A Beautiful Lie *FlashBack*

10h précise, une journée comme une autre. Alice se réveilla tranquillement, prit le temps de s’étirer et se prépara son petit déjeuner habituel : un bol de céréales au chocolat avec un tout petit peu de lait. Elle n’aimait pas trop le lait, elle ne le buvait jamais jusqu’au bout de toute manière. La grande pendule en or du salon indiquait à présent 10h23 alors que la jeune femme se dirigeait vers la salle de bain. Mon Dieu qu’elle détestait aller travailler, elle savait qu’elle n’en avait pas besoin, à vrai dire, personne ne l’y avait forcé, mais bon… pour le principe elle savait qu’il valait mieux qu’elle fasse mine au moins de travailler. Elle sortit finalement de la maison et jeta un coup d’œil distrait à sa montre : 10h55. Elle faisait du zèle aujourd’hui, déjà 5 minutes d’avance. Soupirant, elle toqua à la vitre de la berline garée devant. Le chauffeur sursauta et se précipita pour lui ouvrir la portière. Parfaitement sereine elle grimpa dans la voiture et demanda à son chauffeur de l’amener au boulot.

Trente secondes plus tard, elle descendit de la voiture et pénétra dans le commissariat. La plupart des gens auraient trouvé odieux d’utiliser une voiture pour faire à peine 300 mètres à pied, mais Alice s’en fichait royalement. Elle ne le faisait pas pour impressionner la galerie ou bien pour étaler un peu plus encore la richesse de son père. Elle le faisait parce qu’elle pouvait se permettre de le faire, voilà tout. Elle accueillit avec un calme absolu les regards écœurés de ses collègues et entra dans son bureau sans un mot. Un petit café l’y attendait, elle le goûta juste histoire d’être sure que Frank ne s’était pas encore trompé. Voilà qui était parfait. Alice n’avait aucun pouvoir dans le commissariat, à vrai dire elle n’avait personne officiellement sous ses ordres, mais sa réputation et le rang de sa famille lui donnaient certains privilèges. Elle n’avait même pas eu besoin de demander de traitement de faveur, à vrai dire elle n’en avait pas voulu, mais puisque tous ses collègues semblaient désireux de lui rendre la vie plus facile, pourquoi aurait-elle du dire non ? S’ils étaient assez bêtes pour s’aplatir devant elle par peur de son père, c’était leur problème.

La jeune blonde alluma son ordinateur avec décontraction et arracha un post-it collé à l’écran : «Réunion bureau du commissaire, 8h30». Oups ? Dans un petit sourire elle froissa le morceau de papier et le lança dans la poubelle la plus proche. Qui était assez fou pour commencer à travailler à 8h30 anyway ? Quelqu’un avec un minimum de conscience professionnelle peut-être, mais Alice en était complètement dépourvue, et personne n’avait l’air de vouloir lui reprocher son manque d’assiduité. Elle n’avait donc jamais pris la peine de «corriger» son comportement. Elle regarda Windows démarrer et afficher l’heure : 11h05. Pause déjeuner ! Alice se leva d’un seul bond et sortit du commissariat sans prendre la peine de se faire discrète.

Deux heures plus tard la journée de la jeune femme était terminée. Après environ 1h30 de pause, elle avait repris le travail, juste assez de temps pour se sentir fatiguée. On pouvait dire que la fin de la journée tombait à pic pour la blonde, elle était épuisée. Elle prit juste le temps d’éteindre son ordinateur, d’attraper sa veste, et elle sortit du commissariat. Mais à peine avait-elle fait quelques pas dans la rue qu’un imbécile renversa son café encore brûlant sur son bras. Elle poussa un cri aigue qui ressemblait plus à un juron qu’à un véritable cri de douleur et se tourna brusquement vers l’inconnu. Il se confondait déjà en excuses mais elle n’en avait absolument rien à faire. Et encore ! Heureusement qu’elle avait choisi le tailleur qu’elle aimait le moins pour aller au boulot sinon elle n’aurait peut-être pas autant gardé son calme :

« Oui ben j’ai remarqué que vous ne faisiez pas attention, vous êtes malade ou quoi ?! Vous m’avez ébouillanté, bravo ! Vous allez le regretter, je suis dans la police vous savez ! Comment vous vous appelez ? »

Oui mais maintenant qu’elle y réfléchissait, elle ne connaissait pas de loi qui s’opposait à la possession de café dans la rue, ou encore qui condamnait les imbéciles qui les renversaient sur les honnêtes gens. Mon dieu, les lois ne servaient donc à rien ? Essayant désespérément d’essuyer la marque de café qu’il avait laissé sur son tailleur, elle releva les yeux vers le jeune inconnu, essayant de ne pas lui sauter à la gorge :

« D’ailleurs la prochaine fois essayez de ne pas agresser n’importe qui dans la rue, vous savez qui est mon père ? »

Alice n'en revenait pas de la poisse qui s'abattait sur elle. Elle n'arrivait même pas à concevoir que ce genre d'accident faisait partie de la vie quotidienne, elle prenait tout de manière trop personnelle. De son point de vue le monde entier s'acharnait à lui pourrir la vie. Et encore, heureusement qu'elle avait choisi ce tailleur hideux pour aller travailler, elle n'aurait pas supporté que le jeune homme s'attaque à son chemisier préféré. Soupirant de lassitude elle attendit des explications de la part du jeune homme, presque comme si elle attendait qu'il justifie sa maladresse.

