Quelque chose s'achève, quelque chose commence (Draco & Julia)

Quelque chose s'achève, quelque chose commence - Draco & Julia
Sept. 98

Après sa dernière rencontre avec Eleanore, Julia avait fini par accepter qu'il était plus qu'improbable que Severus Rogue réponde à ses hiboux pour lui donner une interview. Qu'à cela ne tienne : elle n'allait pas abandonner pour autant (surtout que ce projet lui permettait de penser à autre chose qu'à Eleanore, pour une fois). L'aspirante journaliste avait alors décidé de se tourner vers un autre ancien Mangemort : un certain Draco Malfoy, qui avait une histoire apparemment complexe, mais qui avait également des liens avec Rogue que Julia n'arrivait pas à encore à définir. Elle avait un peu hésité avant de lui envoyer un premier hibou, l'adressant au manoir Malfoy sans être trop sûre qu'il était encore habité. L'endroit avait été connu pour être un QG de Voldemort l'année précédente, et sa démarche la mettait assez mal à l'aise. D'un autre côté, la communauté magique se posait des questions et Julia avait envie de leur apporter une réponse - si cela pouvait permettre à des personnes en quête de rédemption d'avoir une chance d'apporter la lumière sur ce qu'elles avaient fait, n'était-ce pas une démarche positive ? Dans sa lettre, elle s'était présentée, avait présenté le gros de sa démarche (faire un premier entretien pour parler plus en détail de son projet, et éventuellement commencer un premier entretien sur son histoire, sans obligations) et laissé des coordonnées où la joindre (le chaudron baveur). A sa grande surprise, l'héritier Malfoy avait répondu à sa lettre et avait accepté de la voir. Se doutant qu'il était dans une situation… compliquée, elle avait suggéré qu'ils se rencontrent dans un bar moldu - il y avait moins de chances que son passé le rattrape là-bas.

Ce qui nous amenait à cet instant. Les mains dans les poches, Julia attendait devant un petit pub dans une rue éloignée des grands axes. Comme Malfoy venait d'une famille de sang-purs, elle avait pensé qu'ils pourraient discuter un peu avant d'entrer, histoire de ne pas avoir à mentionner des mots sorciers en plein commerce Moldu et attirer une attention indésirable. Elle enfonça les mains un peu plus profondément dans ses poches en s'interrogeant sur sa démarche. Était-elle vraiment si nécessaire ? La communauté magique avait-elle besoin de s'attarder sur des plaies qui commençaient tout juste à cicatriser ? Elle soulagea sa conscience en se disant qu'elle ne s'était engagée à rien pour le moment, elle non plus. Il ne s'agissait que d'une première discussion, après tout. Un léger soupir lui échappa et elle consulta sa montre. Il n'avait que quelques minutes de retard, rien de grave, surtout si le quartier ne lui était pas familier. En relevant la tête cependant, elle aperçut une silhouette grande et mince, et le visage d'un jeune homme qui lui était familier. Tout le monde avait déjà eu affaire de près ou de loin à lui à Poudlard - et chez les Gryffondors, il n'avait pas été très aimé, même parmi la génération de Julia. Elle prit sur elle pour ne rien laisser paraître et sourit légèrement à son approche en lui tendant la main. "Bonjour, je suis Julia. C'est moi qui vous ai contacté il y a quelques jours. Je vous remercie d'avoir accepté de me rencontrer." L'habitude acquise dans ses derniers postes lui permettait au moins d'avoir l'air cordiale sans difficulté. "J'ai préféré vous attendre ici plutôt qu'à l'intérieur, je ne savais pas si vous connaissiez le quartier." Par chance, Julia était proche de ses grands-parents paternels. Elle était bien plus à l'aise dans le monde des sorciers, mais elle savait aussi se débrouiller chez les Moldus. Si besoin, elle prendrait le relais. "On peut tout à fait aller à un autre endroit qui vous convient mieux, si vous préférez." Autrement dit, dernière porte de sortie avant d'entrer en territoire moldu et à priori inconnu pour Malfoy.

Longtemps, Draco avait pesé le pour et le contre de cette décision, tenant entre deux doigts la lettre reçue par hibou au début de sa journée de repos. Il était question d'une potentielle interview concernant sa participation à la bataille et son changement de camp soudain. Des propositions de ce genre, il en avait reçu plusieurs, mais souvent venant de journaux voulant clairement faire de lui un méchant dans cette histoire. Ici, le jeune homme n'était pas certain que le projet était de lui causer davantage de torts. Au contraire, cette Julia avait une façon de s'exprimer plus sincère. Il n'avait pas l'impression qu'elle essayait de l'acheter avec de belles paroles. Mais dans sa situation, était-ce bien sage de prendre ce genre de risque et accentuer la colère des mangemorts envers lui ? Sa récente conversation avec Severus l'avait conforté dans l'idée qu'il devait faire attention à ses sorties, mais d'un autre côté cette femme lui proposait un étrange endroit pour se rencontrer : un bar moldu dans Londres. Draco n'avait jamais mis un seul pied dans ce genre d'endroit, mais il était en partie curieux de voir ce que ça avait de si différent. Et puis personne le connaissant un minimum n'irait le chercher dans le quartier moldu. Il devrait donc hypothétiquement y être incognito. Sa réflexion finalement terminée, il écrivit une réponse à la plume sur un bout de parchemin et renvoya le hibou à sa propriétaire. Il observa le volatile s'éloigner en se demandant qu'il venait de signer son arrêt de mort. De toute manière, il était trop tard pour changer d'avis.

Au moment de sortir, Draco enfila une tenue noire et élégante, ne connaissant pas trop le dress code d'un tel endroit. Son costume satiné devrait être parfait pour l'occasion. Il laissa tomber l'idée de mettre une cravate et laissa simplement sol col ouvert de deux boutons histoire d'être à l'aise. Dans la poche de son manteau, il glissa sa fidèle baguette et une potion de brouillard au cas où. Il était possible qu'il n'en ait pas besoin, mais en cas de pépin il pourrait la jeter au sol et disparaitre dans la brume. Il ne pouvait pas être trop prudent dans sa situation actuelle. Il transplana ensuite dans le quartier sorcier avant de se rendre chez les moldus à pieds, évitant ainsi d'attirer l'attention. Il portait une sorte de cape avec un large capuchon pour cacher sa chevelure trop reconnaissable. Ce n'est qu'en arrivant vers Julia qu'il enleva ce vêtement grotesque. Il l'écouta parler calmement et hocha la tête avec politesse. Le fait qu'elle soit restée dehors pour l'attendre était une délicate attention qu'il n'allait pas oublier. Plutôt confiant, il accepta de serrer la main qui lui était tendue.

