Don't wanna talk ✗ Alice

Au bureau, Eleanor tapait à la vitesse de l'éclair sur son clavier. Ses collègues – tous masculins, et tous terriblement déçus qu'elle soit lesbienne – la regardaient d'un air étrange. Ils ne comprenaient pas comment une fille aussi belle qu'elle pouvait être aussi douée dans un domaine quasiment entièrement dominé par les hommes. Il fallait le dire, en informatique, il n'y avait quasiment jamais de femmes, et encore moins des femmes attirantes. Alors bien sûr, tous avaient tenté leur chance avec la jolie Eleanor, et tous avaient été cruellement déçus en comprenant qu'elle n'était pas du bon bord. La jeune femme n'avait jamais été gênée de déclarer qui elle était, et si en plus ça pouvait lui éviter de se faire draguer à longueur de journée quand elle était au bureau, ça l'arrangeait bien. Il n'y avait que son patron qui ne semblait pas avoir très bien décrypté le message, ou bien qui pensait pouvoir la faire changer d'orientation sexuelle grâce à son charme fou, mais bon, des idiots, elle en avait connu avant lui et elle savait s'y prendre avec les types dans son genre.

Elle compila le bout de code qu'elle venait d'écrire et l'exécuta. Parfait, tout semblait fonctionner à merveille à première vue. Elle fit tourner le tabouret qui lui servait de siège et appela l'un de ses collègues qui se trouvait au bureau d'à côté. « Eh Mike, c'est bon, j'ai programmé la fonction d'enregistrement. Je t'upload ça et tu me dis si ça te va? » Elle se tourna à nouveau face à son écran pour s'exécuter. « Euh... » Eleanor leva les yeux au ciel. Il était si bête que ça? C'était pourtant pas compliqué ce qu'elle venait de dire. Lâchant sa souris et son clavier elle se tourna à nouveau vers le fameux Mike. Le jeune homme fronçait les sourcils et la regardait d'un air étonné. « Quoi? » Il pouvait arrêter de la regarder avec ses yeux de merlan fris là? Qu'est-ce qu'il avait pas compris encore? Elle ouvrit la bouche pour lui expliquer très exactement de quoi elle parlait puisqu'il n'avait pas l'air d'avoir tout suivi, mais le jeune homme lui coupa involontairement la parole. « Lea, tu l'avais déjà programmé. Tu me l'as envoyé il y a deux jours. » Ce fut au tour d'Eleanor de froncer les sourcils. Elle essaya de se rappeler, mais rien ne lui revenait en mémoire. Elle sentit ses joues rosir légèrement, elle détestait ça. Avoir tort. Surtout quand c'était dû à sa putain de tumeur. Les médecins lui avaient expliqué qu'elle était située dans le coin de son cerveau qui gérait la mémoire en particulier et qu'il était possible qu'elle ait des problèmes dans les prochains mois. « Ah oui, désolée, j'ai mal dormi cette nuit, j'ai dû oublier. » Mike hocha la tête, l'air toujours aussi perplexe. Ce n'était pas dans le style de la jeune femme de faire des erreurs de ce genre, elle était d'habitude particulièrement rigoureuse, en même temps ça venait avec le métier.

Elle força un sourire et se retourna vers son écran, essayant d'ignorer les messes-basses qu'elle entendait dans son dos. Ils se demandaient qu'est-ce qui n'allait pas chez elle, elle le savait, elle n'avait même pas besoin de se retourner pour en être sûre. Fatiguée et à cran, elle attrapa son sac, éteignit son pc et sortit du bureau après avoir dit au revoir à ses collègues. Il n'était que 16h30 mais elle ne pouvait pas supporter de rester là-bas, pas après ce petit épisode. Dans le métro, elle se prit la tête à deux mains, comme si ça allait régler son problème. Elle allait devoir passer à l'hôpital, pour faire une prise de sang et passer une IRM, histoire de vérifier l'avancement de la tumeur. Alors ça commençait, hein? Se mordillant la lèvre, Eleanor essaya d'oublier la peur qu'elle commençait à ressentir. Elle avait su dès le début dans quoi elle se lançait.

Elle passa donc à l'hôpital, pas tellement d'humeur à discuter, elle fut plutôt malpolie et sèche avec Darcy, mais elle savait que la jeune femme ne lui en voudrait pas pour ça. En plus, elle avait l'habitude. Elle monta ensuite d'un étage et passa l'heure suivante à passer son IRM et à attendre les résultats. À première vue, rien d'anormal, la tumeur continuait à grossir doucement et elle avait apparemment commencer à gêner le fonctionnement de son cerveau. Remettant son sac sur son épaule, Eleanor sortit de l'hôpital, pressée de rentrer chez elle et d'oublier cette journée désastreuse.

Alice n’était pas de bonne humeur, surprise. Non seulement elle s’était réveillée à 7h par réflexe, encore peu habituée au chômage, mais en plus son idiot de voisin s’était senti obligé de venir la réveiller une seconde fois sous les coups de 10h parce qu’il avait oublié le code de l’immeuble. Etait-ce vraiment si compliqué que ça de le noter sur son téléphone, et au pire il aurait pu attendre dans la rue que quelqu’un ai pitié de lui ! Mais la réveiller le matin était inadmissible !

Elle s’était finalement levée à contre cœur, sachant parfaitement que dans son état elle serait incapable de se rendormir. Elle était à cran, trop énervée pour faire quoi que ce soit mais l’ennui la rendait plus irritable encore. Elle avait pris l’habitude d’occuper ses journées et trainer dans son appartement avait tout de même moins de charme que se laisser bronzer au bord de la piscine de son père. Oui, elle allait devenir dingue, et bientôt si rien ne s’arrangeait.