« Je ne sais pas qui vous êtes Mademoiselle, je ne vois pas comment je pourrais connaitre votre père. »

Alice regarda le jeune homme avec suspicion. Alors comme ça il ne savait pas qui elle était et il ne connaissait pas son père. C'était bien une première pour la jeune femme. Il fallait avouer que son cercle social s'étendait à son père et les agents du commissariat. Et évidemment dans les deux cas ils savaient qui elle était. Elle se sentait un peu impuissante de ne pas pouvoir utiliser la réputation de son père comme moyen de pression, mais en même temps, pour elle qui avait toujours vécu dans son ombre, n'était-ce pas l'occasion rêvée de découvrir... Qui elle était ? Elle ne s'était jamais demandé comment elle agirait sans le soutien de son père, elle n'avait jamais eu à se poser cette question à vrai dire, et c'était étrange de se retrouver face à un inconnu en se demandant "réfléchis, qu'est-ce qu'Alice ferait dans cette situation ?"

« Je m’excuse encore pour votre tailleur, ma sœur me tuerais pour avoir abimé un Prada »

Alors comme ça il avait une sœur, et apparemment ils ne manquaient pas d'argent. Voilà qui devenait intéressant, si bien qu'Alice regretta presque de l'avoir agressé. En effet, elle venait de se rendre compte qu'elle s'était ( juste un peu ) laissée emporter par la colère alors que Noah ( puisque c'était son nom ) n'avait surement pas fais exprès de lui renverser son café dessus. Du coup elle se sentait un peu bête de s'être énervée aussi rapidement, elle avait agit exactement comme son père aurait agit alors qu'elle se savait différente de lui. Elle prit la carte que Noah lui tendait en soupirant. De la haute technologie ? Il devait surement faire un boulot aussi peu excitant que le sien. Mais alors que Noah lui proposait de remplacer son chemisier s'il le fallait, Alice eut une autre idée, une bien meilleure idée à son goût Elle se fichait de devoir acheter un nouveau chemisier, l'argent n'était pas un problème. Non ce qu'elle voulait c'était se venger.

" Je vous emprunte un peu de votre café, je vais en avoir besoin... "

Joignant le geste à la parole, elle se saisit du gobelet resté dans les mains de son propriétaire. Puis, dans un grand sourire, elle en lança le contenu sur la chemise de Noah. Elle ne put pas réprimer un grand éclat de rire devant le visage du jeune homme. Mais ce n'était pas un rire triomphant, c'était un rire presque enfantin, pur. Elle n’avait pas fait ça simplement pour ennuyer Noah mais elle avait vraiment trouvé ça drôle, et puis maintenant ils étaient quittes non ? Elle regarda Noah en souriant de toutes ses dents et lui tendit sa main :

« J’espère que je ne vous ai pas brûlé au moins. Quittes ? »

Elle espérait sincèrement ne pas avoir vexé Noah, certes elle s’était laissé emporter, et elle l’avait en plus éclaboussé volontairement, mais ce n’était pas par méchanceté. C’était plus comme un jeu de gamin. Reprenant un air un peu plus sérieux elle étudia le visage de Noah, cherchant le moins signe de mensonge :

« Vous n’avez vraiment aucune idée de qui je suis ? »

C’était important pour elle d’être bien sure qu’il ne connaissait pas son père. Elle avait passé sa vie entourée de gens qui le craignaient, elle n’avait jamais connu personne comme Noah. S’il ne connaissait pas son père, ça voulait dire qu’elle pouvait agir comme elle l’entendait puisque son père n’en saurait jamais rien. Pour la première fois de sa vie, elle allait peut-être être libre.

Alice lutta autant qu’elle put pour garder son sérieux devant l’air déconcerté de Noah. Il avait l’air parfaitement imbécile, un sourcil levé, les yeux grands ouverts et l’air perdu. Mais ce n’était rien comparé à sa figure effarée lorsqu’elle lui jeta le reste de son café à la tronche. Voilà le genre d’images impayables qui avaient le don de l’amuser au plus haut point. Elle avait commencé à rire, presque inconsciemment, en un sens elle avait peur de le vexer pour de bon, mais le passage de l’étonnement à l’effarement avait été si abrupt qu’elle n’arrivait pas à se contenir. Et puis, il fallait croire qu’elle en avait simplement besoin. Elle ne se souvenait pas d’avoir sincèrement rigolé depuis des années, elle avait été tellement occupée à inspirer la crainte plutôt que l’amitié, qu’elle en avait oublié jusqu’à la notion même de joie ou de bonheur. Elle s’était sentie si humiliée après… l’incident de son enfance, qu’elle craignait le manque de respect plus que tout au monde. Et le meilleur moyen d’inspirer le respect passait par la crainte, non ? En tout cas, jusqu’ici elle l’avait toujours cru… ( on m’aurait menti ? )

« Je ne sais pas ; ce n’était que de la maladresse chez moi, alors que vous l’avez fait exprès je devrais peut être cherché à me venger »

Alice sourit d’autant plus mais se força à arrêter de rigoler. Noah affectait un air faussement sérieux, mais elle avait bien compris ( du moins elle l’espérait ) qu’il plaisantait. Elle avait cette manie de se méfier de tout le monde car elle ne savait jamais pourquoi les gens venaient la voir. Elle n’était pas agréable, et la plupart des gens qu’elle connaissait ne cherchait en fait qu’à se rapprocher de son père. Mais les manières du jeune homme lui semblaient simples et naturelles, et s’il ne connaissait véritablement pas son père, il n’avait à priori aucune raison de s’intéresser à elle. C’était sans doute une rencontre simplement du au hasard, une première dans sa vie. Sans même s’en rendre compte, elle attribuait à cet étranger, une part un peu spéciale dans sa liste de connaissances puisque, jusqu’ici, il était le seul à avoir rencontré la vraie Alice. Reprenant un air qu’elle voulait sérieux mais qui ne trompait personne, elle répondit :