« C'est aimable de votre part. Cet endroit m'arrange, même si j'y suis comme un poisson hors de l'eau. Si vous le voulez bien, je vais vous laisser passer devant pour ne pas avoir l'air ridicule. » Répondit-il avec une voix posée, neutre.

Même s'il faisait désormais des efforts pour être moins détestable qu'à l'époque, Draco ne pouvait pas totalement arrêter d'être lui-même. La fierté était toujours très ancrée dans son caractère et il refusait catégoriquement d'être touché par le ridicule, peu importe la situation.

« Entrons, je vous ai fait attendre suffisamment longtemps dans le froid. Je m'en voudrais de vous faire tomber malade. » Dit il en l'invitant à le précéder.

L'ex-mangemort n'avait pas l'air de prendre les jambes à son cou en la voyant. C'était déjà un premier point positif. Fidèle à lui-même, en tout cas à l'image qu'il renvoyait déjà à Poudlard, Malfoy s'était habillé avec élégance et Julia se sentit légèrement déplacée avec sa veste usée, son pull en laine vert aux manches trop longues et ses bottines qui avaient bien besoin d'un coup de brosse. Elle ne se laissa pas impressionner pour autant, et lorsqu'ils se serrèrent la main, sa poigne était ferme, mais sans brusquerie. Elle sourit pour elle-même à la réponse de Malfoy : il était loin d'avoir l'air ridicule, au contraire, s'il se faisait remarquer jusque-là, c'était plutôt parce qu'il avait l'air de quelqu'un qui ne s'abaisse pas à fréquenter un pub moldu. Mais en tant que sang-pur (et au vu de ses anciennes convictions), il n'avait sûrement pas beaucoup fréquenté ce genre d'endroits. "Je me doute que vous n'êtes pas en terrain connu, mais n'hésitez pas à suivre ce que je fais, vous verrez, ce n'est pas si différent de ce dont vous avez l'habitude. Si vous avez le moindre doute sur la conduite à tenir, n'hésitez pas à me faire signe, nous irons prendre l'air dehors et je pourrai répondre à vos questions." Julia lui adressa un nouveau sourire cordial avant de pousser la porte du pub. Elle tint la porte pour Malfoy tout en saluant l'homme qui se trouvait au comptoir, et en indiquant qu'ils seraient deux. A cette heure-ci de l'après-midi, il n'y avait presque personne, ils seraient tranquilles et ils avaient l'embarras du choix. Julia les guida jusqu'à une petite table dans un coin, histoire de ne pas être au milieu des passages de tout le monde. Elle lui laissa le choix de la place (face ou dos à la porte ?) avant de s'installer sur la chaise qu'il restait, déposant sans veste sur le dos de sa chaise sans grande délicatesse. A dire vrai, elle avait encore un peu froid et elle avait hâte de commander un chocolat chaud pour se réchauffer. En même temps qu'elle jetait un coup d'œil à la carte par principe, elle sortit de sa poche un petit objet qu'elle déposa sur la table, entre Malfoy et elle. "C'est un dictaphone, si ça ne vous gêne pas, je l'utiliserai pour enregistrer notre conversation. Ca m'évitera d'avoir à prendre des notes, et ça sera plus facile pour discuter." précisa-t-elle à l'attention de l'ex-mangemort. Offert par sa grand-mère paternelle ("Tous les journalistes de mon monde ont ça !"), c'était un des objets les plus précieux que Julia possédait. Elle s'apprêtait à proposer son aide sur le choix des boissons lorsque l'homme qui les avait installé revint pour prendre leur commande. Plutôt rapide, mais cela permettrait d'abréger le moment un peu gênant où aucun des deux n'osait se lancer car ils savaient qu'ils allaient être interrompus à tout instant. "Un chocolat chaud pour moi, s'il-vous plaît." Julia observa en coin Malfoy, étudiant ses réactions, cherchant à jauger son humeur et son enthousiasme à participer à cet entretien. Lorsque la commande fut prise, elle prit à nouveau la parole. "Avant que nous commencions, j'ai quelques précisions à apporter. Déjà, si vous souhaitez arrêter cette discussion, vous êtes libre de le faire à n'importe quel moment. Deuxièmement, je comprends tout à fait que vous ayez des réticences à parler de votre histoire, alors si vous avez la moindre hésitation sur ma démarche et ce que je souhaite faire de votre témoignage… Enfin bon, posez-moi toutes les questions que vous voulez. Et dernier point… Désolée mais j'ai vraiment du mal avec le vouvoiement, je vous ai vu plusieurs fois à l'école. On peut peut-être se tutoyer ?" Julia posa cette dernière question avec un léger sourire, laissant la question en suspend : l'homme revenait avec leur commande.

Le fait que cette femme connaisse aussi bien le fonctionnement des bars moldus avait le don de rassurer Draco autant que de l'inquiéter. Dans un sens, il était certain de ne pas avoir l'air ridicule ou suspect de cette façon, mais cela voulait également dire qu'il trainait avec quelqu'un que sa famille aurait jugée " inappropriée ". Petit à petit, il prenait le large et se détachait de l'éducation que ses parents avaient buriné dans son cerveau, mais certaines habitudes avaient la peau dure et il ne pu s'empêcher de froncer légèrement les sourcils en entendant la journaliste prétendre que les bars moldus n'étaient pas si différents de ceux du monde magique. N'étaient ils pas inférieurs ? Il se refusa à poser la question à haute voix et préféra penser que le sourire de la jeune femme n'était pas de la moquerie. Autrement, ce rendez-vous n'irait pas bien loin. Il hocha la tête brièvement pour indiquer qu'il avait compris les instructions et qu'il n'hésiterait pas à lui demander de sortir si quelque chose le perturbait trop. Ensuite, il lui emboita le pas et pénétra dans l'étrange bar. L'endroit était calme, peu fréquenté, exactement ce dont Draco avait besoin en ce moment. Néanmoins, par sécurité, il choisit la chaise face à la porte afin de toujours voir du coin de l'œil l'identité des clients qui entraient. Bien sûr, tourner le dos à l'entrée aurait pu l'aider à rester incognito, mais le jeune Malfoy préférait largement voir les ennuis arriver de loin plutôt que faire l'autruche en espérant passer entre les mailles du filet. Intrigué, il observa l'étrange appareil moldu posé sur la table, presque comme s'il s'attendait à ce que ça lui saute à la figure. Ce n'est qu'une fois l'explication de Julia exprimée qu'il accepta de se détendre et ignorer cet engin infernal.