Elle évita soigneusement de penser à Noah et c’est donc pour cela que le jeune homme n’arrêta pas d’envahir ses pensées, l’énervant un peu plus à chaque apparition. Cet idiot avait fait enfermé son père, l’avait forcée à trouver un boulot tout ça pour l’obliger à démissionner ensuite ! Et il avait renversé son café sur un de ses hauts préférés pour couronner le tout ! C’était sans doute la seule chose pour laquelle il s’était excusé mais Alice lui en voulait tout de même encore.

Mais il valait mieux pour sa santé mentale qu’elle arrête d’y penser et elle retourna donc s’affaler dans la chose qui lui servait désormais de canapé. Elle savait qu’elle devait trouver un nouveau boulot, et rapidement si possible, mais elle n’avait aucune envie de sortir. Ou de faire quoi que ce soit pour être honnête. Tout ça c’était la faute de vous-savez-qui, grommela-t-elle pour elle-même avant de se rendre compte que la folie la guettait réellement.

Elle se força à se lever vers 16h et partit se préparer. Elle n’avait rien avalé de la journée et un café lui ferait le plus grand bien, surtout qu’elle savait très bien qu’elle ne s’endormirait pas avant 2h du matin. Apparemment elle allait encore passer la soirée à regarder des séries criminelles à la télé. Jusqu’où pouvait-elle encore s’abaisser ?

Elle enfila une des tenues qu’elle avait réussi à récupérer, n’ayant pas le cœur de tout vendre, et attrapa ses clés avant de sortir de l’appartement. Elle serait bien restée enfermée chez elle pendant une semaine mais elle allait finir par étouffer et ça aurait été une insulte à son père que de ne pas profiter au moins un peu de sa liberté. Liberté relative, certes, mais liberté quand même. Elle se dirigea vers le quartier dans lequel elle travaillait, plus par réflexe qu’autre chose et entra dans le premier café sur son chemin.

Elle commanda le café le plus fort qu’ils servaient et attendit patiemment que le jeune homme derrière le comptoir le prépare. Mais il se contenta de la fixer avec un sourire qu’il croyait sans doute charmeur. Elle respira un grand coup, sentant le commentaire venir.

« Je ne vous aurais pas déjà croisée par hasard ? »

« Non. » répondit-elle du tac au tac et d’un ton froid. « Avec des goûts vestimentaires pareils je vous aurais reconnu je pense. Maintenant activez-vous, j’ai mieux à faire que de trainer par ici. »

Bien sur elle n’avait rien de mieux à faire, mais ça il n’était pas obligé de le savoir. Elle s’était peut-être montrée désagréable mais elle s’en fichait pas mal pour l’instant, tant qu’elle pouvait repartir avec son café, elle n’en avait rien à faire d’avoir égratigner l’égo d’un gamin qui se croyait charmant. Elle lui avait sans doute même rendu service, il y réfléchirait à deux fois avant de draguer quelqu’un qu’il ne connaissait pas maintenant.

Le gamin se hâta de lui préparer son café et Alice se fit la remarque qu’être malpolie avait au moins l’avantage de faire gagner du temps. Elle attrapa sa boisson sans un ‘merci’ et sortit du café sous les regards noirs de la plupart des clients. Elle les ignora complètement et se retrouva de nouveau dans la rue. Elle était prête à prendre le chemin du retour lorsqu’elle aperçut une touffe de cheveux familière. Fronçant les sourcils, elle traversa la rue avant de retrouver la jeune femme qu’elle avait bel et bien reconnue.

« Lea ? » s’étonna-t-elle avant de lui lancer un petit sourire lorsque la jeune femme se tourna finalement vers elle.

Alice leva alors les yeux et fronça de nouveau les sourcils.

« Qu’est-ce que tu faisais à l’hôpital ? »

Eleanor était en train de passer l'une des pires journées de sa vie. Elle savait très bien ce qui l'attendait quand elle avait refusé les traitements que lui proposaient ses médecins pour lutter contre sa tumeur et, après quelques temps, essayer de la faire disparaître complètement. Mais ce n'était pas pour ça qu'elle appréciait les symptômes que ses médecins lui avaient promis. Elle qui détestait ne pas avoir entièrement sa vie en main, elle trouvait sa situation particulièrement frustrante. Il allait falloir qu'elle s'achète un journal de bord et qu'elle commence à tout noter, elle refusait de dire à ses collègues qu'elle était malade, elle n'avait pas besoin que d'autres personnes essayent de la convaincre qu'elle faisait le mauvais choix. Elle avait pris sa décision, et elle était finale. Comme elle refusait tout autant de ne plus être aussi efficace que d'habitude dans son boulot, elle n'allait donc pas avoir le choix. Il allait falloir qu'elle s'achète un journal de bord, enfin, si elle s'en souvenait encore d'ici une demi-heure. Humour noir, ça au moins tu ne l'as pas encore oublié, c'est déjà ça de pris. Elle esquissa un léger sourire amusé avant de remettre son portefeuille et ses papiers dans son sac à main.

