol. Ce qu'elle y faisait ? oh, elle roupillait, sans doute. Depuis que son ex-nouveau-mari l'avait quitté pour une plus jeune (une catin, d'après Telly), elle s'était à nouveau laissé aller et était devenue une loque. La brune, elle, s'était remise de son accident dans la maison, mais restait un peu distraite.
Allez... Devant l'insistance de sa fille, Mrs. Fowler se leva, et se laissa guider sur le canapé.
T'as passé une bonne nuit ? Aucune réponse, juste le silence qui gangrenait l'air. Pourtant, Telly embrassa sa mère sur la joue, et fila à la cuisine. En chantonnant doucement, elle prépara du café et un bol céréale, qu'elle emporta vers le salon. En arrivant près de sa mère, elle s'efforça à sourire. Telly avait mis deux semaines à se souvenir de qui elle était.
Voilà, je t'ai préparé ton petit dej'. Toujours aucune réponse. Sa mère se contenta de la regarder d'un air joyeux, un sourire béat plaqué sur le visage. En soupirant, Telly sortit pour récupérer le courrier dans le hall de l'immeuble miteux, dans le centre d'Exeter. En ouvrant la boite aux lettres, elle ne fut pas surprise de trouver des tonnes de factures. Sa mère faisait un peu n'importe quoi, en ce moment. Elle oubliait certains documents, ou même simplement de payer, parfois. Alors Telly devait le lui rappeler, mais elle n'avait pas une bonne mémoire non plus. En remontant dans les escaliers, elle sursauta à la vue d'un cafard sortant d'un trou dans le bois, et lâcha le courrier qui dégringola dans les escaliers. En les ramassant, il y avait une lettre à son nom. C'était une drôle de lettre, dans une enveloppe toute parcheminée, avec son nom écrit d'une jolie écriture, à l'encre vert émeraude. Un sourire ravi s'étala sur son visage. Le cafard revient à la charge, et Telly l'écrasa sans pitié.
Pourquoi t'écrase Bruno, sale gamine ? Telly leva les yeux vers la voix chevrotante qui venait de l'insulter, et roula des yeux. Elle grimpa les marches rapidement, et passa en souriant devant sa vieille voisine.
Bonjour, Mrs. Pills ! La vieille aussi sèche qu'une pruneau grogna, puis rentra chez elle en râlant à propos d'enfants braillards et de jeunesse dévergondée. Habituée à cette retraitée aigrie, Telly rentra chez elle sans se formaliser. Cette vieille était folle et seule, elle était plus à plaindre qu'à blâmer.
MAMAAAAAAN !!! J'ai reçu une lettre ! T'as fait quoi encore ?! Factures impayées. Documents invalides. Les problèmes administratifs rencontrés par la famille Fowler étaient sans limites. Puisque la mère - et seule adulte de la famille - n'était pas du genre capable de s'en occuper, Telly faisait de son mieux, mais jamais assez bien. Elle n'avait que onze ans, la gamine. Mais cette lettre là, elle n'était pas comme les autres. Telly en était sûre. Cette lettre, on aurait dit que, pour une fois, elle était vraiment comme elle. Pour elle, l'enfant. Alors elle savoura sa lettre, la brunette. Elle la soupesa d'abord, pour évaluer son contenu. Puis elle l'observa sous toutes les coutures, pour en remarquer les moindres détails. C'était une enveloppe en parchemin. Scellée à la cire, comme avant, dans le temps. Son nom était écrit d'une écriture délicate, cursive, élégante, d'une encre d'un vert émeraude. Et finalement, Telly l'ouvrit. Fébrilement, elle parcourut son contenu des yeux, ses doigts tremblotants sous l'excitation.
HA, HA, HA !!! fut finalement sa seule déclaration face à cette blague stupide.
Regarde, 'man, les blagues qu'ils font maintenant ! Et ce fut comme si un éclair de présence frappa sa mère.
Ta grand-mère était une sorcière. Mais pas moi. Incrédule, Telly la fixa un moment, bouche ouverte et yeux éberlués.