« Si c'est vraiment nécessaire, je tâcherai d'ignorer qu'il est là. » Répondit-il avec un ton neutre.

Tout comme la journaliste, Draco commanda un chocolat chaud et demanda qu'on ajoute de la cannelle dans le sien. Il aimait les choses épicées, peu sucrées. Son chocolat chaud se devait d'être préparé avec du chocolat noir. Cette commande passée, il reporta son attention sur son interlocutrice qui s'était lancée dans une longue explications des termes de cette interview. Il l'écouta sans se laisser distraire, conscient que connaître les règles d'un échange était capital pour maitriser la conversation et ne pas la subir. Une fois encore, il hocha la tête. Les points soulevés par Julia étaient tous acceptables après tout.

« Très bien. Pourquoi pas après tout. Tu n'es pas beaucoup plus âgée que moi, ça ne me parait pas grotesque d'éviter le vouvoiement. Pour ce qui est des choses que je souhaite ou pas aborder, je vous dirai simplement de passer à la question suivant si l'une d'elles me dérange. Sachez cependant que dans ma situation, rien ne me mettra plus en danger que je ne le suis déjà. J'espère en revanche que vous savez dans quoi vous mettez les pieds. »

Toujours calme et posé, il saisit la tasse de chocolat chaud déposée devant lui et en but une gorgée. L'équilibre entre le sucre et la cannelle était parfait et la chaleur du breuvage lui donna du courage pour la suite de l'échange.

Sans être complètement réfractaire, Malfoy n'avait pas l'air… très heureux d'être là. Ce n'était pas très grave en soi, mais ce n'était pas très engageant pour Julia qui faisait de son mieux pour cacher son appréhension. Si elle avait physiquement face à elle un garçon à peine sorti de l'adolescence, qui avait presque l'air de jouer à être une grande personne avec sa commande très précise de chocolat chaud dans son costume noir, elle devait garder la tête froide et se rappeler qu'il était un ex-mangemort. C'était potentiellement quelqu'un de dangereux, pour elle, et pour tous ses proches. Ce qu'il ne manqua d'ailleurs pas de lui rappeler, provoquant un léger froncement de sourcils de la part de l'ex-Gryffondor. La mise en garde - menace ? - de Draco lui rappelait les corps ensevelis sous les décombres à Poudlard. Et il faisait partie des gens qui avaient provoqué ça. Le contraste entre les deux scènes - le pub moldu d'un côté, le champ de bataille de l'autre - était déstabilisant.
Malgré elle, son attitude se renferma légèrement. "C'est gentil de ta part de t'inquiéter pour moi." Julia préféra répondre avec une pincée de sarcasme en se retenant d'ajouter que c'était un changement d'attitude plutôt sympathique après Poudlard et son passé de mangemort. Elle n'allait quand même pas se fermer et être désagréable alors que l'entretien venait tout juste de commencer... Julia adressa un sourire en coin à Malfoy en prenant elle aussi une gorgée de son chocolat chaud pour se donner un peu de contenance avant de commencer.

"Bon, c'est parti alors." Elle appuya sur le bouton pour démarrer l'enregistrement sur son dictaphone avant de replacer ses mains de façon à ce qu'elles entourent sa tasse. "Comme je te le disais, j'aimerais avoir ta version des faits sur… toi, en fait." Julia fit un geste vague de la main, comme pour englober l'ensemble du conflit qui avait secoué leur communauté ces dernières années. Elle laissa ensuite planer un court silence. "Tu as décidé de ne pas retourner à l'école cette année. A la place, tu es devenu médicomage. Pourquoi ce choix ?" demanda-t-elle avec délicatesse mais fermeté. Julia lança cette question comme une invitation : Malfoy pouvait parler de son métier, des raisons qui l'avaient poussé à choisir cette voie, se justifier… L'autre avantage était bien sûr de ne pas attaquer directement par le gros du sujet, à savoir la partie où il prêtait allégeance à Vous-Savez-Qui et torturait des gens, et comment on en arrivait là. Reprenant une gorgée de chocolat chaud -  très sucré, pile comme elle l'aimait - elle observait Malfoy par-dessus sa tasse. Ses réactions physiques lui en diraient autant que les paroles qu'il prononcerait.

Le sarcasme dans la voix de Julia, loin d'agacer Draco, lui fit un peu plaisir. Il aimait les personnes avec du caractère et il se serait ennuyé face à une petite chose fragile et angoissée par sa présence. Cette femme, au contraire, ne semblait pas du tout effrayée par lui ni par sa mise en garde. Bien. Il fallait avoir de l'audace et du répondant pour faire ce qu'elle faisait. Il s'autorisa un demi-sourire en réponse à celui en coin de son interlocutrice. L'échange s'annonçait plus intéressant que prévu. Il la laissa démarrer son étrange appareil s'enregistrement et écouta ses questions avec attention. Jusque là, rien ne lui semblait anormal ou inattendu, c'était généralement ce qui intriguait le plus les gens autour de lui. Son passé houleux et ses choix pour le moins surprenants. Il hocha la tête calmement pour lui indiquer qu'il avait saisi ce qu''elle demandait, surtout avec des interrogations aussi larges. Elle connaissait indubitablement son métier et savait comment laisser la place aux gens de parler librement, quitte à parfois en dire...un tout petit peu trop. Cela ne risquait pas de lui arriver cela dit. Draco avait appris à faire très attention à ses paroles et à tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de parler.

« Je ne me voyais pas retourner à Poudlard après tout ce qui s'y était passé et j'avais déjà appris tout ce dont j'avais réellement besoin. Après avoir fait autant de mal autour de moi, j'imagine que j'ai choisi la médicomagie pour me sentir utile et faire quelque chose de bien. Aider la vie au lieu de la menacer, quelque chose dans ce goût là. » Répondit-il le plus honnêtement possible.

Il ne comptait pas se cacher dans le déni et ignorer le fait qu'il avait causé des tourments à bien des personnes. Bien qu'il n'ait jamais tué qui que ce soit, il avait participé au méfait de manière indirecte et dire que ses parents l'y avaient forcé n'était qu'une semi-excuse. Il avait surtout eu trop peur pour se rebeller et choisir le bon côté de la guerre. Ce n'était pas ainsi qu'on l'avait éduqué. Il ne souhaitait pas se faire passer complètement pour une victime même s'il avait conscience d'en être une sous certains aspects. Il n'avait pas le droit de se prétendre innocent, loin de là.