Elle avait mal à la tête, tous ces tests avaient le don de lui filer une migraine de tous les diables. Se massant doucement les tempes, elle gardait la tête baissée, les yeux rivés sur le bitume. Aussi elle ne remarqua pas la jeune femme qui s'approchait d'elle. Elle ne la vit que quand celle-ci l'appela par son surnom et qu'elle releva finalement les yeux. « Alice ! » S'exclama-t-elle d'un ton surpris. Pour être surprise, ça, elle l'était. Les deux jeunes femmes se connaissaient depuis un peu plus d'un an. Eleanor ne connaissait personne à Londres, ayant toujours vécu à Berlin, et elle avait remarqué la jeune femme assise toute seule dans un bar de la capitale britannique. Elle l'avait abordé et avait vite compris qu'Alice ne mangeait pas de ce pain là. C'était bien dommage, la jeune femme était totalement son type. Enfin, elles étaient restées amies, chose que Lea avait d'ailleurs encore du mal à comprendre. Sur le papier elles n'étaient pas du tout faites pour s'entendre, elles avaient toutes les deux un caractère trop fort, mais en réalité, elles avaient appris à s'apprécier et elles déjeunaient régulièrement ensemble. Alice était plus ou moins la seule amie qu'Eleanor avait dans la capitale.

Qu'est-ce qu'elle faisait à l'hôpital. Et bien, c'était une très bonne question. Eleanor baissa les yeux rapidement. Vite un mensonge, et un solide tant qu'à faire. « Oh, mon grand frère s'est fait renversé par une voiture la semaine dernière. Rien de bien grave, je te rassure, je venais juste lui rendre visite. Il devrait sortir demain normalement. » Elle lança un sourire en coin à la jeune femme avant de se rendre compte que son mensonge ne tenait qu'à moitié la route. Elle avait déjà mentionné sa situation à son amie, enfin, elle ne lui avait jamais dit qu'elle était malade, bien sûr, mais elle lui avait déjà rapidement parlé de sa famille, et pourvu qu'Alice ait un peu de mémoire, elle se souviendrait qu'ils ne venaient jamais à Londres et que ce n'était d'ailleurs pas pour déplaire à la jolie brune. Elle ne laissa en tout cas rien paraître, elle avait l'habitude de mentir, elle ne faisait que ça, avec ses collègues, avec sa famille, avec ses plus proches amis... Elle avait appris qu'elle aimait garder ses secrets pour elle et que le mensonge était la seule solution pour qu'ils restent bien à elle.

Enfin, soucieuse de ne pas laisser trop de temps à Alice pour réfléchir à ce qu'elle venait de dire, elle commença elle aussi à poser des questions. « Et toi? Tu bosses pas à cette heure là? » Aux dernières nouvelles, Alice travaillait dans un magasin de fringues, c'était d'ailleurs là-bas qu'Eleanor allait acheter la plupart de ses vêtements depuis que les jeunes femmes s'étaient rencontrées. Enfin, ça faisait un moment qu'elle n'avait pas été d'humeur à faire du shopping, aussi elle ignorait totalement qu'Alice ne travaillait plus là-bas. « Si t'es libre, on va se boire un verre? » Elle ne savait pas ce qu'Alice en pensait, mais pour sa part, elle avait bien besoin d'un verre, et surtout d'une excuse pour changer de sujet. S'il y avait bien une personne qui risquait de ne pas réagir comme les autres en apprenant pour sa tumeur, c'était bien Alice, mais Eleanor ne voulait pas tenter le diable. Elle ne voulait pas que les gens la traitent différemment, et surtout pas en lui montrant leur compassion et leur pitié.

Alice s’étonna de voir la réaction qu’elle avait provoquée chez la jeune femme. D’accord, elle avait le droit d’être surprise mais de là à crier, il ne fallait pas exagérer. En plus elle avait attiré l’attention des passants. Alice jeta un regard aux alentours, mauvais réflexe, pour être sure qu’elle ne reconnaissait personne avant de diriger à nouveau son attention sur Léa. Les deux jeunes femmes avaient eu une rencontre plutôt atypique, il fallait dire qu’Alice n’avait pas l’habitude de se faire draguer par des femmes. Elle n’avait pas une tête de lesbienne, non pas que Léa en ai une, après tout elle n’en savait rien… Et pourquoi essayait-elle de se justifier dans ses propres pensées ?

Elle leva les yeux au ciel et ne les abaissa qu’à temps pour voir Léa éviter son regard. C’était plutôt étrange, elles étaient restées en bons termes et se voyaient régulièrement pour déjeuner, Léa n’avait aucune raison d’avoir peur d’elle. Elle ne comprit qu’ensuite que Léa était simplement gênée, Alice savait donc que son amie allait lui mentir avant même qu’elle ouvre la bouche. La jeune femme n’était pas très perspicace en règle générale, mais elle avait déballé assez de mensonges dans sa vie pour être capable d’en reconnaître un à dix mètres.

Il fallait dire que les indices ne manquaient pas. Si son frère s’était vraiment fait renversé par une voiture, la jeune femme serait sans doute plus inquiète que cela, même si les blessures étaient minimes. De plus, Alice savait de source sure (de Léa elle-même) que la jeune femme n’avait pas vu ou parlé à ses frères depuis des années et qu’elle s’en portait très bien. Tout cela combiné à son regard fuyant et Alice n’avait plus aucun doute sur la question, Léa lui avait menti. Restait à savoir si elle avait envie de lui faire avouer la vérité.