Vous vous êtes passé le mot, en fait ?! Avec Mrs. Pills ch'uis sûre en plus !! Elle était furieuse, sans savoir pourquoi. Peut-être parce que sa mère ne lui parlait pas souvent, alors si c'était en plus pour lui débiter des inepties.
Frustrée, Telly claqua la porte de sa chambre en criant. Elle se jeta sur son lit, balança violemment son oreiller sur le sol, et commença à se mâchouiller la lèvre en réfléchissant. Et si c'était vrai ? Si sa mère avait raison, et la lettre aussi ? ça expliquerait plein de chose, mais le cerveau rationnel de Telly refusait de les admettre. Le chien braillard du voisin, elle avait un jour imaginé qu'il finissait sur le toit. Et qu'il se suiciderait, éventuellement. C'était arrivé, le jour même (le toit, pas le suicide, (mal)heureusement.). Elle voudrait tellement y croire, de son tout petit cœur d'enfant. De la sorcellerie. Une école fantastique. Des dragons, des balais volants, des choses auxquelles elle n'avait jamais cru, mais qui seraient tellement géniales ! Finalement, Telly sortit de sa chambre, désolée pour sa maman qui avait voulu bien faire, pour une fois.
Maman, désolée, j'te crois... Pas de réponse.
Maman ? Des chuchotements venaient du salon. Sourcils froncés, Telly entra dans la pièce sur la pointe des pieds... pour trouver sa mère en pleine discussion avec une planche de bois. Enfin, pas n'importe laquelle. Albert, c'était son nom. C'était son grand amour, si l'on en croyait Mrs. Fowler. Elle passait tout son temps à lui parler, à se promener avec lui et à l'embrasser. C'était une source de divertissement inépuisable pour toute la ville.
❆❆❆
POUFSOUFFLE !!! Clair et inexorable, le Choixpeau avait clamé le nom de la maison des jaune et noir. Malgré la joie qu'elle avait toujours sur le visage, Telly ne put retenir une petite moue. Sur le Chemin de Traverse, dans le Poudlard Express, tout le monde lui avait dit que Poufsouffle était la maison des cancres, et qu'elle ferait mieux d'aller à Gryffondor, ou à Serdaigle, ou même à Serpentard, selon certains. Mais Telly n'avait jamais été douée pour l'école, alors Serdaigle s'effaçait rapidement de la liste. Quant à Serpentard, sa mère était une moldue, et en plus une illuminée, alors ce n'était même pas la peine d'y penser. Alors Telly avait espéré que le Choixpeau daignerait la déposer à Gryffondor, mais apparemment, ce n'était pas la maison qui lui convenait vraiment. Mais l'accueil qu'on lui réserva quand elle s'installa avec les Poufsouffles lui fit immédiatement oublier ses préjugés. Cette maison serait la sienne jusqu'à la fin, et elle était sans aucun doute aussi bien que les autres. On lui offrit un rire méprisant quand elle passa devant la table des Serpentards, auquel elle répondit par un doigt d'honneur et une horrible grimace.
Oh, quel adorable visage ! Le ton du garçon respirait l'ironie, et Telly s'apprêta à répliquer par une insulte quand elle croisa le regard du garçon qu'elle avait rencontré dans le train. Un sourire amusé se dessina alors doucement sur son visage, et elle s'installa à ses côté, à la table des jaune et noir.
Mads. Ta mignonne personne m'avait tellement manqué, répliqua-t-elle sur le même ton. Madsen, avec son sourire malicieux et ses yeux pétillants. Telly ne savait pas encore que le garçon serait son partenaire de galère pour toutes leurs années à l'école.
Tu pues la charogne. Telly lui répondit par un doigt d'honneur. La cérémonie s'éternisant, le ventre de Madsen émit un grognement, et la brune y répondit par un ricanement moqueur.
Bon, le père Noël peut pas se dépêcher ? J'ai faim. Un Poufsouffle plus âgé se retourna en faisant les gros yeux, leur lançant un regard qui en disait long. Telly et Mads baissèrent la tête, mais à peine l'élève retourné, ils se remirent à pouffer dans son dos. Puis le vieux barbu annonça enfin le repas, et les plats apparurent sur la table. Les deux enfants affamés se jetèrent dessus.