« On ne m'a jamais appris à être courageux, ni même heureux pour ce que ça vaut. On m'a appris à exiger ce que je désirais et à ne reculer devant rien pour l'obtenir. On m'a aussi appris à craindre Voldemort et à me soumettre à lui. Je ne connaissais rien d'autre que ça. J'ai eu du mal à m'affranchir de l'éducation que j'avais reçue et c'est un travail quotidien de réapprendre comment me comporter avec les gens. » Avoua-t-il sans réelle honte.

Pour avancer, Draco avait bien été obligé d'admettre ses propres imperfections et de faire des efforts pour sortir de la case dans laquelle il s'était lui-même enfermé au fil des ans. Il glissa son regard dans celui de Julia, pensif. Fut un temps où il l'aurait détestée pour sa maison, pour son caractère insoumis, pour son sang impur. Mais plus maintenant. Il voyait dans ses yeux une force qu'il admirait. Une lueur au creux de ses pupilles qui lui faisait malgré lui un petit quelque chose. La demoiselle n'était pas désagréable à regarder. Elle était même franchement séduisante.

Julia écouta la réponse de Malfoy à sa question avec toute l'attention dont elle était capable. En fait, elle était si concentrée sur lui qu'elle n'avait même pas repris de gorgée de son chocolat chaud - pourtant excellent. Elle eut simplement un léger frisson de malaise lorsqu'il mentionna le nom de Vous-Savez-Qui : Julia, elle, n'avait jamais pu s'y résoudre. Le fait qu'il le fasse montrait qu'il était soit très courageux, soit inconscient, soit (et Julia penchait plutôt pour cette dernière option) complètement désensibilisé à ce qu'il avait représenté. Cela étant, Malfoy avait beau avoir l'air fatigué de quelqu'un hanté par son passé, lorsqu'il prenait la parole pour s'exprimer, il gagnait en prestance de façon impressionnante. Il n'avait pas besoin d'élever la parole pour que Julia l'écoute, et son attitude trahissait son éducation. Il parlait avec calme et fermeté, et la jeune serveuse pouvait deviner qu'il avait l'habitude qu'on l'écoute, voir même qu'on lui obéisse à l'oeil. Cela changeait beaucoup de la personne qu'elle avait pu voir à Poudlard, un adolescent vantard qui tirait satisfaction à faire souffrir les autres. Devant elle, plusieurs années plus tard, il expliquait ses comportements. Sa démarche tenait bien à ça plutôt qu'à la recherche d'excuses, elle le sentait. Il avait besoin d'expliquer, peut-être même simplement de trouver une oreille attentive à ses problèmes. En avait-il jamais eu une ? Julia ne put s'empêcher de se poser la question lorsqu'il mentionna son éducation stricte, et elle ressentit un léger pincement au cœur.

"Ca doit être terrible, de grandir comme ça." Le ton de Julia était presque factuel : elle n'était pas du genre à avoir pitié des autres, et encore moins à le montrer. "Tu viens de mentionner ton éducation, à quoi ça ressemble, une éducation de mangemort ?" Julia posa plusieurs questions de ce genre, n'hésitant pas à faire de son mieux pour ne pas laisser l'ambiance s'appesantir trop. Bien sûr que le sujet était grave, mais plus Draco répondait à ses questions, plus elle avait d'empathie pour lui. Il avait l'air d'avoir évité le plus possible de faire du mal aux autres même si ça n'avait pas toujours été possible, évidemment, et il ne lui apparaissait pas comme quelqu'un de fondamentalement désagréable tel qu'il était aujourd'hui. Un peu cynique, très terre à terre, charmeur sans faire l'effort de l'être. Elle appréciait même sa compagnie, et elle aurait presque oublié le but de l'entretien. Presque.

Elle ne savait pas vraiment combien de temps s'était écoulé lorsqu'elle appuya sur le bouton du dictaphone qui trônait à côté de leurs tasses (maintenant vides) pour finir l'enregistrement. Elle s'autorisa un léger soupir et s'étira un peu sur sa chaise. "Tout ce que tu dis à partir de maintenant n'est plus enregistré, j'ai coupé l'appareil." Julia sourit à Draco en l'informant de ce qu'elle venait de faire, rangeant le dictaphone dans sa poche au passage. "Merci encore d'avoir accepté de me parler, c'était… vraiment très intéressant," conclut-elle faute d'un meilleur terme. Sa propre maladresse la fit légèrement rire, et elle se pinça légèrement l'arête du nez. "Désolée, ce n'était peut-être pas très approprié. Est-ce que..." Julia se mordilla brièvement la lèvre. Ce qu'elle s'apprêtait à proposer n'était peut-être pas sa meilleure idée… Mais c'était soit ça, soit elle rentrait chez elle broyer du noir en pensant à Eleanor. Et franchement, Julia avait bien besoin de se changer les idées. "Je peux t'offrir un verre pour te remercier de ton temps et d'avoir répondu avec autant de patience à mes questions ?"

Une à une, les questions de Julia vinrent faire remonter les souvenirs de Draco. Pour la plupart, des souvenirs qu'il n'avait pas envie de remuer. Pourtant, par honnêteté et par envie de peut-être se sentir compris, il s'efforça d'y répondre à chaque fois sans tenter de se dérober. Il étala sa vie de d'enfant de mangemorts sur l'étrange appareil d'enregistrement de la jeune femme, ne se cherchant pas spécialement d'excuses ou à se poser en martyr. Il avait fait de mauvais choix car il était humain et il en payait le prix. Ni plus, ni moins. Il se sentit tout de même soulagé lorsque son interlocutrice fit s'arrêter l'enregistrement et le remercia d'avoir accepté de lui parler. Il aurait pu refuser en effet, mais avait-il encore des choses à cacher après toute cette histoire ? Pas tellement, non. Le terme " intéressant " utilisé pour qualifier le récit de sa vie et des atrocités dont il avait été témoin le fit un peu grimacer, mais il n'en tint pas rigueur à Julia, surtout qu'elle sembla tout de suite prendre conscience de son erreur et s'en excusa. Ses paroles suivante en revanche perturbèrent le jeune homme qui haussa un sourcil intrigué sans chercher à cacher son nouvel intérêt. Un mince sourire étira ses lèvres.

« Eh bien... Je n'ai pas fait ça dans un but intéressé, mais je ne suis pas contre l'idée. Un verre me ferait du bien après tout ça, surtout en si charmante compagnie. » Répondit-il calmement.