Alice n’avait jamais été du genre à forcer les gens à lui dire ce qu’ils préféraient taire, pour la bonne et simple raison qu’elle s’en fichait pas mal. Léa était pourtant une exception puisqu’elle était aujourd’hui sa seule amie, la seule personne à qui elle avait osé parler de Noah. Elle se rappela pourtant que Léa avait su respecter sa vie privée à l’époque, elle n’avait donc aucune envie de trahir leur pacte tacite : je me fous de ta vie si tu ne veux pas me la raconter. Leur arrangement avait plutôt bien marché jusqu’ici et Alice décida donc de s’y tenir.

« Oh, je suis contente qu’il n’ai pas grand-chose. »

Alice, qui était jusque là parfaitement à l’aise, se tendit légèrement lorsque Léa lui demanda si elle n’était pas censé être au magasin à cette heure là. Un pris pour un rendu apparemment, bien que Léa ne pouvait pas savoir qu’elle venait de lancer un sujet qu’Alice préférait ne pas aborder pour l’instant. « Non, la vieille peau a finit par me virer. » Ce n’était qu’un semi mensonge. Après tout, si Alice n’avait pas démissionné, son manager l’aurait effectivement viré. Elle avait juste tenté de conserver un minimum de dignité. « Mais ne t’inquiète pas, j’ai déjà quelques pistes. » Mensonge éhonté. « Et elle finissait vraiment par me courir sur le haricot. » Pure vérité.

Alice hocha vigoureusement la tête à la proposition de son amie, un verre ne lui ferait pas de mal et dix pourraient peut-être même commencer à l’aider. Elle jeta son café dans la poubelle la plus proche, éclaboussant un passant sans même le remarquer avant de prendre le bras de Léa. Elle n’avait pas pu sortir depuis trop longtemps, et elle avait bien besoin d’un remontant. « Bon, puisque je me suis fait virer, aujourd’hui c’est toi qui paie ! » déclara-t-elle d’un ton qui n’autorisait aucune réplique avant d’entrainer Léa vers le bar le plus proche. « Sauf si tu as une meilleure excuse pour me faire payer l’addition. » ajouta-t-elle d’un ton moqueur, ouvrant la porte du pub et venant s’installer dans un coin tranquille. Si les deux jeunes femmes commençaient à boire, les choses pourraient très vite devenir embarrassantes et un minimum d’intimité leur serait utile.

Un serveur arriva pour prendre leur commande et Alice le sentit tellement venir qu’elle ne lui laissa pas même le temps de les draguer. Elle passa son bras autour des épaules de Léa avant de venir déposer un baiser sur sa joue, se tournant ensuite vers le serveur avec un grand sourire innocent sur le visage. « Un whisky. »

Elle attendit que Léa passe aussi sa commande et que le serveur soit parti pour enfin enlever son bras. Elle repoussa une mèche de ses cheveux blonds qui commençaient à la gêner avant de se tourner vers son amie. « Alors et toi ? Comment ça se passe au boulot ? Les mecs ne t’embêtent pas trop j’espère. »

Eleanor lança un sourire en coin à la jeune femme quand celle-ci n'insista pas. Elle connaissait assez bien Alice pour savoir qu'il y avait toutes les chances qu'elle ait compris que Lea était en train de lui mentir. Si c'était le cas, elle avait choisi de ne pas s'étendre sur le sujet après avoir remarqué que la jeune femme ne voulait pas en parler, et Eleanor appréciait vraiment le geste. Ce n'était pas pour rien qu'elle n'avait parlé à personne de sa maladie, et elle aimerait qu'elle reste secrète encore un peu. Bientôt elle ne pourrait plus la cacher, elle allait devenir gâteuse – youpi, youpi, joie, joie – et là, même ses abrutis de collègues allaient comprendre que quelque chose n'allait pas. Elle soupira malgré elle et se força à sourire à nouveau. Elle ne voulait pas pourrir l'ambiance, elle aimait passer du temps avec Alice, sincèrement. Sur le papier les deux jeunes femmes n'auraient pas du s'entendre, elles avaient des caractères trop similaires et trop forts toutes les deux, et pourtant, par on-ne-sait quel miracle, elles réussissaient à s'entendre. « Ça m'étonne pas. » Répliqua-t-elle d'un ton moqueur quand Alice lui avoua s'être fait virée. Elle était passée plus d'une fois dans la boutique de la jeune femme et dire qu'elle y mettait de la mauvaise volonté aurait été l'euphémisme du siècle. Enfin, elle était tout de même soulagée qu'Alice ait l'air d'avoir d'autres pistes pour le boulot, elle ne tenait pas à ce que la jolie blonde se retrouve à la rue. « Au pire, je connais un club de strip-tease qui recrute des danseuses, je suis sûre que tu ferais un tabac. » Elle se mordilla la lèvre en sentant le regard appuyé que lui lançait Alice. « Ne me demande pas comment je sais ça. » Elle leva les yeux au ciel et se laissa entrainer par son amie. Un verre, et vite ! Elles en avaient apparemment toutes les deux bien besoin.