Tsss, c'est bien le seul intérêt de cette cérémonie. La bouffe.Le cours avait commencé depuis vingt bonnes minutes quand on frappa timidement à la porte. Le professeur ouvrit, pour trouver Telly, essoufflée, les joues rougies par sa course et sa baguette dans la main. Elle regardait le professeur d'un air implorant, avec une moue adorablement coupable. Le professeur soupira.
Vous êtes très en retard, miss Fowler. Ça sonnait plus comme un constat que comme une accusation. Mais Telly le savait, il la laisserait rentrer en cours. Parce qu'à peine une semaine après la rentrée, déjà, tous les professeurs (ou presque) avaient pitié du pauvre petit chiot perdu qu'elle semblait être.
Pardon m'sieur, mais j'ai fait de mon mieux, cette fois... Elle baissa la tête, faussement piteuse. Puis elle ajouta, tout bas, sur le ton de la confidence :
Mais vous savez, avec mes problèmes de mémoire... Résigné, le professeur soupira et la laissa entrer en classe, comme à chaque fois qu'elle débarquait en retard. On avait tous pitié de la mignonne petite Telly Fowler et de ses trous de mémoires. Elle était tellement adorable, tellement volontaire, qu'on ne la punissait jamais. Retards, conneries, on lui pardonnait tout.
Mais, j'avais oublié que c'était interdit... ou
J'avais oublié où était la salle..., puis de grands yeux implorant, et tout le monde craquait. Enfin, si ça n'avait tenu qu'à Rusard, elle serait pendue par les pieds dans un cachot. Mais il y avait toujours un préfet, un professeur, un fantôme, n'importe qui pour prendre sa défense. Elle avait Poudlard dans sa poche. Une ruse digne d'un Serpentard, mais Telly ne comptait pas utiliser ces gens qui comptaient sur elle pour de mauvaises choses. Juste pour un petit coup de pouce de temps en temps.
Alors nabote, t'as toujours pas perdu ta tête ?! Telly leva la tête vers la fille, pendant que celle-ci éclatait d'un rire agressif. Telly baissa les yeux. Si les septième année et les professeurs l'aimaient, c'était une toute autre chose avec les élèves plus jeunes. On la méprisait, se moquait d'elle, on lui jouait de mauvais tours, puisqu'on savait qu'elle perdait la tête, et qu'elle mettrait ça sur le compte de sa mémoire défaillante.
La ferme, Joe, ta langue de vipère a assez craché de venin comme ça. Telly remercia Mads d'un sourire, et s'installa à côté de lui. Elle n'avait pas besoin d'être amie avec les autres élèves. Seulement lui.
❆❆❆
Telly, il faut que tu m'aides !! Blasée, Telly se retourna. Encore lui. Tom était un Poufsouffle de deux ans son cadet. Il était petit, craintif, naïf, et surtout horriblement maladroit. Mais Telly était toujours attendrie par cette petite tête blonde, ces grands yeux bleus, et jamais elle ne pouvait l'envoyer voir ailleurs. Elle aimait bien cet enfant, s'en sentait responsable,et l'aidait toujours. A condition d'une rémunération, elle ne passait pas son temps en heures de colle pour rien. Car même si les professeurs l'aimait toujours autant, avec son visage rond et toujours enfantin, maintenant qu'elle était en cinquième année, elle avait droit à des sanctions. Légères, sans le moindre doute, mais des heures de colle quand même.
Ok Tom, qu'est-ce que tu as encore fait ? Le garçon baissa les yeux, l'air hésitant. Il n'aimait pas que Telly se fasse punir à sa place, mais se sentait moins coupable quand il lui offrait sa rémunération. Du chocolat, des mornilles, des plumes, tout ce qui pouvait lui être utile. Certains Serdaigles lui faisaient ses devoirs. Les Gryffondors préféraient la défendre de ceux qui lui causaient des problèmes. Les Poufsouffles lui offraient des fournitures de potion, de botanique, quand elles lui manquaient. Mais la plupart des élèves la payaient par une mornille. Donc à défaut d'être l'élève la plus brillante de Poudlard, elle devint vite la plus riche.
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