« Je tacherai de rester sur mes gardes dans ce cas. »

Et pourtant le simple fait de la voir faire de l’humour montrait à quel point elle venait de les abaisser. Elle sourit en l’entendant lui demander si elle était une sorte de célébrité locale. Dans son dos elle pouvait encore sentir les regards apeurés de ses collègues, et elle imaginait sans peine le genre d’accueil auquel son père aurait droit dans cette partie de Londres. Souriant elle murmura :

« Oui on peut dire ça »

Mais la suite de la phrase du jeune homme effaça aussitôt le sourire d’Alice. La rue alentour semblait être tombée dans un silence religieux, alors qu’un seul mot résonnait dans la tête de la jeune femme : «magie». En l’espace de quelques secondes elle s’était retrouvée plongée dans un univers diamétralement opposé à celui qu’elle venait de quitter. Elle se revit à 8 ans, dans la rue à jouer, et elle aperçut alors l’incident qui avait changé sa vie. Alors qu’elle se revoyait courir vers son père pour lui raconter ce qu’elle venait de voir, elle eut la sensation atroce de se voir faire une terrible erreur, sans pouvoir rien y faire. La petite fille courait sans rien pour l’arrêter, et alors qu’elle arrivait vers son père, Alice fut brutalement ramenée à la réalité par une phrase si familière qu’elle ne supportait plus de l’entendre :

« La magie, ça n’existe pas. »

Le son de cette voix avait été grave, sec, sans appel. Alors qu’elle imaginait encore son père lui dire cela, elle regarda aux alentours, comme si elle s’attendait à le voir débarquer. Mais personne n’était là… cette voix c’était la sienne. Cette personne, c’était ce que son père avait fait d’elle. Petite elle s’était pliée à ses ordres sans chercher plus loin, et depuis la magie avait toujours été un sujet tabou chez eux. Son père s’était mis en colère tellement vite qu’elle avait toujours été trop effrayée pour oser ré aborder le sujet. Pourtant, au fond d’elle, elle avait encore cette impression de ne pas avoir rêvé, d’avoir vraiment assisté à une scène surnaturelle. Elle avait simplement fini par se laisser croire qu’elle avait halluciné ou alors qu’elle avait eu une crise de folie passagère. Mais depuis, elle avait rejeté tout ce qui pouvait toucher au surnaturel : les séries, les livres, même l’imagination. Essayant de reprendre un air un peu plus naturel, elle remarqua aussi que Noah ne semblait pas croire non plus à ses histoires un peu folles. Mais maintenant qu’il avait lancé le sujet elle était déchirée par la curiosité, elle avait envie d’en savoir un peu plus. Elle décida donc de proposer au jeune homme de rester un peu plus longtemps avec elle, mais pour éviter d’attirer les soupçons, elle inventa un prétexte, qui vu leur rencontre, aurait pu paraître crédible :

« Hm. Je vous dois un café quand même, en partie du moins. Et je me sens d’humeur sadomasochiste, alors un Starbucks ça vous dit ? »

Elle avait dit tout cela avec un grand sourire même si au fond, elle n’avait pas du tout envie de rire. Enfin, encore une chose qu’elle avait appris de son père : il fallait toujours sauver les apparences, c’était l’essentiel. Imperturbable, elle attendit donc la réponse de Noah, sans même imaginer que sa proposition fasse un peu rendez-vous. Finalement, sans même attendre la réponse du jeune homme elle commença à marcher en direction du Starbucks au bout de la rue, elle avait tellement l’habitude qu’on lui obéisse qu’elle n’imaginait pas le moins du monde que quelqu’un puisse lui dire «non». Après quelques mètres, sentant sa curiosité ravivée, elle toussota et demanda de l’air le plus décontractée dont elle était capable :

« Mais qu’est-ce que c’est que cette histoire de… magie ? »

La curiosité d'Alice aurait pu s'apparenter à du masochisme si elle ne se montrait pas très prudente sur ce sujet. Elle sentait que relancer le sujet de la magie pouvait être dangereux, elle savait aussi que si son père apprenait quoi que ce soit à propos de cet « incident », elle était mal... très mal. Mais peut-être était-ce l'interdit qui rendait cette rencontre si attirante ? Elle n'avait jamais compris les gens qui faisaient toujours ce qu'on leur disait de ne pas faire. Elle avait toujours cru que ces personnes étaient soit bêtes, soit complètement inconscientes. Mais maintenant, elle comprenait. Et franchement, elle n'avait plus aucune envie de reculer, Noah avait lancé le sujet qui pourrait la toucher le plus, et bien que ce ne fut qu'une coïncidence, elle y voyait un signe. Peut-être était-il temps pour elle de mettre cette histoire derrière elle, une bonne fois pour toutes. Et pour cela, il fallait la comprendre, l'accepter.

Elle sourit, presque inconsciemment, lorsque Noah accepta d'aller prendre un café. Elle ne savait pas pourquoi, mais elle avait cette impression étrange de pouvoir se fier à lui. Bien sur il était trop tôt pour le dire, mais elle avait l'impression d'être une personne différente avec lui. La jeune femme qui l'avait agressé un peu plus tôt à cause d'un café renversé semblait avoir disparu. Bien sur Alice n'avait pas changé d'un moment à l'autre, mais elle se sentait capable d'être... elle-même avec Noah. Peut-être tout simplement parce qu'il ne connaissait pas son père, elle était libre, elle pouvait « être » sans avoir peur d'être espionnée.