La flatterie n'allait probablement pas l'emmener bien loin avec cette femme. Elle avait l'air trop fière et trop féroce pour se laisser influencer par de belles paroles. Pour le coup, Draco avait simplement dit ce qu'il pensait, même s'il devait beaucoup donner l'impression de l'avoir draguée exprès. Il aurait fallu être fou ou aveugle pour ne pas voir à quel point Julia était belle, et le jeune homme était très seul, pour ne pas dire malheureux. Un peu de compagnie, ne serait-ce que le temps d'un verre, ne pouvait pas lui faire de mal. Il fit signe au serveur qui vint ramasser les tasses de chocolat chaud désormais vides depuis un moment. Il en profita pour prendre leur nouvelle commande. En bon gentleman, Draco laissa la jeune femme choisir d'abord, puis il commanda à son tour un verre de bourbon. Malgré son âge plutôt jeune, il avait commencé à boire de l'alcool assez tôt et n'avait aucun mal à tenir ce genre de boisson un peu forte. Non pas qu'il soit du genre à en abuser, mais ça pouvait être agréable par moment. Une fois le serveur parti, il reposa son regard sur Julia.

« À quoi pourrions-nous bien trinquer ? » Demanda-t-il.

Le temps que les verres arrivent, ça laissait le temps d'y réfléchir, d'autant que Draco n'avait pas grand chose dans sa vie actuelle qui mérite d'être célébrée, hormis le fait d'être encore en vie. Et encore. Parfois il n'était plus tellement sûr que ce soit une si bonne chose que ça.

Avec tout ce qu'elle venait d'entendre sur l'éducation de Malfoy, Julia n'aurait pas trop su dire s'il s'agissait d'un compliment de convenance ou d'un sincère, mais à vrai dire, ça n'avait pas trop d'importance pour elle. Elle était simplement rassurée de ne pas avoir à rentrer chez elle et affronter le silence pesant de son appartement ou pire encore, ses propres pensées. Julia se contenta donc de répondre avec un air modeste et un sourire un peu vague, quoi qu'elle devait bien avouer qu'elle appréciait la flatterie du jeune homme. Après s'être fait larguer comme un sac, entendre ce genre de compliment - et il devait être sincère, surtout vu la conversation qu'ils avaient eu auparavant - n'était pas désagréable.  

Draco prit immédiatement les devants et appela le serveur pour passer la nouvelle commande. Motivé, le garçon. Le sourire de Julia s'élargit et elle l'observa d'un nouvel œil. Pour quelqu'un à qui on avait inculqué que les Moldu.es étaient des moins que rien, il n'en montrait rien et se débrouillait parfaitement dans un pub d'un monde qui lui était inconnu. Julia commanda une pinte, et elle leva un sourcil lorsque Draco commanda un bourbon. C'était tellement cliché qu'elle faillit éclater de rire, et elle se retint de justesse pour ne pas le froisser. A la place, elle fit mine de réfléchir à la question qu'il lui avait posée. "Vraie question, après tout ce que tu m'as dit," répondit-elle pour souligner qu'elle avait saisi l'ironie de la situation. Elle n'avait pas grand chose à célébrer de son côté qu'il semblait être en mesure de partager avec elle. Le serveur arriva avec leurs verres - une nouvelle fois en un temps record.

"Disons… Aux nouveaux départs ?" proposa Julia, l'air de nouveau sérieuse, en prenant sa pinte et la levant pour trinquer avec l'ex-Serpentard. Elle espérait lui faire comprendre avec sa suggestion qu'elle avait envie de croire à tout ce qu'il lui avait dit jusque-là, qu'elle comprenait (jusqu'à un certain point). Elle ne partagea pas la façon dont cette proposition s'appliquait à elle, préférant se concentrer sur son interlocuteur. "Je dois dire que tu as l'air beaucoup moins dépaysé que ce que je craignais, au final. Des choses à cacher, Malfoy ?" Le ton de Julia se fit taquin - il était évident qu'elle plaisantait, vu le niveau de la remarque qui tenait plus de la discussion entre amis qu'autre chose. Il était improbable que l'ex-mangemort fréquente des Moldues dans son temps libre, mais elle se surpris à être véritablement curieuse de la réponse qu'il pourrait apporter. Maintenant qu'elle avait quitté son attitude "professionnelle", elle était curieuse de voir si Malfoy se montrerait aussi flatteur avec elle. Si elle devait être honnête, elle devait admettre qu'elle espérait que oui. En prenant une gorgée de sa bière, elle se fit la réflexion qu'il était lui-même loin d'être désagréable à regarder, en plus d'être de bonne compagnie, et que ce serait dommage que la soirée tourne court si tôt.

Dans le fond, ce bar moldu n'était pas bien différent d'un bar de sorciers, même si les clients, le personnel, et les boissons différaient légèrement de ce dont il avait l'habitude. À une certaine époque, Draco n'aurait pas pu admettre qu'il ne se sentait pas plus mal dans ce genre de bar qu'au Chaudron Baveur, non pas sans craindre de prendre un coup de canne de la part de son père. Aujourd'hui, c'était encore difficile de le dire à haute voix même s'il ne craignait plus de le penser. Il ne détestait pas les moldus. Bien sûr il ne les portait pas non plus dans son cœur, mais... il ne leur souhaitait pas nécessairement du mal. Il préférait tout simplement s'en désintéresser. Le jeune homme apprécia que son interlocutrice n'essaye pas d'être hypocrite en lui disant qu'il avait tort, qu'il avait des tas de choses à célébrer en trinquant. Elle admit avec honnêteté que ce n'était pas si simple à trouver et cela lui fit du bien. Quelqu'un reconnaissait la difficulté de sa situation sans les diminuer. Draco referma sa main autour du verre de bourbon déposé devant lui par le serveur et planta son regard dans celui que la jeune femme face à lui. Elle avait de jolis yeux, clairs et expressifs. Il fit un mince sourire lorsqu'elle tendit sa pinte vers lui. Il hocha la tête et trinqua avec elle.

« Très bien. Aux nouveaux départs. » Répondit-il avant de prendre une petite gorgée de son verre de bourbon.

La boisson, fortement alcoolisée, lui brûla un peu la gorge mais de façon agréable. Il aimait cette chaleur réconfortante qui se dégageait de ce genre de boisson. Peut-être même un peu trop pour quelqu'un de son âge. Néanmoins, Draco avait cessé de s'occuper de ce que les gens pouvaient bien penser de ce qu'il faisait. Avec tout ce qu'il avait fait jusqu'à maintenant, ce n'était pas un peu de bourbon ou de cognac qui allait changer vraiment quelque chose à son image. La manière dont Julia le taquina sur son comportement dans un bar moldu ne le fit pas tiquer. Au contraire, il sourit à nouveau avec amusement. Décidemment, cette fille avait du caractère. Et il aimait ça.

