i've seen sharks with duller teeth

Automne 1998 feat  @Severus T. Rogue   

Du fait de la saison automnale, un léger froid saisit le visage du Directeur du Département de la coopération magique internationale quand il posa le pied à Pré-au-Lard. Il venait de transplaner depuis Londres. Quelle pouvait bien être la raison poussant le haut-fonctionnaire jusque dans le village qui s’étendait non loin de Poudlard ? Ce n’était nullement une question d’ordre pédagogique. Après tout, ce n’était pas de son ressort. Non, si Aloysius remettait les pieds dans ce territoire doublement familier - il avait été élève à Poudlard et était né en Écosse -, c’était parce qu’il avait été informé de la présence d’une personne avec qui il souhaitait s’entretenir. Severus Rogue. Le maître des potions était un homme difficilement accessible. Il ne s’aventurait rarement à Londres, préférant rester à Poudlard ou aux abords du château. Aussi, pour qui souhaitait s’entretenir avec lui, l’aventure prenait des airs de calvaire, voire d’une mission hautement impossible. Cependant, Aloysius MacAulay n’était pas un homme à renoncer. Ses nombreuses relations lui permettaient d’avoir un réseau d’informateurs quadrillant une bonne partie du monde magique britannique et, dans une moindre mesure, européen. Ce faisant, le Directeur avait demandé à être prévenu si le célèbre potionniste de l’école de magie était signalé à Pré-au-Lard. Le caractère misanthropique de l’homme était bien connu. Aloysius ne se faisait guère d’illusion : s’il avait demandé un rendez-vous directement à l’intéressé, au sein du château, ce dernier aurait refusé. Il fallait donc au haut-fonctionnaire forcer le destin. C’est donc avec satisfaction qu’il reçut le signalement tant attendu : Severus Rogue était au Trois-Balais. MacAulay n’avait pas une minute à perdre. Il transplana jusqu’à Pré-au-Lard.

Que diable pouvait bien vouloir le Directeur du Département de la Coopération magique internationale au professeur de potions ? Le chute de Voldemort n’avait pas laissé place à un univers magique apaisé et où l’harmonie régnait en maîtresse. Bien au contraire. En réalité, la mort du Seigneur Noir, si elle avait permis le retour de la démocratie et du pluralisme politique, n’avait pas réglé tous les problèmes. Nombre de Mangemorts étaient en fuite ou en prison, mais ils n’étaient qu’une minorité. Une minorité ? Oui car Voldemort et ses partisans avaient pu gouverner, même brièvement, le monde magique britannique en s’appuyant sur une administration, le Ministère. Derrière ce mot, « Ministère », c’étaient des hommes et des femmes dont il s’agissait. Des hommes et des femmes qui, bien qu’il n’eussent pas fait tous allégeance verbalement au Seigneur des Ténèbres, avaient continué de travailler au sein du Ministère. Ils avaient signé les documents persécutant ceux qui n’étaient pas des sang-purs, ils avaient laissé certains de leurs collègues être arrêtés, ils avaient appliqué les directives totalitaires des Mangemorts. Alors, bien sûr, s’engager dans l’Ordre du Phénix, ou dans toute autre forme de résistance, demandait un courage rare dont peu étaient capables. Cependant, le Ministre Fudge avait préféré, à son retour aux affaires, éviter de faire l’inventaire des responsabilités de chacun au sein du Ministère. Les Mangemorts faisaient l’objet des poursuites et de l’activité des aurors. Mais quand était-ils des plus zélés fonctionnaires encore en poste ? C’était cela qui inquiétait Aloysius. C’était pour cette raison qu’il avait besoin de Severus.

