[fin octobre 98]
Je suis restée au chateau. Je ne vois pas pourquoi j'irais me forcer à sociabiliser avec mes cousins et leur peur puérile que je devienne comme ma mère entre deux auto-congratulation comme quoi moi au moins j'ai de la magie. N'importe quoi. En plus, ils dînent à dix-huit heures, mangent quasi que des légumes et leur viande est plus cuite que ma semelle après deux heures de basket au soleil.

Eux, je pense que ça les arrange en vrai. Ils n'ont pas l'habitude des ados, les pauvres, et voilà qu'ils se retrouvent avec deux filles qui en plus ne se ressemblent en rien. Au moins, là, ils sont certains que je ne vais pas errer dans les rues à la recherche de dope ou je ne sais quoi. Je leur ai dit que c'était pour bosser mes cours vu qu'on n'apprend pas exactement la même chose à Beauxbâtons qu'à Poudlard - ce qui est vrai en plus. J'ai des lacunes terribles a certains endroits et à d'autres c'est fou ce qu'ils sont en retard les rosbeef.

Ce que je n'avais pas anticipé - et mes tuteurs non plus je crois, c'est le temps libre et Pré-au-Lard. Je n'avais pas trop eu le temps de m'y perdre pendant cette première période, préférant me familiariser avec le château et ses dépendances. Ce soir, pourtant, j'en avais un peu ma claque des fleurs, des forêts interdites, des lacs et autres endroits surpeuplés de nains de onze ans pleurant de ne pas être dans leur famille. En anglais qui plus est.

J'ai un peu déambulé dans les rues de la bourgade marchande. Je trouve terriblement cynique cette idée de faire tout un village juste à côté d'une école et qui ne vivrait que grâce au personnel et à l'argent de poche des mioches. L'idée me fait rire. C'est pas en France qu'on ferait ça, on se retrouverait avec des lobbys sur le dos en moins de temps qu'il n'en faut pour dire choucroute. J'ai fait ma touriste, regardé les farces et attrapes, choppé un paquet de bonbons à grignoter, pensé que peut-être je m'achèterai un nouvel animal pour remplacer mon chat, tenu loin de moi par ces putains de règles de douane à la con qui considère les animaux français comme pestiférés. Six mois de quarantaine, jamais je ne lui inflige ça. Mais quoi ? Un autre chat ? Ce serait une trahison. Une chouette ? Tout le monde en a une. Un crapaud ? Mouais, c'est pas terrible niveau intéraction.

Voyant l'enseigne des trois balais que l'on m'a recommandée, j'entre, me faufile dans l'endroit décoré d'oranges, de citrouilles et autres trucs d'halloween et file au bar. A côté de moi, un type que je ne regarde que le temps de m'assurer qu'il n'a pas l'air de garder le siège pour quelqu'un d'autre. Je me perche et fait sonner des mornilles sur le bois.

"Une bièraubeurre s'il vous plait !"

Les autres sont en groupes ou en couple. La plupart rigolent. Je suis seule. Une part de moi a un vague à l'âme dans l'atmosphère chaleureuse. L'autre s'en moque. Je n'ai besoin de personne.

On me sert. Je prends une gorgée de la boisson et manque de m'étouffer.

"Merlin soit tondu !" J'ai juré en français, je me reprends en anglais. "Mais vous avez mis quoi dans cette pauvre bière ? Du beurre allégé ? De la margarine ?! Le sel de mes larmes ?!!"

S'ils arrivent à rater même ça...

Au moins ma mésaventure fait rire quelqu'un ! Je me tourne vers le gus que j'ai à peine regardé en m'installant. Il y a un truc à ses pieds. Un chihuahua ? Non, un chat. Un chat très très moche. Qui promène son chat moche ? A tous les coups, c'est un fléreur, c'est plus intelligent mais toujours pas promenable. Heureusement pour lui, le type a une meilleure gueule.

"C'est la première fois que je bois de la bièraubeurre anglaise." corrige-je avec humour même s'il y a toujours l'amertume du breuvage dans ma voix. Pourquoi tout est si différent ici ! C'est comme si j'étais bloquée dans ces rêves chelous où tout semble réel sauf un détail à la con qui vous "réveille" mais dans un autre rêve avec un autre détail de merde et au final on se lève avec des valises sous les yeux. Bordeaux me manque. Ma mère et mes grands-parents aussi. Je sais que c'est de ma faute. Le gars que j'ai mutilé ne bougera plus jamais. Je ne pourrais jamais réparer ça. Au final, j'ai de la chance de n'être qu'exilée. Merci les pensines et les souvenirs montrant que je n'avais fait que me défendre. Je joue avec ma toute nouvelle baguette. L'ancienne n'était pas à moi et a explosé lors de l'accident.

" On m'avait dit que c'était la meilleure du pays ici. C'est vrai ? " si c'est le cas, les autres doivent être imbuvables. Dire que je n'ai pas l'âge légal pour la whisky pur feu ! Et heureusement, c'est quoi cette pensée destructrice ? Hors de question que je tombe dans cet engrenage. Jamais. Je ne serais pas une sale junkie comme ma mère.

"J'suis Cathy. Je viens de Bébé, pardon, Beauxbâtons. T'es à Poudlard toi aussi ?"

Je ne connais pas, et de loin, tous mes camarades de vue. Ceux de mon année un peu quand même mais il pouvait être plus jeune ou assistant professeur même si je devais en douter. Un chat aussi moche, je l'aurais remarqué. Allons. Il a l'air seul. Je le suis aussi. Il a eu une prise de contact intelligente, autant ne pas faire le hérisson. Je pousse ma chope vers lui.

"Tiens, prends la si tu veux. Faut que je me trouve autre chose à boire. J'parie qu'ils n'ont pas de coca ou de capri-sun, hein ? Y a des alternatives au jus de citrouille ?"

Pas que j'aimais pas ça... qu'est ce que je raconte, je déteste le jus de citrouille. C'est sucré, chelou, sirupeux. Moi, je veux que ma vie pétille, qu'elle soit acidulée, qu'elle ait du peps ! De la joie quoi ! Déjà qu'il pleut tout le temps !