« Ce n'est pas aussi différent d'un bar sorcier que ce que j'imaginais. Je n'ai pas grand chose à cacher, ceci-dit. Navré de décevoir ta curiosité de journaliste. J'espère que tu ne me trouve pas ennuyeux pour autant. »

En effet, ce n'était pas dans son intérêt d'avoir l'air barbant maintenant, alors qu'il était en compagnie d'une femme qui - avouons le - lui plaisait carrément. Il aurait aimé faire durer la soirée et lui apporter un peu de divertissement, même si Draco avait conscience de ne pas être l'homme le plus hilarant de la planète. Il n'y avait pas de mal à vouloir passer un agréable moment, après tout ce qu'il avait vécu. Et puis jusqu'ici, Julia n'avait pas l'air opposée à l'idée de mener cette interview...plus loin que prévu.

Il sembla à Julia qu'une fois le dictaphone coupé et les verres entrechoqués, Malfoy avait réussi à se détendre un peu. Les sourires échangés par-dessus leurs verres ne contredisaient pas cette impression - d'autant que le sourire de Malfoy lui adoucissait le visage et le rendait plutôt attirant. En plus de cela, ce devait être la première fois depuis le début de leur échange qu'elle ne le sentait pas sur le qui-vive. Tant mieux. Il en avait certainement bien besoin. Il n'y avait pas de mal à sympathiser un peu avec Malfoy, non ? Il avait bien changé depuis… l'année précédente. Julia repris une gorgée, histoire de se donner contenance - et de focaliser ses yeux sur autre chose que ceux de son interlocuteur. Impossible de s'en détourner bien longtemps, cependant. La réponse de l'ex-Serpentard à sa taquinerie la fit rire légèrement. "Oh non, je suis vraiment très déçue. Je voyais déjà le scoop affiché à la une de tous les journaux." Julia souligna le trait d'humour en y mettant le ton et en affichant une moue déçue, mais elle ne put retenir un léger rire.

Prenant une nouvelle gorgée, elle se remit à observer Malfoy. Effectivement, il apparaissait bien plus serein et plus maître de lui, et ce n'était pas pour lui déplaire. Maintenant qu'elle sortait de sa concentration de journaliste, elle était forcée d'admettre que son attitude à la fois charmeuse et détachée et son regard perçant ne la laissaient pas indifférente. "Rassure-toi, je ne te trouve pas ennuyeux du tout. Bien au contraire." reprit-elle plus sérieusement en appuyant légèrement sa dernière phrase, un sourire en coin tout en observant la réaction de Malfoy par-dessus son verre. Elle laissa un battement, le temps de laisser planer son propos, mais pas assez pour qu'il réponde. Sans être encore sûre de vouloir s'engager à quoi que ce soit dans cette soirée, elle se dit qu'un flirt subtil n'allait faire de mal à personne. "Et qui te dit qu'il s'agit de curiosité journalistique ? Ah, tu me blesses, à penser que je ne suis qu'à la recherche de scandales…" renchérit-elle, l'air faussement meurtri maintenant. Elle espérait tout de même  que ce n'était pas ce que Malfoy avait pensé d'elle. Julia était bien au courant de la réputation que les journalistes pouvaient avoir et c'était une chose qu'elle redoutait souvent, de voir toutes ses relations s'étioler à cause de sa vocation. Bah, il n'était pas tant l'heure de ressasser ces sombres pensées ; Julia préféra reprendre une gorgée de sa pinte. A vrai dire, elle avait hâte d'atteindre le stade d'ivresse légère où elle ne ressentait plus le besoin de calculer tous gestes et dires, tout en restant maîtresse d'elle-même. Avec un tel compagnon de soirée, cela promettait une soirée riche en événements.

Les allusions de Julia et son air faussement outré ne laissaient pas beaucoup de doutes à Draco sur la nature de la relation qui était en train de s'installer entre eux, l'alcool aidant certainement les deux sorciers à se détendre. Comme le médicomage ne manquait pas d'assurance, il n'avait pas spécialement peur de ne pas plaire ou de mal interpréter les paroles de son interlocutrice. Il pouvait deviner une attraction dans son regard lorsqu'elle le détaillait et ce n'était pas désagréable. Par ailleurs, lui aussi s'autorisa à mieux l'observer. Julia était une très belle femme, indéniablement. Il songea avec un petit sourire que si la soirée se prolongeais chez l'un ou chez l'autre, ce ne serait pas pour lui déplaire. Le serveur, comprenant à la perfection son rôle, vint les resservir régulièrement et un léger état d'ébriété s'empara de Draco. Plus naturel, il riait aux plaisanteries de Julia et ne cachait rien de son intérêt envers elle. À quoi bon ? Il n'y avait pas de honte à avoir.

« Si toutes les journalistes étaient aussi charmantes, les interviews seraient bien plus agréables. Surtout si elles se terminent toutes aussi bien. » Dit-il sans la moindre nervosité.

Pendant un instant, il songea à quel point ses parents désapprouveraient ce comportement et cette fréquentation. Et là où il aurait autrefois ressenti de la crainte et de la culpabilité, il se sentit plus vivant et plus libre que jamais. Il pouvait bien draguer qui il voulait, ça ne regardait personne et il n'avait pas de comptes à rendre à qui que ce soit. Le fait que Julia aurait déplu à Lucius rendait ce jeu de séduction encore plus attrayant à ses yeux, comme un geste de rébellion bien mérité. Fini le fils parfait et l'entourage toxique. Fini les bals et les fêtes mondaines visant à lui faire rencontrer tous les bons partis au sang-pur. Plus personne n'allait contrôler sa vie et ses choix, il s'en était fait la promesse et il comptait bien s'y tenir. Avec un air décidé, Draco bu une nouvelle gorgée de bourbon qui lui réchauffa la gorge.

« Si mon père était là, il ferait une jaunisse et me menacerait avec sa canne pour être venu dans un tel endroit avec une personne comme toi. Heureusement je me fiche de son avis désormais et je suis bien content de cette rencontre. »

Il n'y avait pas une once de mensonge dans cette affirmation. Draco pensait chaque mot prononcé et à aucun moment il ne détourna les yeux de ceux de Julia pour qu'elle ne puisse rien rater de son honnêteté implacable.