À dire vrai, MacAulay souhaitait faire d’une pierre deux coups. D’abord, savoir que des anciens partisans de Voldemort, qui n’avaient pour autant pas franchi le pas en se faisant Mangemorts, peuplaient encore les couloirs et les bureaux du Ministère le révulsait. Il ne souhaitait pas lancer - sans mauvais jeu de mots - une nouvelle chasse aux sorcières, mais plutôt mettre certains des fonctionnaires les plus compromis devant leurs responsabilités. Fudge ne voulait rien entendre. Aloysius avait perdu toute confiance en lui bien des années auparavant, quand le Ministre avait refusé d’admettre le retour du Seigneur Noir. MacAulay ne connaissait pas Albus Dumbledore, mais l’ancien Directeur de Pouldard n’était pas homme à mentir sur de tels sujets. Aloysius avait donc l’intention de faire, aujourd’hui, ce que Fudge se refusait à faire : épurer le Ministère des éléments les plus compromis.

Dans le même temps, Aloysius espérait récupérer les gains politiques d’une telle entreprise. Sans jamais l’avouer, Aloysius caressait l’espoir de succéder prochainement à Fudge pour lequel, nous l’avons dit, il ne nourrissait que du mépris. Il voulait donc apparaître comme une homme actif, volontariste et avec l’ambition d’aller de l’avant. Il savait qu’en se présentant comme l’homme de la rupture, il avait une chance d’accroître de possibles soutiens pour quand Fudge renoncerait au pouvoir. N’ayant autorité que sur son département, Aloysius souhaitait d’abord épurer au sein de son service. Du reste, d’aucuns pouvaient se questionner sur le rôle de MacAulay cours des deux guerres civiles magiques. Aloysius, sorcier de sang-mêlé, n’appréciait guère les Mangemorts et leur idéologie. Néanmoins, son ambition l’avait poussé à prendre une position intermédiaire. Plus que cela même. Lors des deux règnes des Mangemorts, Aloysius avait obtenu une mission diplomatique, d’abord aux États-Unis puis en Italie, qui l’avait éloigné de la Grande-Bretagne. Notre homme était passé maître dans l’art d’être toujours là au bon moment et, plus important encore, de n’être jamais au mauvais endroit au mauvais moment. Il avait ainsi traversé les deux crises majeures du monde magique sans se compromettre, mais sans jamais, non plus, prendre position et, toujours, en se ménageant une porte de sortie. Aloysius MacAulay était un diplomate redoutable, feignant toujours l’ignorance ou l’indifférence, mais très bien renseigné. La preuve, Bellatrix Lestrange avait un temps essayé de recruter l’ancien élève de Serpentard pour le compte de son maître. Aloysius avait temporisé, puis était parti, avec sa famille, en mission diplomatique. Cette distance vis-à-vis des événements le rendait lucide. Il fallait tourner la page des Mangemorts, et faire des exemples au sein du Ministère. Il en était convaincu. Après, il faudrait reconstruire tout ce que la guerre civile avait détruit. Il était prêt à endosser cette responsabilité-là.

Pour l’heure, il fallait montrer à Fudge qu’il était nécessaire d’épurer le Ministère. Et c’est au sein du Département de la Coopération internationale magique que cela allait commencer. C’est là que Severus Rogue entrait en scène. Il était le seul à avoir connu les deux mondes, les Mangemorts et l’Ordre. Il connaissait mieux que personne le fonctionnement des premiers ; il en avait été l’un des chefs. Favori de Voldemort, au moins un temps, Rogue savait forcément qui, au sein du Ministère, s’était compromis, qui avait été trop loin, qui avait franchi le Rubicon. Personne d’autre n’avait autant d’expérience que lui. Aloysius avait besoin de lui. Le caractère renfermé, pour ne pas dire antipathique, de Rogue n’était guère un secret. Le Directeur savait qu’il lui faudrait être convaincant. Mais Rogue était un homme d’honneur. En dépit de leurs différences, Aloysius et lui pouvaient au moins s’accorder sur la nécessité de ne pas laisser des responsabilités impunies. Pour avancer, et pour éviter tout retour des Mangemorts, il fallait du changement. L’heure était venue. Tout n'était pas que faux-semblants chez le diplomate : il souhaitait vraiment ne pas laisser ceux qui s'étaient compromis s'en tirer sans rendre des comptes. Mais il le souhaitait aussi pour lui. L'intérêt général, dans son esprit, s'accordait ici avec son propre intérêt.

