Une ombre du passé [WESLEY]

Une silhouette longiligne marchait d'une allure vive le long de la ruelle des embrumes. Le bruit de ses pas résonnaient sèchement dans ce petit quartier réputé malfamé, esseulé de toute présence humaine. Du moins le pensait-il, ou plutôt, l'espérait-il.

Alors que son regard attrapait tout juste son reflet dans la vitrine de Barjow et Beurke, Lucius sentit un haut-le-coeur l'envahir. Le mangemort dut s'arrêter un instant non pas pour se contempler lui-même mais plutôt pour réaliser l'ampleur des dégâts de ces quelques mois passés depuis la chute du Seigneur des Ténèbres.

De grosses poches noires se dessinaient sous ses yeux alors qu'une barbe mal taillée commençait à devenir trop remarquable à son goût. Ses vêtements, sales et déchirés, témoignaient bien de la rudesse de ses conditions de vie, alors que l'éclat de ses cheveux et leur tenue si légendaire n'étaient plus qu'un vague souvenir.
Il soupira, alors qu'un rapide flash de son esprit le renvoya quelques années auparavant, où il se revoyait abattre sa canne sur l'épaule de son fils, le rappelant à l'ordre. Un souvenir douloureux, bien que furtif. Le balayant d'un mouvement de tête, Lucius reprit sa marche, relevant la capuche de sa longue robe noire afin de dissimuler ses traits si facilement reconnaissables.

Quelques badauds traînaient devant lui, des marginaux, pariah, qui eurent une certaine curiosité à son passage. Ecoeuré de leur posture déformée par la consommation d'hallucinogènes magiques, et par les années à vivre entre ces briques ternes et tristes, Malfoy ne leur accorda aucun regard.

Toutefois, il se rendait à peine compte que le sort des quelques sorciers malheureux ressemblait grandement au sien.
Privé de ses vivres, de ses titres, statuts et légitimité à ne serait-ce que respirer, Lucius était lui aussi désormais un marginal. Un sorcier qui ne pouvait même pas aspirer à la plus basique dignité humaine. Contrait de survivre par tous les moyens, il avait assurément connu des moments peu glorieux pour le commun des mortels, dès lors, carrément humiliants pour un Malfoy.

Néanmoins il se devait de le faire. De survivre, de ne pas se rendre, et de lutter. Lutter pour ses idéaux.

Petit à petit, aussi discrètement que possible, Lucius tentait de réunir les anciens fidèles. Certains ne se laisseraient pas facilement convaincre, il le savait. Après tout, il avait été l'homme qui avait fui au moment le plus crucial. Le traitre, certains aimaient l'appeler.

Les mêmes sorciers qui oubliaient à quel point Lucius avait été présent à chaque étape importante du règne du Seigneur des Ténèbres et qui avait organisé son ascension même, faisant de lui presque un égal, son bras droit, un fait régulièrement obscurci par les autres mangemorts.

Mais sans doute pas Wesley.

Il se rappelait de ce jeune homme déterminé qu'il était à ses dix-sept ans. De sa fureur, de son sadisme aussi. Il se voyait en lui, plus jeune. Lui qui avait également mené nombre de raids à l'encontre des moldus, et tué plus de treize personnes à lui tout seul. Une époque qu'il avait crainte révolue, jusqu'à ce qu'il se rende compte que c'était tout ce qui lui restait. Cette identité du passé devait à nouveau devenir présente, et les anciens rites se poursuivre. C'était sa seule façon de redevenir un Malfoy digne, et d'aspirer à une quiétude d'esprit qu'il savait ne jamais connaître s'il se rendait.

Wesley le comprendrait.
Et s'il ne le faisait pas ?

Que de trolleries.

Il avait enchanté une pie pour qu'elle dessine à Wesley le lieu et l'heure du rendez-vous au moyen de petits batônnets. Une tache bien difficile, sans baguette, mais nullement impossible sur un être aussi frêle et petit qu'un oiseau. Une tactique qui ferait bien comprendre à Wesley que seul quelqu'un le connaissant réellement utiliserait un tel moyen de communication.

Le quadragénaire espérait vraiment que son message avait passé.

Et s'il était des leurs, maintenant ?

A nouveau, une pensée intrusive et angoissante se glissa abruptement dans son esprit. Malfoy la chassa d'un revers de main. C'était impossible, il le savait. Il le ressentait, au plus profond de lui. Le dark lord avait encore des fidèles dévoués, et Wesley en faisait partie, assurément. L'inverse lui paraissait impensable.

Poussant délicatement la porte du local abandonné de l'épicerie de l'allée des Embrumes, les yeux gris de Malfoy tentèrent de capter une quelconque ombre irrégulière dans le noir intense de la nuit. Personne, apparemment.

Mais il ne saurait tarder. C'était sûr.
La réelle question était : allait-il venir seul, ou accompagné ?

Un sentiment de non - contrôle et de tension accaparait l'esprit de Lucius, qui tentait de garder ses angoisses dans un coin de sa tête. Wesley, il comptait sur lui. De toute son âme.