Elle rigola en voyant la jeune femme éclabousser quelqu'un sans même s'en rendre compte. La bonne humeur d'Alice lui avait manqué, c'était de ça dont elle avait besoin, pas des gueules de cons qu'elle était obligée de se farcir toute la journée. « Tu perds pas le Nord toi, hein. » Lâcha-t-elle en forçant un ton offusqué. Elle allait payer l'addition, ce n'était pas un problème. Elle avait les frais hospitaliers en plus à payer par mois, mais elle s'était juste habituée aux dépenses supplémentaires et elle n'en était pas encore à se serrer la ceinture pour survivre sur son salaire. Ce fut tout naturellement qu'Eleanor attrapa la main qu'Alice avait passé autour de ses épaules et qu'elle commença à la caresser. Ce n'était pas la première fois qu'elles jouaient à ce jeu pour éloigner la gente masculine. Le serveur comprit tout de suite et après qu'Alice ait commandé, Eleanor ajouta d'un ton plein d'enthousiasme : « Deux ! » Dès que le serveur eut le dos tourné elle lâcha la main de la jeune femme et commença à tambouriner sur la table avec ses doigts. « M'en parle pas pitié, y en a encore un qui a pas compris le message. Hello, les torses poilus c'est pas mon trip, il faut que je me ramène habillée en camionneuse pour qu'il comprenne que lui et moi ça arrivera jamais? » Elle leva les yeux en soupirant longuement. Enfin elle se plaignait, mais ce n'était pas si terrible, des types lourd qui la draguaient sans savoir qu'elle jouait dans l'équipe adverse, elle en voyait tous les jours. Ça lui faisait juste un bien fou de se défouler.

Leurs boissons arrivèrent et Lea but la sienne cul sec avant d'en recommander deux autres. Connaissant Alice elle n'allait pas tarder à avoir fini son verre non plus et Eleanor préférait prévoir le coup tant que le serveur était encore à portée de main. Elle lança un regard amusé à la jeune femme, déjà grisée par l'alcool et juste terriblement contente de pouvoir passer un moment comme ça, aussi simple, loin de l'hôpital, loin du boulot. Ça faisait trop longtemps qu'elle ne s'était pas sentie aussi détendue, et elle savait que c'était Alice qui avait cet effet là sur elle. Quand elles étaient ensemble, les deux jeunes femmes oubliaient instantanément leurs soucis et envoyaient tout bouler. C'était ça la magie de leur amitié. « Au fait, en parlant de mec... » Elle se mordilla la lèvre inférieure en prenant un air charmeur. « Quoi de neuf de ton côté? C'est pas parce que je suis gay que je n'aime pas t'écouter en parler, je te rassure. » Elle leva les yeux au ciel et but la moitié de son deuxième verre de whisky quand celui-ci arriva. L'alcool lui brûlant la gorge lui faisait un bien fou. « Des nouvelles de Noah? » Lança-t-elle d'un ton volontairement provocateur. Alice lui avait raconté un peu son histoire avec le jeune homme et même si elle avait omis d'en parler, Eleanor savait que Noah, salaud ou pas, lui plaisait.

Alice ne put pas retenir un éclat de rire bruyant à la déclaration de Léa. Elle imaginait parfaitement la scène, Léa devait se faire draguer de tous les côtés mais peu de gens avaient compris qu’elle avait des goûts bien particuliers. Elle n’en faisait pourtant pas un secret, il fallait juste croire que certains hommes étaient bouchés. « Dis lui d’aller se faire mettre, il comprendra peut-être le message. Et puis qui sait ? Ça le détendra peut-être. »

Alice regarda son amie avaler son verre cul sec et l’imita immédiatement. Elle savait que la jeune femme avait une descente digne d’un alcoolique de 45 ans mais là, elle y allait fort tout de même. Elle préféra ne pas trop se demander pourquoi, après tout elle s’était dit qu’elle respecterait l’intimité de Léa. Elle n’était pas sure de vouloir avoir de réponse de toute façon, elle avait assez d’emmerdes comme ça sans se rajouter celles de son amies. Si elle avait besoin de se confier, elle le ferait mais Alice n’irait pas la chercher, elle avait trop peur de se faire mordre.

La jeune blonde laissa son amie leur recommander deux nouveaux verres et s’aperçut alors que Léa avait commencé à tambouriner sur la table avec le bout de ses doigts. La jeune femme n’était pas souvent nerveuse, elle était plutôt du genre à être honnête et Alice n’avait jamais rien vu la mettre mal à l’aise. Elle ne put donc pas s’empêcher de se demander ce qui la dérangeait mais préféra ne pas trop se pencher sur le problème. Comme elle l’avait dit, elle n’avait aucune intention d’aller emmerder Léa pour qu’elle lui raconte ce qui n’allait pas si elle n’avait aucune envie d’en parler. Au bout de deux trois verres elle cracherait la vérité aussi facilement qu’un lâche devant la police. Elle en avait vu assez dans sa vie pour le savoir.

Alice leva les yeux au ciel alors que le serveur leur apportait leur deuxième verre. Le petit était peut-être bête mais il était rapide et ce soir c’était l’essentiel. « Pas la peine de me draguer pour obtenir des informations, ça ne t’avait pas réussi la dernière fois. » Le ton d’Alice était détendu mais elle n’avait pas pu s’empêcher de se redresser sur la banquette. Elle pouvait presque sentir le nom de Noah flotter dans l’air et redoutait de l’entendre prononcé à voix haute. Mais telle qu’elle la connaissait, Léa n’allait pas se gêner pour aborder un sujet qu’elle savait pourtant défendu.

Hé ben tiens. Alice avala la moitié de son verre d’une seule gorgée avant de se tourner vers son amie. Léa avait l’air fière d’elle en plus, apparemment Alice n’avait pas assez insisté sur le côté ‘défendu’ de l’affaire, mais après tout, elle ne lui avait pas tout raconté non plus. Il y avait certains détails qu’elle avait volontairement cachés à Léa, ce qui ne l’avait pas empêché d’en deviner la moitié. Le fait qu’elle ai eu un petit coup de cœur pour Noah lors de leur première rencontre n’avait pas du être bien difficile à comprendre, mais la peine qu’il lui avait fait… ça Alice l’avait mieux caché que le reste.

