❝ If you want to keep a secret, you must also hide it from yourself. ❞ Je ne me rappelle pas avoir déjà vu un couple heureux. Mais j'étais issue d'un mauvais exemple et ça allait me suivre toute ma vie. Ma mère avait rencontré mon père alors qu'elle se rendait au ministère de la magie, à Londres. C'était un moldu et malgré ça, elle tomba éperdument amoureuse de lui. Leur histoire était quelque chose d'absolument féerique et pourtant ils n'eurent pas une fin heureuse. Elle décida de tout quitter par amour, reniant sa famille qui était contre cette union et son monde. Ensemble, ils vécurent des années merveilleuses à tenir une restaurant dans la capitale. Tout aurait pu rester à jamais comme ça, si seulement elle ne tomba pas enceinte de moi. Sa grossesse terrorisa ma mère et me garder fut sûrement la décision la plus dure de toute sa vie. Mon père lui était fou de joie et ne comprenait pas les inquiétudes de sa compagne, les mettant sur le compte des hormones. J'imagine que ma naissance lui fit oublier un tant soit peu ses craintes. En tout cas, je me rappelais d'une enfance heureuse jusqu'à mes cinq ans. D'aussi loin que pouvait aller ma mémoire, je me revoyais sur une table à la nappe blanche, tendant les mains pour attraper mon verre en plastique posé sur le bar d'en face. Lorsque mon père vit l'objet léviter tranquillement jusqu'à mes doigts potelés, il n'en crut pas d'abord ses yeux. S'en suivit la plus longue et houleuse dispute à laquelle j'ai pu assisté, et pourtant, j'en ai vu et vécu des pas mal aussi. Les cris, les pleurs, les miens, les leurs. Ma mère dut lui dire toute la vérité et il ne l'accepta tout simplement pas. Il ne comprit qu'elle était sérieuse seulement lorsqu'elle s'empara de sa baguette, objet qu'elle n'avait plus utilisé depuis bien des années. Ce soir-là, elle dut s'en servir pour faire oublier à mon père toutes traces de notre existence. Et c'était la dernière fois que j'allais le voir.
L'heure d'après, nous étions dans cette grande ville qu'était New-York. Il a fallu recommencer une vie et aussi étrange cela puisse paraître, ma mère décida de nous laisser dans le côté moldu de la ville. Elle ouvrit un nouveau restaurant et se lança corps et âme dans le travail. À chaque projection de magie, j'étais terrifiée. Je me rappelais combien cela nous avait coûté la première fois et le regard que me lançait ma mère durant ces moments-là me glaçaient tout bonnement le sang. C'était à cause de moi qu'elle avait du renoncer à l'amour de sa vie. Même si elle m'aimait plus que tout au monde, je compris qu'une partie d'elle m'en voudrait toujours d'avoir dévoiler son secret le plus terrible. Alors je me comportais comme une moldu tout en sachant pertinemment combien j'étais différente d'eux. Jusqu'à mes onze ans, j'allais dans une école de la ville. Et quand il fut temps pour moi d'entrer dans une école de magie, ma mère ne me laissa pas trop le choix. Malgré mes protestations pour abandonner cette partie-là de ma personne, elle me força à entrer à Poudlard. Ce côté que j'avais toujours nié, j'allais devoir maintenant apprendre à le contrôler. Mais pire encore, à l'accepter.
❝ A girl should be two things: classy and fabulous. ❞ C'était difficile pour moi de me retrouver dans ce monde magique que je n'avais jamais réellement connu. Pour me préparer au mieux, j'avais du passer quelques semaines avant la rentrée dans ma famille maternelle que je ne connaissais absolument pas. Découvrir à onze ans tout un pan de sa vie, c'était quelque chose d'assez dur à accepter. C'est à ce moment-là que mes instincts de rebelle se réveillèrent. Je refusais d'écouter, d'être sage et disciplinée. Je ne voulais pas me taire quand on me le demandait, ni me rendre utile s'il le fallait. Ce fut un réel soulagement pour mes grands-parents de me déposer à King Cross. Et c'était le début de tout pour moi. Au final, je m'acclimatais rapidement au château. J'étais envoyée chez les Poufsouffles et ça me convenait parfaitement. En tant que réel bout-en-train, j'avais des amis dans toutes les maisons. J'étais intégrée même si je continuais à rejeter inconsciemment la magie en moi. En classe, je n'écoutais pas, ne prenais pas le temps de faire mes devoirs. J'étais clairement en dessous de la moyenne mais ça ne m'alarmais pas. Je me fichais bien d'être douée en potion ou en sortilège, ma vie était moldue. Les étés, je retournais à New-York et vivais encore comme si rien des mois écoulés n'étaient arrivés. Je travaillais au restaurant et revoyais mes amis américains qui me pensaient dans une école de jeune fille anglaise. Mais j'étais tout sauf une bonne fille.