Cet échange n'avait été que le début d'une soirée fort agréable. Le léger jeu qui s'était installé avait continué dans une direction qui ne déplaisait pas à Julia. Draco n'était pas le premier à la dévisager de cette façon, et puis ne nous mentons pas : au fur et à mesure que son taux d'alcoolémie augmentait, Julia se privait de moins en moins pour lui rendre ces regards. L'idée - la potentiellement très mauvaise idée - qui lui était venue lorsqu'elle finissait son premier verre se cristallisait de plus en plus dans son esprit. Imitant inconsciemment Eleanor, Julia reprit une gorgée avant de glisser sa langue sur ses lèvres, sur lesquelles s'étirait un sourire narquois. "Drôle de façon de faire des compliments, non ?" Julia laissa s'écouler une ou deux secondes, le temps que Draco se rende compte de la maladresse de son compliment - car vu l'intensité de son regard, il n'y avait aucun doute, il l'avait pensé comme tel, même si des traces de sa certitude d'obtenir sans effort tout ce qu'il voulait subsistaient dans cette formulation. C'était attachant, quelque part. Très différent de ce qu'elle avait vécu avec Eleanor. Parfaitement ce qu'il lui fallait, en fait. "Au moins maintenant tu es libre de choisir," ajouta-t-elle avec douceur cette fois-ci. Il ne faisait aucun doute qu'il vivait mal sa situation (il y avait de quoi) et elle n'avait pas vraiment envie de gâcher la soirée… Mais elle n'avait pas envie de s'appesantir sur leurs soucis respectifs non plus.

"Tu peux choisir de… prendre un dernier verre chez moi, par exemple," ajouta Julia, enhardie par l'alcool et la possibilité de ne pas rentrer chez elle seule. Les yeux rendus pétillants par les verres successifs, elle non plus n'avait pas détourné le regard de celui de Malfoy, faisant tourner légèrement son verre dans sa main, retenant un sourire malicieux en se mordillant les lèvres. Elle en avait assez de tourner autour du pot. Elle n'avait pas envie de rentrer seule, et une fois l'espèce de mur qu'il avait érigé autour de lui pour se protéger abattu, il était plutôt ouvert et… allez, disons-le, séduisant. La façon dont elle le dévisageait ne laissait aucun doute quant à ses intentions - elle espérait simplement ne pas s'être trompée en assumant que c'était réciproque.

Inquiet de ne pas être pris au sérieux, Draco n'avait pas songé une minute que ses propos seraient mal reçus. La remarque de Julia lui fit comprendre immédiatement son erreur et il se mordilla la lèvre, signe qu'il regrettait de s'être exprimé aussi maladroitement. Bien sûr, la désigner par le terme " une personne comme toi " n'était déjà pas très malin, mais en plus ce n'était vraiment pas le moment de rappeler que son père aurait désapprouvé qu'il lui adresse la parole. Ce qu'il voyait comme un compliment pour être allé à l'encontre de son éducation par intérêt pour sa personne... Pouvait en fait sonner comme s'il la regardait de haut. Il fut soulagé de sentir son interlocutrice laisser tomber cette maladresse pour revenir à une ambiance plus agréable. Et malgré son attitude d'habitude plutôt fière et détachée, Draco du se racler la gorge un instant pour cacher son embarras lorsque Julia lui proposa d'aller boire un dernier verre chez elle. La proposition bien plus audacieuse et à peine dissimulée derrière celle-ci ne pouvait pas lui échapper. Même s'il y avait songé et en avait très envie, le jeune homme se sentait désarçonné par l'absence d'hésitation chez la demoiselle. Eh bien... elle ne passait pas par quatre chemins, au moins. Avec un sourire amusé, il l'observa passer sa langue sur ses jolies lèvres roses et les mordiller avec un air qui ne laissait aucun doute sur ses pensées. Aussi calmement qu'il le pouvait, Draco liquida le fond de son verre avant de répondre.

« Je ne vois pas comment je pourrais refuser une invitation aussi agréable. »

Gentleman, il régla les boissons de sa poche, même s'il ne doutait pas que Julia puisse gérer ses propres dépenses. Il n'y avait là rien de macho, juste une envie de faire plaisir puisqu'il pouvait se le permettre. Et puis ça ferait les pieds à son père de savoir qu'il avait utilisé son argent sale pour offrir de l'alcool à une jolie gryffondor. C'est avec un nouveau sourire charmeur qu'il tendit ensuite son bras à la demoiselle pour l'inviter à s'y accrocher. Il ne savait pas où ils allaient et il fallait sortir de ce bar moldu pour trouver un coin où transplaner. Draco n'était pas opposé à l'idée de se laisser guider par sa compagne de la soirée.

« Je te suis. »

Draco pouvait bien se donner tous les grands airs qu'il voulait, il n'en restait pas moins un garçon à peine sorti de l'adolescence, l'éducation de fils de bonne famille lui collait à la peau. Devant son embarras, le sourire de Julia s'étira, et elle se mordilla inconsciemment la lèvre inférieure. Il était beaucoup plus mignon et attrayant lorsqu'il perdait un peu ses moyens, et elle sentait qu'il y avait moyen qu'ils passent une très bonne soirée. Elle ne put s'empêcher de rire en voyant la vitesse à laquelle il finit son verre et l'empressement qu'il avait mis à régler leurs consommations. Elle se fit une note mentale de le rembourser - en argent sorcier - à un moment donné où il ne regarderait pas. Une fois ce détail réglé, elle prit le bras de Draco avec un sourire en se tenant bien plus près de lui que nécessaire, s'imprégnant un peu de sa personne. Légèrement ivre, son "Après toi" de gentleman la fit rire, mais elle ouvrit néanmoins la marche.

"Désolée par avance, mon appartement n'a rien d'un palace," fit-elle d'un ton faussement apitoyé. Elle fut rassurée de voir qu'elle tenait assez bien ses consommations pour guider Draco en ligne droite jusqu'à la ruelle où elle avait transplané à l'aller, continuant à échanger des plaisanteries avec lui sur le chemin. Leur conversation était empreinte d'une certaine tension, chacun des deux sachant pertinemment où elle les menait. Arrivés à destination, Julia jeta quelques regards autour d'elle pour vérifier que personne ne pouvait les voir, puis elle posa son autre main sur le bras de Draco, l'effleurant d'une caresse au passage, tout en le regardant droit dans les yeux. Déstabilisée un instant, elle oublia qu'elle les avait amenés là pour transplaner jusqu'à chez elle ; à la place, elle céda à une impulsion et se mit sur la pointe des pieds pour poser ses lèvres sur celles de Draco.

Quelques secondes de silence, puis… "Tu es toujours partant ?" demanda Julia, presque choquée de sa propre audace, mais pile assez ivre pour la mettre de côté. Ce n'était pas quelque chose qu'elle faisait souvent - en fait, avant Eleanor, elle n'avait jamais fonctionné ainsi… Et c'était la première fois qu'elle était aussi entreprenante. Elle ne tenait cependant pas à forcer Draco à quoi que ce soit, même si elle avait très envie de passer la nuit en sa compagnie, et elle préférait donc s'assurer qu'ils étaient sur la même longueur d'onde avant qu'ils ne transplanent.