 

Lorsque la silhouette svelte de Wesley apparut à l'encadrure de la porte, le patriarche Malfoy sentit son coeur louper un battement. C'était l'instant de vérité; soit un sortilège allait fuser (qu'il ne pourrait contrer), soit un dialogue s'entamer. Le quadragénaire arriva de justesse à dissimuler son soulagement lorsque les traits du sang-pur s'écartèrent en un sourire, lui signifiant le plaisir de le revoir alors qu'il lui tenait un petit sac, contenant des sucreries de chez Honeydukes.
Si des codes sociétaux n'avaient pas été aussi durement implantés dans l'ADN de Lucius, sans doute aurait-il sauté sur les délices et s'en serait goinfré tel un moldu, lui qui n'avait pas eu de vrais repas depuis belle lurette. Néanmoins il sut se contrôler, son avant - bras allant rencontrer celui de Wesley, en signe de salutations et accolade.
Un simple geste, mais qui témoignait que Lucius portait en respect Wesley, plus qu'il ne le laissait paraître.

- Aussi drôle soit-il, je t'attendais mon cher. J'imagine que la pie a dû se perdre en route.

Glissa-t-il, un sourire aux lèvres. Si en plus de cela c'était le destin qui les réunissait les deux, cela signifiait bien qu'une magie ancienne se portait malgré tout de son côté, ou plutôt, de leur côté. D'un geste de main, Lucius invita Wesley à s'avancer davantage dans le local abandonné de l'épicerie. Il ne fallait surtout pas qu'ils soient dérangés par un quelconque mendiant, ou repérer par un Animagus du Ministère, surtout pour Wesley. Une fois à l'intérieur, la porte se verrouilla sous les sorts non verbaux de Lucius. Normalement, ils ne devraient pas être dérangés.

Curieux, Lucius ouvrit le petit paquet tendu par Wesley et eut un sourire nostalgique. Des petits fondants du Chaudron, glamorisés par le confiseur, qui voyait leur doux liquide crépiter comme s'ils étaient en cours de préparation d'une potion mortelle.
Lucius donna à Wesley une de ses confiseries alors qu'il examinait le sien, pensif.

Ils n'avaient jamais partagé un temps de scolarité à Poudlard, Lucius étant déjà parti depuis quelques temps lorsque Wesley entamait sa première année. Néanmoins, leur rapprochement s'était fait au moment où le jeune serpentard avait juré allégeance au Seigneur des Ténèbres, à ses dix-sept ans. C'était Lucius qui l'avait pris sous son aile, désireux de ne pas laisser Bellatrix détraquer tous les futurs mangemorts en leur accaparant une certaine loyauté, de par la folie de ses actes et un charme dangereux qu'il ne pouvait lui renier (il était toujours marié à sa soeur, après tout).
Là où Bellatrix était obnubilée par un culte de la personnalité envers le Dark Lord, Lucius était un fervent serviteur, mais pas oblitéré par son existence. Il voyait en le Mage Noir celui qui amènerait la justice dans le monde magique, et remettrait de l'Ordre au Chaos qu'était la cohabitation entre sorciers et bourbes. Cela ne s'était pas fait par son vivant, mais cela ne signifiait pas pour Lucius que cela ne se ferait jamais.

C'était là son point de divergence avec Bellatrix, qui fantasmait sur un énième retour du Maître. Là où Lucius avait tenté maintes fois d'apporter un esprit critique et une ambition à Wesley, Bellatrix intensifiait l'adoration du Seigneur des Ténèbres. Cela dépitait quelque peu Lucius de savoir que Wesley faisait aussi partie de ceux qui vouaient un culte à celui qui se prénommait Tom Elvis Jedusor. Mais cela se comprenait, il était plus jeune et avait connu rumeurs et légendes davantage que le réel être humain qui se présentait presque comme une divinité. Contrairement à lui, qui l'avait accueilli au sein de son manoir, et avait été son otage pendant de longs mois.


Les mots glissants et assassins de Voldemort réapparurent dans l'esprit de Lucius alors que ce dernier observait Wesley. Etait-il au courant de sa descente aux Enfers, vers la fin ? A-t-il entretenu des contacts avec les autres Mangemorts ? Continue-t-il les anciens rites ? Que de questions s'enchaînaient dans son esprit qu'il tentait d'organiser du mieux qu'il le put.

- Wesley, pardonne mon manque de délicatesse mais il me faut le savoir. Es-tu ... de mon côté ?

Là où Malfoy aurait aimé ne laisser transparaître aucune émotion, une pointe d'imploration se devinait dans le ton de sa voix. Bien sûr que Wesley restait un mangemort, ça, il n'en aurait jamais aucun doute. Peu importe qui il fréquentait actuellement ou le masque qu'il laissait paraître à la société sorcière, mais la réelle question était : faisait-il partie de ceux qui voudraient le condamner ? Qui le jugeaient ? Qui le mettraient de côté ou tenteraient à sa vie ? Ou serait-il de son côté, malgré le fait qu'il était dénué de tout ce qui le rendait important; son statut, prestige et ses gallions.