Aloysius MacAulay serra la longue cape, sous forme de manteau, qui le protégeait du vent frais. Elle était faite d’un tissu vert émeraude. Dessous, l’Écossais était vêtu d’une complet anthracite, d’une chemise blanche et d’une cravate en mailles épaisses de la même couleur que le manteau. Il avança sur le chemin principal de Pré-au-Lard. Tout était plutôt calme. Après tout, en semaine, les élèves devaient tous être au château. Bientôt, la devanture familière des Trois-Balais apparut. Aloysius poussa doucement la porte. Les clients n’étaient pas très nombreux. Madame Rosemerta, comme à l’accoutumée, était derrière son comptoir. Le comptoir justement. C’était là qu’était installé Severus Rogue, la mine fermée, le regard plongé dans son verre. Madame Rosemerta jeta un coup d’œil en direction de la porte d’entrée, saluant le nouvel arrivant. Celui-ci inclina la tête et lui adressa un bref demi-sourire. C’était elle son informatrice, moyennant paiement, bien sûr. Aloysius s’approcha du comptoir et du professeur Rogue. Celui-ci, quand il fut à sa hauteur, leva les yeux vers lui. Son visage ne traduisait aucune expression et ses yeux noirs le fixèrent d’une lueur neutre. Cela leur faisait un point commun. Le Directeur et le Professeur étaient deux visages de cire.

Rogue lui demanda la raison de sa présence sans autre formalité, d’une voix abrupte. Aloysius esquissa un sourire. « Bonjour, Professeur ». Il marqua une pause, avant de poursuivre : « Permettez-moi de me joindre à vous un instant ? » Sans attendre la réponse, il fit le tour de son interlocuteur et se plaça à sa gauche. Il avança un tabouret, défit son manteau qu’il accrocha à un crochet au comptoir et s’assit à côté du potionniste. « Un McSpratt Madame Rosemerta, je vous prie ». C’était une eau pétillante des Highlands, commercialisée au sein des sorciers depuis au moins les années 1930. La tenancière posa la bouteille et une verre devant le Directeur. Il hocha la tête pour la remercier et, d’un regard discret mais appuyé, lui fit comprendre de s’éloigner afin qu’ils puissent échanger sans être troublés par des oreilles indiscrètes. Aloysius aurait sans doute préféré une table éloigné, au fond des Trois-Balais, mais Rogue était au comptoir. Alors c’est au comptoir qu’ils discuteraient.

Après avoir rempli son verre et bu une gorgée, Aloysius darda ses prunelles azurées dans les iris sombres de Severus. « Je vous remercie de m’accorder quelques minutes de votre temps ». La phrase n’était pas tout à fait vrai, car le Directeur s’était installé et avait commencé à discuter sans vraiment attendre la réponse de Rogue. Le diplomate se décida alors, et seulement alors, à répondre à la question initiale du Professeur : « Je suis ici pour vous parler, Professeur. Et sérieusement ». Il marqua une nouvelle pause. Avant d’entrer dans le détail, il fallait sonder le sorcier. « Nous n’avons jamais eu le plaisir de nous croiser, me semble-t-il. Aloysius MacAulay, actuel Directeur du Département de la Coopération magique internationale ». Il inclina brièvement le chef avant de continuer : « Personne n’ignore ni votre valeur, ni votre courage. Votre dévouement le prouve ». Son regard se fit plus intense. « Aussi, si le Ministère avait besoin de vous, si le Ministère souhaitait que vous l’aidiez contre les reliquats des Mangemorts, répondriez-vous présent ? » Il fallait bien titiller curiosité du Maître des potions pour espérer réveiller son intérêt et espérer pouvoir lui présenter son idée.