« Depuis quand ça t’intéresse ? » répondit-elle d’un ton qu’elle espérait désinvolte. « Je ne l’ai pas revu et je m’en porte très bien, crois moi. Même si lui mettre un bon coup de pied là où ça fait mal me ferait bien plaisir. »

Alice termina son deuxième (mais pas dernier) verre de la soirée cul sec et commença à jouer avec. Un signe de faiblesse, elle le savait, mais le réflexe était plus fort que son cerveau déjà un peu embrouillé. « Il ne remontrera pas sa tête, il doit penser que j’ai gardé mon flingue. » Oh et comme elle aurait aimé l’avoir eu sur elle la dernière fois qu’elle avait vu le jeune homme. Des images du moment où il l’avait embrassée lui revinrent en mémoire mais elle les chassa bien vite, espérant que son amie n’avait rien remarqué.

La blonde savait très bien qu’elle avait trop parlé pour pouvoir véritablement être crédible, qu’elle avait parlé avec sans doute un peu trop de ferveur. Elle n’avait pas voulu en venir là mais Léa ne lui avait pas laissé le choix, et ça lui apprendrait à se moquer d’elle en prime.

« Mais puisqu’on est honnêtes l’une avec l’autre pour une fois, tu peux peut-être me dire ce que tu faisais vraiment à l’hôpital ? » Cheap shot, et elle le savait, mais elle n’avait rien de mieux sous la main. Et tout était préférable au sujet de conversation que Léa avait volontairement lancé.

C’était peut-être l’alcool qui parlait déjà, mais Eleanor avait envie de rire devant l’air et le ton faussement désinvolte de son amie. C’était comme ça qu’elle allait essayer de lui faire croire qu’elle se fichait complètement du fameux Noah ? Elle se mordilla la lèvre inférieure pour s’empêcher d’afficher un sourire trop large, mais elle trouvait l’entêtement de la jolie blonde franchement hilarant. Elle n’était pas née de la dernière pluie et surtout, elle n’était pas aveugle, elle pouvait remarquer quand un sujet mettait Alice mal à l’aise, et s’il y avait bien un sujet qu’elle cherchait toujours à éviter, c’était celui de Noah. D’ordinaire, Eleanor aurait plus eu tendance à ignorer le sujet, histoire de ne pas provoquer une crise chez son amie, mais elle était d’humeur particulièrement curieuse, de plus, ce n’était pas elle qui avait lancé le sujet mecs. Enfin, pas vraiment en tout cas.

A la réplique suivante de la jeune femme en revanche, elle rit de bon cœur. Elle imaginait bien Alice courir dans la rue en pourchassant le fameux Noah, flingue à la main et tirant des coups en l’air histoire de le faire déguerpir plus vite. Elle préférait ne pas imaginer que la jeune femme pourrait faire exprès de bien le viser. Elle termina son deuxième verre cul-sec et commença à jouer avec de la même façon que son amie en face. Elle ne pouvait pas s’empêcher de voir que la jeune blonde était un peu… Distraite depuis que le sujet Noah avait été mis sur le tapis et maintenant seulement Eleanor commençait à se rendre compte qu’elle avait eut tort. Après tout, ça avait toujours été un accord tacite entre elles de ne pas venir fouiner dans les affaires de l’autre, elles se parlaient de tout ce qui ne les dérangeaient pas, mais elle ne cherchait pas à asticoter l’autre jusqu’à ce qu’elle crache tous ses secrets. C’était ça qu’Eleanor aimait le plus à propos d’Alice, le respect dont elle faisait preuve envers sa vie privée. Elle savait qu’elle devait bien la même chose à la jeune femme, enfin elle était prête à abandonner le sujet quand Alice le changea à sa place. Elle pencha légèrement la tête vers le coté, passant sa langue sur ses lèvres et lançant un regard provocateur à Alice. Oh, vraiment ? Elle voulait jouer à ça ?

Un sourire amusé aux lèvres, elle siffla l’un des serveurs pour qu’il leur apporte une rangée de shots, histoire d’avoir de quoi se saouler tranquillement. Vu comment la soirée était partie elle allait en avoir besoin. « Ah parce que ça c’était ta façon à toi d’être honnête ? Tu me prends pour qui Alice ? » Répondit-elle d’un ton amusé avant de jeter un coup d’œil dans la foule pour vérifier l’avancement du petit jeunet qui était censé leur faire office de serveur. Elle baissa les yeux et laissa échapper un soupir faussement désabusé tout en secouant la tête. Ahlala vraiment, enfin pour le coup, c’était de sa faute, elle aurait du savoir qu’elle allait s’en prendre plein la gueule elle-même en abordant le sujet de Noah avec son amie. Enfin, elle avait au moins reçu la confirmation qu’elle attendait, Alice n’avait pas été dupe une seule seconde et elle savait très bien qu’Eleanor lui avait menti pour l’hôpital. Ça n’avait pas d’importance, ce qui comptait c’était que Lea ne lui donne pas la véritable raison. « Parce que si c’est comme ça qu’on est honnête, alors moi aussi je peux le faire. Je suis bel et bien allée à l’hôpital parce que mon frère s’est fait renverser. Satisfaite ? » Répliqua-t-elle d’un ton sarcastique avant de lancer un regard impatient au serveur qui venait maladroitement leur apporter les shots qu’Eleanor avait commandés.