Je compris vite à quel point mon physique pouvait m'ouvrir des portes. Et très jeune, j'appris à en jouer. Je mettais plus de temps à me préparer le matin qu'à réviser mes leçons le soir. Je ne sortais pas sans être à mon avantage, mais paradoxalement, je n'avais aucun problème à rire de ma personne. J'avais toujours été la bonne copine des garçons mais lorsque les années passèrent, je compris qu'ils ne voulaient plus seulement plaisanter avec moi. Je ne parvenais pas à m'intéresser à eux, je visais plus haut. Beaucoup plus haut. Il avait trente-sept ans et moi seulement seize. Il enseignait une matière qui n'avait aucun intérêt à mes yeux, si ce n'était que l'observer faire classe faisait passer le temps bien plus rapidement. Je faisais l'intéressante pour me faire remarquer, lui donnais matière à me punir juste pour me retrouver en retenue avec lui. Je le tentais des manières les plus sournoises possibles, le poussant à bout. Et quand j’obtins enfin ce que je désirais, il perdit tout attrait à mes yeux. En y réfléchissant, le silence qui suivit notre courte relation avait du le glacer d'effroi. Et c'était sûrement pour cela qu'il quitta l'école l'année qui s'en suivit. Pour ma part, ça ne me toucha pas plus que ça. Il avait été un amant merveilleux pour une première fois. Mais je n'étais pas du genre à tomber amoureuse. Je collectionnais les hommes comme les chaussures, et c'était peu dire vu combien de paires je possédais. J'assumais totalement mon côté séductrice et avec l'assurance que j'avais, les réflexions des autres filles ne m'atteignaient absolument pas. Je savais qui j'étais, ce que j'aimais. Et je n'avais pas peur de le prendre.
❝ Love is that condition in which the happiness of another person is essential to your own. ❞ Je n'ai pas brillé par mes résultats de fin de scolarité, mais ça ne me dérangeait pas. Contrairement aux autres, je ne rêvais pas d'un travail qui me rendrait importante, je n'avais pas besoin d'avoir une quelconque influence sur le monde de la magie pour me sentir heureuse. Je quittais le Royaume-Uni pour retourner à New-York et trouvais une place de barman dans un bar de la ville côté sorciers. Ça peut paraître incroyable, mais j'aime mon métier. Être au contact des gens, toujours au cœur d'une soirée, me faisait me sentir particulièrement vivante. Et regardée aussi, je devais avouer que j'adorais ça. Sentir l'attention des hommes qui ne pouvaient pas m'avoir, séparé par ce bar qui rendait l'exploit impossible. C'était plus technique qui n'en paraissait aussi. Je jouais souvent au petit chimiste, mélangeant alcool et potions pour obtenir des résultats parfois incroyable. J'étais réputée pour une recette qui faisait oublier rapidement ce qu'on venait perdre dans la boisson. Et c'est comme ça que je le rencontrais.
Il n'était pas comme les autres. Il ne cherchait pas à me complimenter mais se mettait plus en valeur lui. Il jouait à me plaire comme si c'était déjà gagné d'avance et c'est ce qu'il me disait. Que quoi que je dise, quoi que je fasse, lui et moi finirions la nuit ensemble. Son aplomb me fit rire et il n'en démordait pas, m'observant comme si je lui appartenais déjà. Il m'avait conquise au premier regard mais je jouais les indifférentes. Il me laissait perplexe et je ne savais pas comment réagir. D'habitude, je ne me gênais pas pour finir en bonne compagnie si d'aventures je trouvais chaussure à mon pied. Là c'était différent. C'est lui qui avait le contrôle, je lui faisais autant d'effets qu'il m'en faisait et il le savait. Alors je m'obligeais à ne pas le suivre à la fin de mon service. Et en contrepartie, il se força à revenir tous les soirs durant un mois, à attendre un regard, une parole. Parfois il se contentait de rester debout près de la porte d'entrée pour m'observer travailler. Il ne se décida à agir que parce qu'un autre était venu aborder. Alors il s'assit tranquillement à côté de cet homme et lui expliqua avec toute la confiance possible qu'il occupait déjà toutes mes pensées. Il avait complètement raison. Ce fut la première nuit que je partageais avec Aaron.