« Si ça ne vous dérange pas d’être avec quelqu’un qui à look plutôt excentrique »

Elle rigola à voix basse, comme si elle avait peur que Noah ne s'en rende compte. C'était stupide, elle avait le droit de rire après tout. Mais elle n'avait pas l'habitude d'être... honnête. C'était étrange. Apercevant un passant de l'autre côté de la route qui les observait d'un œil mauvais, elle lui lança un regard assassin suivi d'un grand sourire qui sentait le mépris à plein nez. Montrant ce fameux passant d'un mouvement de la tête, elle sourit et ajouta :

« Au contraire. Je pense même qu'on a lancé une nouvelle mode ! »

Elle sourit, se disant cependant que si elle l'avait voulu, elle aurait pu effectivement lancé cette mode. La peur qu'inspirait son père, et donc par répercussion sa fille, aurait été suffisant pour convaincre tous les officiers du poste de ne plus sortir de chez eux sans une belle tâche de café sur leur uniforme. Elle imagina la scène un instant et ne put réprimer un petit sourire mêlé d'une sorte de mépris pour ses collègues. Mais décidant finalement de relancer le sujet sur le point qui lui importait le plus, elle s'efforça de garder un air neutre.

« Rien de bien important … Enfin si, mais ce sont surtout des élucubrations du veilleur de nuit je pense ; il aurait vu les voleurs s’enfuir sur des balais ; alors qu’on est au 30 eme étage, pourquoi pas des tapis volants non plus … Si vous voulez mon avis, c’est plutôt une excuse, soit il s’est endormit, soit c’est lui le voleur, et dans les deux cas son excuse est minable. »

Alice resta muette, aussi impassible qu'elle le pouvait. Bien sur dans son cerveau, toutes les éventualités, toutes les explications se mélangeaient. Aucune ne semblant lui être la bonne. C'est vrai que l'hypothèse de Noah était possible, probable même. C'était la plus sensée en tout cas, et de loin préférable aux théories qu'elle avait élaborées. Mais justement, si le fameux garde était coupable, pourquoi aurait-il raconté un mensonge aussi énorme ? N'aurait-il pas mieux préparé son coup ? N'aurait-il pas au moins imaginé un mensonge plus crédible ? Peut-être qu'il était simplement bête, ou fou... Au moins aussi fou qu'elle qui croyait à ces histoires.

Noah lui demanda si elle n'avait pas un avis sur la question. En tant que femme, elle ne savait pas ce qu'il était prudent de lui raconter. Et à vrai dire, elle ne savait plus quoi penser de toute cette histoire. En tant que policière, elle n'avait pas à avoir d'opinion. Elle n'était pas vraiment policière, elle squattait juste leurs bureaux et était payée pour y passer trente minutes par jour et faire semblant d'y travailler. Complètement absorbée dans ses pensées, elle mit bien dix secondes à se rendre compte que Noah lui tenait gentiment la porte du Starbucks. A vrai dire elle n'avait même pas remarqué qu'ils étaient arrivés. Le remerciant avec un sourire un peu plus sincère, elle entra la première, lui faisant remarquer en rigolant :

« Je ne savais pas que les gentlemen existaient toujours. »

« Je vous laisse le monopole de la nouvelle mode qu’on à lancé »

Come on ! Ce serait dommage que tout le monde n'en profite pas.

Alice alla s'installer à une table sans passer par la caisse. En général à Starbucks, les gens commandaient eux-mêmes au comptoir et allaient ensuite s'installer avec leur café. Mais la jeune femme profitait d'une telle réputation dans ce quartier que les employés venaient prendre sa commande directement à sa table. Alice était le genre de personne que les manager venaient servir personnellement au Mcdo. Les avantages de la « célébrité » sans doute... Bon, elle devait avouer que la réputation de son père avait des avantages, mais pas seulement. Elle ne le savait que trop bien. Elle sourit devant l'air interrogateur de Noah, et y répondit par un simple :

« Hé oui, tu ne me connais pas, mais quand je viens ici, il y a toujours quelqu'un pour tout m'apporter sur un plateau, une vraie VIP. »

A vrai dire l'image qu'elle avait employé était on ne peut plus révélatrice. Elle avait dit cela pour rigoler bien sur, elle avait pris l'habitude de vivre dans l'ombre de son père et de profiter de son influence, mais elle n'était pas imbue d'elle même au point de se prendre pour une véritable star, ni au point de penser que ces petites attentions pourraient durer indéfiniment. Certes, passer en priorité au Starbucks n'était pas un drame, et elle se serait sentie bête de s'en plaindre, mais elle ne put pas empêcher une petite pointe d'amertume de percer dans sa voix. Elle eut l'impression de l'avoir parfaitement masquée, elle avait l'habitude, mais elle la sentie tout de même. Noah ne l'aurait surement pas remarqué. C'était le principal. Elle décida d'oublier ce sujet pour parler de quelque chose de plus réjouissant et de moins intime, mais un nouvel entrant l'en empêcha. Elle le reconnut directement. C'était l'un des sbires de son père, elle le voyait souvent traîner chez elle mais ne lui avait jamais réellement parlé. En général il allait directement dans le bureau de son père, et elle n'avait aucune envie de savoir ce qui s'y déroulait. Mais elle aperçut avec horreur que l'homme s'approchait de leur table, l'ayant lui aussi reconnue.

