Une nuit comme une autre .. ?

Puisqu'il le faut, je me mets à écrire. Peut-être que finalement, un jour, mon histoire intéressera quelqu'un. Il tombera alors sur ce modeste bouquin, à qui je transmettrai mes indénombrables souvenances. Et une des plus marquantes remontent à ma sixième année...

Comme beaucoup de nuits (tout comme celle-ci, d'ailleurs), j'étais resté veillé, ne songeant même plus à me reposer. Les yeux grand ouverts, cantonné dans ce qui allait me servir de paillasse pour des mois encore, je me mettais à fixer mon baldaquin. Respiration lente et pensées confuses au programme. Je réfléchissais à énormément de choses en ces temps. L'année avait à peine repris qu'elle s'annonçait déjà des plus difficiles. Je n'irai pas jusqu'à dire que cette histoire de guerre me tourmentait, mais elle posait un sacré cas de conscience. Qui étais-je pour choisir un camp dans une croisade qui avait démarrée bien avant ma naissance ?

Et puis je pensais à Kate. Enfin surtout à Emma, ma défunte nourrice. Sur son lit de mort, elle m'avait avoué quelque chose à propos d'elle. Kate, cette jeune fille aux cheveux azures et aux yeux émeraudes que je revoyais sans cesse dans mes rêves les plus enfuis... Mon amie d'enfance... Celle que je croyais morte et oubliée depuis longtemps... Elle n'avait jamais existé. Tout du moins, Emma ne l'avait jamais connu. L'orpheline n'était donc que le fruit incongru de mon imagination...

Mais j'aurais dû le voir venir. Car je ne m'étais jamais clairement souvenu d'elle. Les maigres réminiscences qui me revenaient de temps à autres n'avaient jamais été précises. Il s'agissait plutôt de rétroversion, comme dans ces films moldus, (note : voilà que ce mot est finalement entré dans mon vocabulaire sans que je m'en rende compte !) où les seules images ne sont qu'un sourire évasif et une gracieuse chevelure, virevoltant et dansant à l'aide du vent... Cela finissant par l'inévitable dessin de la fatalité, représenté dans mon cas par une voiture, daignant ignorer un simple feu rouge. Mais c'était là tout ce qu'il me restait d'elle. Pas d'enterrement, de quelconque cérémonie ou même d'un moment heureux où elle m'emmène, jouette, dompter un cerf-volant fuschia dans un parc ensoleillé. Rien que ça. Ce que j'avais toujours redouté.

C'est alors que je me mis à divaguer sur autre chose. Sur Jenna. Elle que j'avais rencontré par pur hasard l'année d'avant, tandis que Chuck venait de l'ajouter à sa liste de monumentaux échecs. Nous étions devenus amis au fil du temps. Pourtant, c'était une poufsouffle et les préjugés voulait que nous nous entendions pas. Il en fut autrement car pleinement, j'emmerde les préjugés.
Et d'ailleurs, c'est même Jenna qui m'a conseillé de débuter l'écriture de ce journal - très subtilement, en me l'offrant dans le train de nos retrouvailles avec un sourire qui ne peut que la rendre encore plus charmante...

Enfin, toujours est-il que perdu dans mes pensées, j'entendis un grincement. Quittant ma ô combien confortable position, je me retournai dans tout les sens de manière très peu discrète afin de scruter qu'est-ce qui pouvait bien avoir provoquer ce grincement impromptu. Il s'agissait de Coraan, mon fidèle ami, qui faisait la moue sur sa caisse personnelle. Familier de ce genre de situation, je ne me fis pas prier et je me levai presque aussitôt,, mouvant de mon matelas au sien.

"Qu'est-ce que tu fais là encore ? Tu dors pas ?" lui chuchotai-je en adoptant la pose du psychiatre.
"Vraisemblablement. Je sais pas, c'est encore cette histoire de partis."
"Fait comme moi Co'. Laisse filer. On a d'autres priorités hein ?" répondis-je à l'aide d'un coup de coude.
"Comme tu dis, mais bon." conclu t-il avec un sourire.

Coraan, lui, adoptait la pose du penseur. C'était certainement l'une de ses préférés - et ça l'est toujours, je présume. Il est de loin l'une des personnes les plus malines et les plus intelligentes que je connaisse. Son seul soucis est peut-être d'avoir un avis trop tranché. Mais pour l'époque, je comprenais son tourment. Et pour cause, après avoir longuement insufflé, je poussa un soupire des plus silencieux afin de ne pas réveiller nos compagnons endormis.

Et c'est lorsque je voulu proposer à mon ami de prendre l'air que Chuck - l'inimitable marmotte du groupe - ouvrit un œil avant de s'étirer avec une discrétion qui dépassait l'entonnement.

A peine levé, notre compagnon de toujours avait inévitablement sortit une phrase ô combien perverse - bien qu'il s'agissait là d'un double-sens bien placé. Mais Chuck était donc irrécupérable. D'un autre côté, c'est ce qui a le don de plaire chez lui. Même dans une situation des plus malheureuses ou critiques, il est capable de nous redonner le sourire. Certaines filles le trouvent lourd, d'autres ont du mal à accepter son style et son mode de pensée mais je dois avouer qu'il doit être l'homme pour lequel j'ai le plus grand respect. Je n'irai pas jusqu'à dire qu'il déborde d'exceptions ou d'intelligence, mais c'était Chuck. Et c'était sa plus grande qualité.

Et pour le coup, il avait réussit à me faire rire. Afin de ne pas plus fatiguer nos camarades, j'avais mis ma paume sur ma bouche afin d'étouffer mon rire. Heureusement, car je détestai admettre que ses blagues douteuses me font marrer de temps à autres - et c'est toujours le cas d'ailleurs, il était trop préoccupé par la réponse de Coraan qu'il ne me vit pas.

Il enchaîna d'ailleurs assez vite.

"De quoi s'agit-il ?" demanda t-il alors.

Je fus le premier à répondre, profitant d'une reparti temporaire et d'un haussement d'épaule qui avait suivi mon timing.

"J'ai faim. Il a faim. Tu as faim."

Sans demander mon reste, je décidai de me sauver le plus furtivement possible, prenant au passage ma robe de sorcier et ma baguette afin de ne pas terminer en caleçon et sans arme devant des personnages mal-intentionnée. Sait-on jamais.

Je pris la direction de la salle commune. En réalité, j'avais vraiment faim. Le reste était un signal pour qu'ils me suivent. Je faisais rarement preuve d'assurance et d'autorité - bien que ce mot était un peu fort dans le cas présent - mais ce moment me semblait justement propice. Et puis de cette façon, nous allions peut-être avoir droit à une discussion plus ample et plus sérieuse.