Elle le remercia en levant les yeux au ciel et attrapa un nouveau verre. Elle le but cul-sec tout comme les deux précédents et se retint de s’en enfiler un autre tant qu’elle y était. Elle ne tenait pas à se bourrer la gueule trop vite, sinon elle allait devenir trop bavarde et la conversation allait perdre de son intérêt. Elle releva les yeux vers Alice, reprenant finalement un air plus sérieux. « Désolée, j’ai compris tu veux pas en parler, ça me va. Je retire ce que j’ai dit. » Voilà, elle retirait, Alice retirerait aussi et elles pourraient parler d’autre chose. Eleanor ne tenait pas tant que ça à savoir ce qui s’était passé entre Alice et Noah, pas assez en tout cas pour que ça vaille le coup qu’elle lui avoue son propre secret. Sans compter que ce ne serait probablement pas assez pour Alice, elle avait vraiment la fierté mal placée et Noah était apparemment quelqu’un qui avait fait plus que simplement égratigner son orgueil. Elle prit un nouveau verre et le tendit en direction d’Alice pour trinquer avec elle. « Aux amies qui se mêlent de ce qui les regarde. » Déclara-t-elle joyeusement avant de finalement trinquer avec Alice.

Elle oublia ses bonnes résolutions de tout à l’heure et finit son quatrième verre de la soirée cul-sec. Regardant par-dessus de l’épaule d’Alice, elle aperçut un type qui devait avoir 70 ans et qui avait apparemment besoin d’une canne pour marcher. Il était assis au comptoir et n’arrêtait pas de lancer des regards appuyés à la jeune blonde. Amusée, Eleanor se pencha vers son amie et déclara d’un ton enthousiaste. « Si tu veux te changer les idées, y a une bombe sexuelle qui arrête pas de te mater. A onze heures. » Elle lui lança un petit clin d’œil avant de se laisser retomber contre le dossier de la banquette, obligée de se mordre la lèvre pour ne pas recommencer à rire bêtement.

Alice savait très bien qu’elle ne pouvait pas mentir à Léa, elle pouvait toujours essayer, mais la jeune femme la connaissait assez bien désormais pour savoir quand elle était sincère ou non. Mais Alice n’avait pas espéré s’en tirer pour de bon, simplement gagner du temps et faire comprendre à Léa que c’était un sujet qu’elle préférait ne pas aborder. D’ailleurs elle était un peu étonnée de voir que son amie avait lancé le sujet alors qu’elles s’étaient très bien contentées de sujets superficiels jusqu’ici. Elles s’étaient mis d’accord – sans avoir besoin de le dire – pour ne pas parler sérieusement, mais si Léa avait choisit d’ignorer leur pacte tacite, alors Alice n’allait pas se gêner pour le rompre à son tour. Elle savait que parler de l’hôpital pourrait les mener toutes les deux sur un terrain miné, mais elle était trop impatiente de changer de sujet pour véritablement y penser. Et si Léa avait mentionné Noah, elle l’avait bien cherché.

Et pourtant, Alice se rendit bien vite compte que c’était peine perdue. Léa avait un sourire moqueur aux lèvres, et apparemment, sa question ne l’avait pas décontenancée plus que cela. Elle avait bien sifflé un serveur pour qu’il leur amène plus d’alcool, mais Léa l’aurait fait en toutes circonstances ça, ça ne prouvait rien. Alice ne put pas s’empêcher de lever les yeux au ciel quand Léa lui répondit, haussant un sourcil moqueur à son tour. Non pas qu’elle prenne son amie pour une conne, loin de là, mais le lui faire croire ne pourrait pas faire de mal. Du moment que ça l’empêchait de reparler de Noah, tout était bon. « Parfaitement satisfaite. Je ne faisais que te rendre la monnaie de ta pièce. » répliqua-t-elle d’un ton tout aussi sarcastique que celui que Léa venait d’employer. Elle savait qu’elle pouvait se permettre d’être froide avec Léa car son amie la connaissait bien et lui pardonnerait bien vite de se montrer désagréable. De toute façon, c’était elle qui avait commencé.

Alice attrapa un verre à son tour, l’avalant cul sec avant de le reposer sur la table. Elle regarda Léa en enchainer un deuxième avec un sourcil haussé. Elle n’allait pas lui dire de freiner sur l’alcool, après tout elle n’était pas sa mère. Mais quand même. « Je te préviens, si tu gerbes ne comptes pas sur moi pour nettoyer. » Alice se calma légèrement en entendant Léa s’excuser après cela, levant les mains en signe de paix et acceptant de laisser tomber le sujet. Il valait mieux pour elles deux qu’elles parlent de quelque chose d’autre ou la situation pourrait vite devenir embarrassante, pour l’une comme pour l’autre. De toute façon, Alice se fichait pas mal de ce que Léa foutait à l’hôpital, ça ne la regardait pas. Elle prit un nouveau verre en main et trinqua avec la jeune femme. « Très bon toast. » déclara-t-elle sérieusement avant d’avaler son shot cul-sec. Elle laissa échapper un petit rire et plaqua le verre sur la table, s’attirant deux trois regards de clients surpris. Elle leur lança un regard amusé et entreprit ensuite de les ignorer. Elle avait l’habitude.