Elle se tourna tour à tour vers Noah, puis vers l'homme, et à nouveau vers Noah, horrifiée. Il fallait qu'elle réfléchisse, et vite. Comment faire comprendre à Noah qu'il devait être trèèèès prudent ? Et comment mentir aux deux hommes sans qu'ils ne s'en aperçoivent ? Impossible. Elle devait choisir, l'un ou l'autre. Elle décida de dire la vérité à Noah, elle le craignait moins que son père, et elle n'avait, à priori, aucune raison de lui mentir. Elle le regarda, affolée, et débita son petit avertissement sans prendre le temps de respirer.

« C'est un ami de mon père. Il ne te connait pas, et c'est très bien comme ça. Suis moi, quoi que je dise. N'essaie pas de faire le malin, et surtout essaie de ne pas dire de bêtises. » sans reprendre son souffle elle se tourna vers le nouvel arrivant, désormais arrivé à leur niveau, et lui lança un sourire aussi faux que celui d'un homme politique : « Bonjour ! Voici Noah, un collègue du bureau. »

« Bonjour Alice... et Noah. Enchanté. » répondit-il d'un ton qui montrait qu'il était tout sauf enchanté. « Alors qu'est-ce que vous faîtes ici tous les deux ? Sans uniformes ? Et après tes heures de travail ? »

Son air était calme, maitrisé, presque effrayant. Il adoptait un sourire de façade, sans doute pour leur inspirer confiance. Mais Alice savait parfaitement qu'il raconterait tout ceci à son père. Mais dans quoi s'était-elle fourrée ? Pourvu que Noah ne prononce pas le mot « magie »...

A peine avait elle aperçut l’homme entrer dans le Starbucks qu’Alice avait senti les ennuis arriver. Pourquoi n’était-elle pas rentrée directement chez elle comme le bon sens lui avait dicté ? Pourquoi n’avait-elle pas joué son enfant capricieuse avec cet inconnu et son stupide café ? Mon Dieu, qu’elle le regrettait maintenant. Voilà ce que l’honnêteté vous apportait, elle aurait mieux fait de rester dans l’ombre de son père, de suivre sa trace, car maintenant qu’elle avait fait un petit écart, elle allait devoir être très bonne actrice, ou elle allait le payer cher. Elle regarda l’associé de son père approcher comme un condamné aurait vu avancer vers lui son bourreau. Elle jetait des regards apeurés en direction de Noah mais n’arrivait pas à savoir si elle pouvait lui faire confiance. Elle n’aimait pas l’obliger à mentir, mais quel choix avait-elle ? Si elle avait su qui il était vraiment, elle aurait eu moins de scrupules à l’obliger à mentir…

Le nouvel arrivant les rejoignit finalement, et comme Alice l’avait craint, l’interrogatoire commença. Elle n’aurait déjà pas apprécié que son père interroge comme cela Noah, mais venant d’un de ses sbires, elle trouvait cela proprement humiliant. Si elle avait eu un peu de courage, elle aurait hurlé au scandale et l’aurait directement envoyé bouler, mais voilà… elle n’en avait pas. Elle n’aurait pas hésité à envoyer un sénateur sur les roses, mais les hommes de son père, jamais de la vie. Elle ne craignait que lui sur Terre. Elle avait essayé d’introduire Noah de manière aussi innocente que possible, mais elle n’avait pas prévu la suite. Elle resta silencieuse quelques secondes, cherchant la meilleure solution. Alors qu’elle hésitait entre un mensonge impossible à avaler et la fuite pure et simple, Noah reprit les rennes de la conversation :

« Je suis désolé , complètement désolé , c’est entièrement ma faute. Je ne pensais pas que ça dérangerait »

Alice ouvrit de grands yeux. Mais à quoi jouait-il ? Il s’amusait beaucoup là ? Et dire qu’elle lui avait demandé de ne pas faire l’imbécile… C’était réussi. Pourtant, le début du discours n’était pas si mal, le plus gênant vraiment c’était la manière ouverte dont il se moquait du nouvel arrivant. Il faisait de grands gestes avec les bras, se donnant volontairement un air parfaitement ridicule. Au fond Alice devait se retenir de ne pas rigoler, mais la situation était aussi frustrante que comique. S’il avait su ce qu’elle risquait, il ne se serait sans doute pas autant amusé. En attendant, il enchainait, sans laisser l’occasion au grand baraqué de répondre ou de protester. Et en cela elle lui était reconnaissante. Il leur faisait gagner un peu de temps.

« Je viens d’arriver ici , dans une nouvelle ville, un nouveau commissariat ,je ne connaissais personne. Alors j’ai demandé de l’aide , pour qu’on m’explique un peu le fonctionnement, vous voyez le genre et je trouve que c’est comme même mieux dans un Starbucks, que dans un bureau sordide de la police , vous n’êtes pas d’accord ? »

A cette tirade Alice laissa échapper un véritable sourire. Heureusement elle avait retenu le petit rire qui aurait du l’accompagner. Apparemment le gorille ne l’avait pas remarqué, tant mieux. Elle n’osait pas imaginer le rapport fait à son père si Alice s’était ouvertement moqué de lui. Mais au fond, elle trouvait Noah irrésistible. Elle cacha du mieux qu’elle put son sourire amusé lorsque le gorille se tourna vers elle, mais son visage se ternit pour de bon lorsque, dans un ultime moulinet, Noah renversa le café d’une passante sur la chemise de l’homme. Elle se leva immédiatement, par réflexe, pour se rendre compte ensuite qu’elle avait l’air parfaitement débile comme cela. Noah se fondit en excuses immédiatement, mais Alice sentait bien qu’au fond, la scène l’avait énormément amusé. Encore une nouvel personne qui se joignait à leur mode.