S'en suivit de très nombreuses, on ne se quitta pas vraiment durant cinq ans. Nous vivions rythmées de disputes et de retrouvailles, de jalousie et de passion. J'avais cru au début pouvoir gérer cette relation et pourtant j'avais tort. J'étais tombée amoureuse de lui sans même m'en apercevoir. Il me faisait rire, me donnait envie de vivre de nouvelles choses, moi qui m'étais toujours contentée de ma petite existence sans importance. Nous nous faisions autant de mal que nous nous aimions, c'est-à-dire énormément. Il ne supportait pas mon besoin de plaire à tous, ni la nécessité que cela représentait dans mon travail. Et moi j'en jouais plus que jamais, comme pour me préserver un tant soit peu, persuadée que le moment viendrait où il me quitterait. Les choses ne devinrent que plus compliquées lorsque sa famille apprit notre relation. Ils s'opposèrent farouchement à notre couple et j'avais l'impression que plus ils essayaient de nous séparer, plus Aaron s'accrochait à moi. Mais il en payait le prix, c'était certain. Son père était le puissant dirigeant d'une compagnie de balais prestigieuse et il était prévu que son fils en prendrait très vite la tête. Mais pas tant qu'il continuerait de me voir, c'était la condition intrinsèque à cette passation de pouvoir. Il était prêt à tout perdre pour moi. Je n'étais pas prête à le faire tout abandonner. Inconsciemment, je le poussais à me quitter, devenais exécrable, m'amusais toujours plus loin avec certains clients. Et plus il s'accrochait, plus je le poussais à lâcher prise. Contre sa volonté, je le savais. Il buvait plus que de raison pour oublier, se battait avec des clients trop entreprenants. Je le regardais sombrer sans pouvoir l'aider. J'étais un monstre d'égoïsme, je préférais qu'il atteigne le point de rupture et qu'il se décide à m'abandonner pour me prouver que j'avais bel et bien raison. Que depuis le début, il serait celui qui mettrait un terme à notre amour. Mais aussi parce que je n'avais pas la force de le laisser partir.
Je pris la fuite le jour où il me demanda de l'épouser.
❝ Sometimes loneliness makes the loudest noise ❞ Je lui expliquais que je ne pourrais jamais lui offrir la vie qu'il méritait, que je n'étais pas capable d'être celle qu'il attendait que je sois. Je ne savais pas si je brisais son cœur ou le mien, ce qui était sûr, c'était que tout était fini. Nous avions passé tant de temps à prétendre que rien de tout cela n'arriverait que nous ne pouvions que rester meurtris. Je n'avais cependant pas d'autre choix. Quand mon amour avait commencé à lui faire plus de mal qu'autre chose, il n'y avait plus rien eu à espérer. Cette nuit-là, je transplanais au ministère et attrapais le premier portoloin pour l'Angleterre, abandonnant toutes mes affaires derrière moi. Je fuyais comme ma mère l'avait fait plus de vingt ans en arrière. C'était la dernière fois que je voyais Aaron. C'était la dernière fois que je laissais mon cœur prendre le dessus.
Je me reconstruis à Londres après avoir passé des mois à faire comme si rien n'était jamais arrivé. Je trouvais rapidement une place à la Tête de Sanglier et partais m'installer dans le côté moldu de la capitale. À force de prétendre que j'allais bien, je finis par m'en convaincre. Je redevenais cette femme enjouée, sûre d'elle, drôle et intenable. J'avais des aventures sans lendemain à foison, ne laissais aucune place aux sentiments. Je ne remis jamais plus les pieds à New-York, me contentant de Londres et de Pré-au-Lard, la ville où je travaillais, tout près de l'école de magie de mon adolescence. Je n'étais pas à plaindre, je trouvais mon bonheur dans les hommes et les paires de chaussures qui comblaient très bien le vide affectif. Quant à la situation de crise qui commençait à soulever le pays, je préférais ne pas écouter les ragots qui parlaient du retour du Lord. Le cas échéant, je serais totalement dans sa ligne de mire, après tout j'étais à moitié moldue et ne reniais absolument pas ce côté-là de ma personne, bien au contraire.
Les années passèrent depuis l'enterrement de mon cœur, trois pour être exacte. Et rien ne changea. Strictement rien. J'étais exactement au même point, toujours barman, toujours à la Tête de Sanglier, et toujours seule. Et c'était tout ce que je demandais.