Tout comme son interlocutrice, Draco était un peu ivre, mais encore conscient de ce qu'il faisait. Il se sentait juste un peu plus libre de s'amuser. Et c'était justement ce qui était prévu avec cette jolie blonde qui avait un sourire sublime. De l'amusement. Un petit sourire aux lèvres, il se laissa guider dans les rues jusqu'à un bon endroit discret pour transplaner. Une partie de lui savait que ce n'était pas son genre d'agir de la sorte, mais tout le reste de son être s'appliquait à faire taire cette dernière. Et lorsque la main de Julia caressa son bras, lorsque ses lèvres rencontrèrent les siennes, il su qu'il n'avait pas l'intention de faire demi-tour. Ce n'était pas le genre de folie qu'il allait regretter au réveil. Il voulait réellement ceci. Il hocha la tête en soutenant son regard.

« J'ai rarement été aussi certain de quelque chose. » Répondit-il avec honnêteté.

En confiance, il se laissa emporter dans le tourbillon du transplanage, puis dans le tourbillon de sensations qui suivit. Un peu nerveux au début, il s'abandonna finalement dans l'instant présent et cessa de réfléchir. Difficile de savoir combien de temps s'écoula, mais alors qu'ils se reposaient ensemble dans le lit, il faisait très sombre dehors. La nuit était plus qu'entamée. Allongé sur la tranche à côté de la jeune femme,  Draco caressait le tatouage sur la peau de Julia du bout des doigts, en retraçant ses lignes et ses arabesques.

« Une gorgone... Intéressant. Il y a une signification ? » Demanda-t-il, curieux.

Jusque là, l'ancien serpentard n'avait eu que de mauvaises impressions sur les tatouages, notamment à cause de celui qui bougeait lentement sur son avant-bras, souvenir douloureux de ses échecs passés et de ses traumatismes. Pourtant, il trouvait dans celui de Julia quelque chose de beau, de presque poétique. Il appréciait cette teinte sombre qui courrait sur sa peau pâle. C'était la première fois qu'il associait un tatouage à de l'art et non pas à de la souffrance ou de la peur.

quelque chose s'achève, quelque chose commence -  @Draco Malfoy

Julia était allongée sur le côté, de sorte à faire face à Draco. La tête posée sur le coude, elle l'observait avec un léger sourire, l'air un peu endormi. Personne d'autre qu'Eleanor n'avait vu ce tatouage jusqu'à présent, et elle avait beau se sentir assez vulnérable à ce moment, elle ne pensa pas une seule fois à son ancienne partenaire. Ses lèvres s'étirèrent en un sourire lorsqu'il complimenta son tatouage, mais ce sourire se figea légèrement lorsqu'elle réalisa qu'il ne posait certainement pas cette question à la légère. Elle avait bien vu que lui aussi en avait un sur l'avant-bras, et vu le motif, elle doutait qu'il s'agisse d'une forme d'expression personnelle. Comme en réponse aux pensées de Julia, les serpents dans les cheveux de sa gorgone se firent moins menaçants et l'expression de la créature s'adoucit. "Pas vraiment, j'aimais juste bien l'idée et l'emplacement," mentit-elle avec beaucoup de naturel. Il y avait bien une signification à ce tatouage, mais elle n'avait pas envie de partager cela avec Draco, même après qu'il se soit autant livré : les deux situations étaient différentes."Je sais que ce n'est pas… toujours très bien accepté, continua-t-elle en lançant malgré elle un regard vers le tatouage de Draco, Mais je pense que ça peut aussi être une façon de s'approprier son corps ou son vécu." Elle redressa légèrement la tête, observant le serpentard avec précaution. "Je sais que tout le monde ne le voit pas comme ça." C'était d'ailleurs pour ça qu'elle le gardait pour elle, même Angelina n'était pas au courant de ce tatouage, juste sa sœur Nina. Malgré elle, Julia laissa échapper un bâillement. "Je n'aurais pas pensé que tu apprécierais particulièrement le motif, mais en fait ça fait sens, ça fait vraiment truc de sang-pur," fit-elle sur le ton de la plaisanterie, quoi qu'étant visiblement plus proche de l'endormissement à chaque seconde qui passait.

Fin observateur, Draco se doutait qu'il se cachait plus derrière l'explication brève de Julia concernant son tatouage, mais il n'allait certainement pas lui en vouloir de garder son jardin secret, pas avec tout ce que lui avait pris l'habitude de cacher à son entourage. Lentement, il hoche la tête et écoute ce qu'elle voulait bien lui dire. Le changement subtil dans l'attitude de la gorgone sur le corps de la jeune femme le fit légèrement sourire, comme s'il se sentait un peu accepté. Il redirigea ensuite son regard vers celui de Julia qui disparaissait peu à peu derrière ses paupières fatiguées et ses jolis longs cils. Bien qu'il ne soit pas amoureux de sa partenaire d'un soir, il éprouvait une amitié et une tendresse envers elle qu'il ne réservait pas à n'importe qui. Il se surprit à penser qu'ils auraient pu être proches depuis bien plus longtemps s'il avait quelqu'un de différent à Poudlard. Il espérait juste que ce n'était pas trop tard. Ceci-dit, rien ne lui prouvait que Julia allait vouloir rester en contact avec lui après ce soir. Et si c'était le cas... il disparaitrait de sa vie sans un bruit. Il comprenait que les gens ne soient pas enchantés par sa présence dans leur vie. Draco était loin d'être un cadeau.

« Oui, ça fait sang-pur, mais ce n'est pas pour ça que je l'apprécie. » Répondit-il sans aller plus loin dans les explications.

La jeune femme n'avait pas besoin de savoir ce qui se passait dans son cerveau, surtout qu'elle semblait bien partie pour s'endormir. Il déposa un léger baiser sur son front et replaça une mèche de ses cheveux dorés derrière son oreille. Il demeura ainsi à ses côtés jusqu'à ce qu'elle soit parfaitement endormie. Ensuite, il se rhabilla et fit apparaitre des fleurs sur sa table de chevet avec un petit mot avant de s'éclipser pour rentrer chez lui. Sur le petit bout de parchemin, accroché délicatement au bouquet frais et parfumé, était écrit en italique :

J'ai passé une merveilleuse soirée.
J'espère que cette interview t'aidera.
Prends soin de toi, jolie gorgone.
D.M