De son côté, Alice trouvait ça moyennement drôle. La scène était ridicule, certes, mais elle connaissait trop bien les hommes de son père pour supposer que celui-ci laisserait cet affront passer. Elle le vit faire un pas en avant vers Noah et elle s’approcha elle-même des deux hommes. Elle sentait que la situation allait déraper, et elle se sentait coupable d’avoir trainé le jeune homme là dedans. Bon d’accord, elle ne l’avait pas forcé à ébouillanter un gorille… mais quand même. L’homme attrapa Noah par le col et le força à se lever. D’un ton menaçant il lui souffla :

« Tu me prends pour un con ? Hein ? »

Sans vraiment réfléchir à ce qu’elle faisait, Alice se précipita sur l’homme, se mettant entre lui et Noah, de manière à servir de… ben de bouclier, y’a pas d’autre mot. Elle fixa le gorille, une lueur de défi dans les yeux avant de le menacer :

« Vous voulez expliquer à mon père comment vous m’avez frappé peut-être ? Parce que personnellement, j’adore cette histoire. »

Ou la preuve qu’Alice avait l’habitude de menacer les gens. Le gorille lui fit une grimace entre la peur et le mépris et abaissa doucement le poing qu’il avait gardé en l’air. Il relâcha son emprise sur Noah et tourna les talons sans ajouter un mot. Alice respira pour ce qui lui sembla la première fois depuis plus de dix minutes et retourna s’asseoir. Elle ne vérifia pas que Noah allait bien, elle ne pouvait se concentrer que sur la réaction de son père lorsqu’elle rentrerait chez elle. Elle était définitivement dans la merde. Après dix bonnes secondes d’horreur à l’état pur, elle se tourna enfin vers Noah et lui demanda :

« Désolée pour ça… Ça va ? » Mine de rien c’était tout de même un peu sa faute. Mais se rappelant soudain son numéro, elle poursuivit : « Mais au fait. Tu es bon acteur, très bon même… »

Elle ne savait pas bien si ce dernier trait était un compliment ou un reproche. A vrai dire, dans leur cas, ça les avait aidés, mais comment se fier à un étranger qui pouvait aussi bien mentir ? La réponse était simple : mieux valait ne pas s’y fier.

Le sarcasme de Noah vint mourir au fond de sa gorge, le gorille l’ayant attrapé violemment par le col. Et Alice en était presque soulagée, elle connaissait les sbires de son père par cœur, et elle avait comme dans l’idée que se moquer de lui n’allait pas améliorer la situation. Et elle avait eu raison. Sans son intervention, Noah aurait probablement fini à l’hôpital, et encore. Elle se sentait un peu bête d’être intervenue dans une bagarre entre deux hommes, elle se doutait bien que se faire protéger par une femme pouvait vexer un homme, mais bon, Noah n’aurait qu’à ranger son trop plein de testostérone dans sa poche sur ce coup là. C’était assez drôle d’ailleurs, Alice était policière depuis pas mal de temps mais c’était la première fois qu’elle faisait son boulot. Elle avait empêché deux hommes de déranger l’ordre public non ? Avec un peu de chance, elle aurait même le droit de demander une augmentation. Enfin, ce n’était pas vraiment le moment d’y penser, elle avait des problèmes plus immédiats que son salaire.

« On peut dire ça , ce n'est pas de ta faute après tout. Plutôt agressifs les amis de ton père »

Pas de sa faute ? Ben si en quelque sorte quand même. Noah replaça son col, essayant sans doute d’agir comme si de rien n’était, enfin Alice savait que tout avait des conséquences. En dehors d’un égo blessé, Noah ne risquait certes pas grand-chose dans cette affaire, mais elle, si. Mais elle préféra ne pas y repenser pour l’instant, les représailles ne viendraient que trop tôt.

« Effectivement, c’est une façon de voir les choses. Ils sont tous comme ça, et encore, ça aurait pu être pire… »

Une ombre passa sur son visage alors qu’elle imaginait ce qui allait lui arriver à elle, mais elle cacha bien vite ce sentiment pour reprendre un air plus suspicieux à l’égard de son interlocuteur. Des cours de théâtre ? C’était plausible en effet. Mais il avait menti avec un peu trop d’assurance et s’était un peu trop rapidement adapté à la situation pour qu’Alice ne le croie entièrement. Il semblait vouloir minimiser son petit « show » mais la jeune femme continuait à trouver cela… louche. Elle se prenait la tête pour rien sans doute, mais elle n’imaginait pas Noah prendre des cours de théâtre au lycée, elle ne savait pas exactement pourquoi. Il n’avait juste pas la tête de l’emploi. En même temps, elle n’avait aucune bonne raison de remettre sa parole en question. Surtout qu’elle venait de le faire agresser… en quelque sorte. Le moins qu’elle puisse faire maintenant, c’était de ne pas s’acharner sur lui à son tour, non ?

« Hum, je crois qu’avec tout ça, on a quasiment aucune chance qu’une de vos fans vienne prendre notre commande. Retourne t’asseoir, je vais aller passer nos commandes, et après tu pourras peut être m’expliquer pourquoi le pauvre « flic » que je suis à faillit se faire tabasser en public par un parfait inconnu »

Avec tout cela, elle en avait oublié leur commande. Elle jeta un rapide coup d’œil à l’une des employés qui les regardaient d’un air désapprobateur. Elle lui répondit par un sourire qui indiquait clairement qu’elle se sentait supérieur à elle puis se tourna vers Noah :

« Hm… D’accord. Un chocolat pour moi s’il te plaît.»

Elle le laissa partir et commença à réfléchir de son côté. Elle n’avait pas vraiment envie d’expliquer à un inconnu pourquoi des gorilles se sentaient obligés de la « protéger » partout où elle allait, en même temps elle n’avait jamais pu en parler à personne. A vrai dire, elle n’avait jamais parlé de rien à personne, et c’était assez étrange d’avoir quelqu’un qui s’intéressait à vos histoires… Enfin, en l’occurrence, il avait tous les droits de lui poser cette question mais quand même. Alice trouvait cela assez agréable en fin de compte.

D’un autre côté, Noah ne savait pas qui était son père et c’était sans doute mieux ainsi. Alice n’avait jamais rencontré quelqu’un dans ce cas, principalement parce que son cercle social se résumait aux associés de son père et à ses collègues. Dans tous les cas, où qu’elle aille, la réputation de son père la suivait plus assidument encore que son ombre. Alors peut-être était-ce mieux de ne rien dire à Noah… elle avait l’habitude de mentir, de jouer un rôle, mais en général c’était dans le sens inverse. Elle jouait le rôle de la fille de son père, parce que c’était ce qu’on attendait d’elle, mais pour une fois qu’on lui demandait d’être honnête avec elle-même, devait-elle continuer à mentir ? Son cerveau, bien sur, lui disait que mentir était le plus sage. Surtout après le petit numéro du jeune homme, mais dans ce cas, pourquoi mourrait-elle d’envie d’être honnête ? Lorsque Noah revint finalement avec leurs commandes, il s’assit et la regarda l’air de dire « Alors ? ». Alice prit son gobelet entre ses mains et commença à le faire tourner, essayant peut-être de se donner du courage ou de faire comme si Noah ne lui avait jamais posé la question. Mais avant qu’elle ne s’en rende compte, les mots sortaient de sa bouche :

« Mon père est très… trop protecteur. C’est parce qu’il m’aime tu comprends mais il finit par m’étouffer. Tous les gens que je connais le connaissent aussi et donc leur comportement n’est jamais honnête… le mien non plus d’ailleurs. »

Elle but une gorgée de son chocolat et se brûla légèrement la langue, mais elle fit comme si de rien n’était. Elle regardait partout dans le Starbucks sauf en direction de Noah, elle avait toujours été franche, lorsqu’elle avait quelque chose à dire, elle le disait en face et sans détours. Mais elle n’avait jamais eu à parler d’elle-même, de ce qu’elle ressentait… et c’était bien plus difficile que d’envoyer chier un inconnu… Elle se passa une main dans les cheveux avant de poursuivre :

« Et puis, il est assez connu dans ce quartier. Il a une réputation à tenir. Et si… si sa fille fait quelque chose, sa réputation est forcément concerné, et donc lui aussi. C’est pour cela aussi que je ne parle qu’à ceux qui peuvent lui faire un rapport de mes relations sociales… »

Alice s’éclaircit la gorge un instant, ne sachant pas bien si elle devait poursuivre ou non. Après tout, Noah voulait simplement savoir pourquoi il avait faillit se faire étrangler, pas si elle se sentait mal dans sa situation… Elle se sentait bête de déballer tout ça à un parfait inconnu, mais maintenant qu’elle avait commencé, elle n’avait aucune envie de s’arrêter. Elle avait menti à tout le monde pendant plus de 20 ans, mais maintenant qu’elle avait commencé à être honnête, c’était comme si tout ce qu’elle avait retenu en elle devait sortir, d’une manière ou d’une autre. Elle leva enfin les yeux vers le jeune homme et acheva :

« Je crois que tu es la première personne à qui je parle qui ne connaisse pas mon père. J’ai passé toute ma vie à jouer le rôle de sa fille, sans même chercher à savoir qui j’étais vraiment, et ce que je voulais. Je suis désolée de t’avoir dit tout ça, je ne sais pas ce qui m’a prit… » Elle passa à nouveau sa main dans ses cheveux, les emmêlant dans un geste nerveux, puis elle reprit : « Ce que je veux dire c’est que… j’ai passé ma vie à mentir, je ne suis pas honnête… tu vois ? »

Alice observa Noah au comptoir prendre leurs commandes. Elle ne comprit pas pourquoi la serveuse sursauta brutalement au milieu de leur conversation, mais après tout ce n’était pas forcément étonnant. La plupart des employés de ces coffee shop étaient des imbéciles complets. La majorité de leurs clients connaissaient mieux leur menu qu’eux, et c’était navrant à voir. Alice était mal placée pour critiquer le manque d’efficacité professionnel, mais elle au moins, elle l’assumait. Elle ne faisait pas semblant de vouloir bien faire, tout le monde savait qu’elle était là uniquement pour pouvoir dire qu’elle avait un « boulot » point barre. En un sens, c’était plus respectable, non ?

Quoi qu’il en soit… elle hésita longuement à s’ouvrir à Noah. Déjà parce qu’il y’a deux heures, elle ne le connaissait pas du tout, mais aussi parce qu’à bien y réfléchir, même maintenant elle ne le connaissait pas. Elle ne savait rien de lui, et lui ne savait rien d’elle. Mais au fond, peut-être que c’était mieux comme cela, comme les gens qui vont voir des psys. Ils préfèrent se confier à quelqu’un qui ne les connaît pas, qui peut les juger parce qu’ils s’en foutent royalement de l’opinion qu’un inconnu a d’eux. Que risquait-elle à être honnête ? C’était une expérience à tenter non… ? Et elle n’aurait sans doute pas cette occasion deux fois dans sa vie. Ce fut sans doute cet argument qui l’a convainquit de commencer à parler, mais une fois lancée, il avait été dur de l’arrêter.

Lorsqu’elle releva les yeux vers Noah, elle eut l’impression étrange qu’il voulait regarder partout, sauf dans les siens. Il lui lança un sourire plein de compassion qu’elle accepta sans trop chercher plus loin. Ça paraissait ridicule de se plaindre lorsqu’on avait apparemment tout dans la vie, qu’on n’avait pas besoin de travailler ni d’avoir peur du lendemain. Mais vivre dans une cage dorée n’était pas un sort enviable… et Alice en savait quelque chose. Noah hésitait, il semblait un peu… confus. Il ne savait pas quoi répondre, de toute évidence, et Alice ne pouvait pas le blâmer. Pourquoi avait-elle dit ça ? Franchement, qui aurait dit ça à un parfait inconnu… ? Elle s’attendait si peu à le voir répondre qu’elle sursauta presque en entendant le son de sa voix :

« Personne n’est totalement honnête, c’est quasiment contre la nature humaine »

Personne n’était honnête… ? C’était sans doute vrai. Mais elle espérait bien que son cas était à part tout de même. Si tout le monde agissait comme elle, alors la race humaine avait un sacré problème. Il avait sans doute raison pourtant, l’honnêteté était une vertu bien rare de nos jours, tout le monde jouait un rôle. Mais la plupart des gens se rendaient compte que c’était un rôle, et ils savaient qui ils étaient vraiment à l’intérieur. Alice venait seulement de se rendre compte qu’elle n’avait jamais cherché à savoir qui elle était elle-même. Elle jeta un regard à Noah qui semblait agacé contre quelque chose, lui-même sans doute mais la jeune femme ne comprit pas pourquoi. Il but une gorgée de café et essaya d’enchainer. Mais il se coupa dans sa phrase.

Alice avait tout d’abord pensé qu’il allait dire «Je ne peux pas comprendre, je ne suis pas dans ta situation», et elle le comprenait parfaitement. Elle ne s’attendait pas à tomber sur quelqu’un qui vivait la même chose qu’elle, ou quelqu’un qui comprenait le malheur de sa naissance. N’importe qui aurait des raisons de l’envier, alors pourquoi Noah aurait-il du se sentir désolée pour elle ?

«Je ne…»« ... Peut que comprendre ce que tu vie, enfin en partie … les vautours, les gens malhonnêtes, l’impossibilité de savoir si on nous aime pour ce qu’on est ou seulement pour se faire bien voir de nos parents » [i]

Quoi ? Comprenait-il vraiment ce qu’elle ressentait ? A première vue elle aurait juré que non, après tout son destin n’était pas très commun. Et pourtant, l’expression de son visage, la lueur dans ses yeux ressemblaient tant à ce qu’elle aurait pu elle-même exprimé qu’elle crut en sa sincérité. Et après tout, ne lui avait-il pas dit qu’il travaillait dans l’entreprise de son père ? Leurs situations se ressemblaient donc plus qu’Alice ne l’aurait cru au premier abord. Et aussi incroyable que cela puisse paraître… elle en était heureuse. Elle n’aurait souhaité sa vie à personne, mais savoir que quelqu’un la comprenait, que quelqu’un vivait la même chose, c’était une sensation insensée. Leur rencontre était une coïncidence incroyable…

« En général ce genre de personne j’ai plutôt envie de les pousser par la fenêtre, mais après tout il faut bien faire bonne figure … »

Il avait sans doute raison. Faire bonne figure, dans notre monde c’était indispensable. Mais Alice commençait à en avoir sérieusement marre. C’était peut-être le fait de l’avoir exprimé à haute voix, ou alors d’avoir rencontré quelqu’un comme elle, mais elle avait envie de changer. D’agir en tant qu’Alice. Et non en tant qu’Alice Mansfield. Elle sourit pour la première fois depuis plusieurs minutes, d’un sourire si sincère qu’elle en aurait fait fondre un iceberg ( ). Elle était bien trop excitée pour voir la culpabilité que Noah ressentait.

"Mais qui sait , il faudrait essayer un jour "

« J’ai une meilleure idée. »

Un grand sourire aux lèvres, Alice finit rapidement son café et se leva. Faisant le tour de la table pour se placer à côté de Noah, elle le força à se lever ( c’est que mine de rien, elle avait de la force ). Une fois debout face à lui, elle appuya sa main gauche sur son torse et se mit sur la pointe des pieds pour déposer un baiser sur sa joue. Elle le fit durer un peu plus longtemps que nécessaire, pour la bonne et simple raison qu’elle n’avait pas envie de se reculer. Elle se sentait étrangement bien comme ça, et elle avait aussi un peu peur de lui faire de nouveau face après ça. Oui, Alice était quelqu’un de prude. Mais lorsqu’elle recula finalement pour se remettre face à lui, un grand sourire illuminait son visage. Ses joues légèrement rosies lui donnaient un air mignon malgré tout. Finalement elle tendit sa main à Noah et ajouta :

« Bonjour Noah. Je m’appelle Alice, enchantée. »

Se débarrasser de son nom de famille était bien évidemment un geste symbolique, mais elle était loin de penser que Davidson n’était de toute manière pas le nom de celui qu’elle venait d’embrasser.