D’ailleurs, Léa venait de capturer à nouveau son attention. La jeune brune s’était penchée vers elle avec un air complice, obligeant Alice à se pencher vers elle à son tour, un petit sourire aux lèvres. Elle haussa un sourcil amusé en écoutant ce que son amie avait à lui dire et se tourna rapidement sur son banc pour jeter un coup d’œil au fameux admirateur. Mais l’expression de son visage n’était plus du tout la même lorsqu’elle se tourna à nouveau vers Léa. Alice lui lança un regard noir mais le fait qu’elle ne puisse pas s’empêcher de rigoler un peu gâchait l’effet. « T’es conne hein. » Alice attrapa un nouveau verre et commença à le porter à ses lèvres, s’arrêtant brusquement avant de pouvoir en avaler une gorgée. « Je te dis si je vois une meuf avec un T-shirt Stark Treek ou je ne sais quoi. Vous auriez beaucoup de choses à vous dire. »se moqua-t-elle avant d’avala son shot. Elle pointa ensuite son amie du doigt, sentant l’alcool commencer à faire son effet. « Tu es sure que les mecs t’intéressent pas, parce que j’en vois un qui ne peut pas arrêter de mater tes fesses depuis que tu es entrée. Plutôt mignon d’ailleurs. Enfin mignon pour un geek. »

Alice ricana avant de se laisser tomber contre la banquette. Le mec avait un T-shirt avec l’espèce de bête verte là que tout le monde connaissait… Le nom lui échappait. Il lui rappelait un peu Noah à vrai dire, mais elle s’efforça ne pas trop y penser. Elle retint un soupir avant de commencer à jouer distraitement avec une mèche de ses cheveux. « S’il t’intéresse pas dis le moi, je t’abandonnerai deux secondes pour aller tenter ma chance. Il est peut-être temps que je commence à trouver un copain, et il ferait sans doute l’affaire pour une nuit ou deux. » déclara-t-elle, inconsciente du fait que sa voix était un peu plus triste que tout à l’heure. Elle se sentait bizarre et se réjouit que l’alcool commence à l’affecter. Elle en aurait bien besoin.

Lea fut soulagée de voir que ses excuses étaient acceptées et qu’Alice était d’accord pour ne pas passer toute la nuit sur ce petit incident. C’était plus facile si elles réussissaient à mettre toutes les deux cet écart de conduite de côté, elles n’avaient jamais parlé de rien de sérieux entre elles, elles déconnaient, elles buvaient, elles draguaient parfois ensemble, mais ça n’allait jamais plus loin que ça. Elles détestaient toutes les deux se plaindre et s’ouvrir aux autres, raconter ce qu’elles ressentaient et pleurer sur l’épaule de quelqu’un d’autre. Tout ça, c’était des trucs de femmes, enfin de fillettes plutôt, et ça n’avait jamais été leur tasse de thé. Eleanor finit son deuxième shot et posa le verre sur la table, ignorant les regards que lui lançaient les quelques clients qui avaient été attirés par le bruit. Ce fut d’ailleurs pour changer de sujet et retrouver une ambiance un peu plus festive que Lea se permit de blaguer avec Alice comme elle le fit. Et puis, soyons honnêtes, parce qu’elle trouvait ça hilarant aussi. Elle explosa littéralement de rire quand Alice se retourna vers elle en lui lançant un regard assassin. Apparemment la blague n’avait pas été du goût de tout le monde.

Elle lança un large sourire à Alice, attrapant un nouveau verre et le vidant encore une fois cul-sec. Les verres qu’elle avait commandés étaient quasiment tous finis, heureusement, elle commençait à sentir l’alcool faire véritablement effet et c’était probablement mieux pour tout le monde qu’elle s’arrête là pour l’instant. Elle ne put s’empêcher de grimacer en entendant Alice parler d’une fille pour elle. « Je suis pas trop Star Trek. Si t’en vois une avec un t-shirt Dalek par contre je prends. » Elle se rappela soudainement que sa copine n’avait probablement aucune idée de ce qu’était un Dalek et elle lui fit un geste de la main pour lui demander d’oublier ce qu’elle avait dit. « Non, laisse tomber. » Lea ne put s’empêcher de se retourner quand Alice lui parla d’un mec qui n’arrêtait pas de reluquer ses fesses. On pouvait même plus passer une soirée tranquille. Elle leva les yeux au ciel en voyant de qui elle parlait, c’était le type avec le t-shirt Kermit, là ? Bonjour le ringard. Elle se retourna vers Alice en laissant échapper un soupir de frustration. « Je suis entourée par des types comme lui toute la journée je te rappelle, si c’était ça que je voulais, j’aurais pas eu besoin de venir ici. » Elle leva à nouveau les yeux avant de commencer à jouer avec le dernier verre plein qui restait sur la table. Elle devait se retenir de ne pas le boire, mais elle n’avait pas envie de se mettre à tituber et à vomir partout, elle allait juste prendre une petite demi-heure pour se donner le temps de se remettre un minimum de tout ce qu’elle avait déjà bu, ce serait plus raisonnable.

Elle ne se rendit pas immédiatement compte de la note triste dans la voix de sa meilleure amie, alors son premier réflexe fut de la taquiner. « Tu m’abandonnerais pour aller tenter ta chance avec un mec ? Sisters before… Misters, or whatever. Bonjour la meilleure amie. » Répliqua-t-elle d’un ton amusé et faussement offensé. Elle aurait préféré qu’Alice reste avec elle, elle était venue pour s’éclater avec son amie et pas pour la voir se taper un inconnu, mais bon, en voyant le regard légèrement triste de la jeune femme, elle comprit qu’il allait bien falloir qu’elle fasse un effort. Apparemment Alice avait été plus touchée par ce connard de Noah que Lea ne l’avait pensé aux premiers abords, le problème, c’était qu’elle n’avait aucune idée de ce qu’elle devait faire pour l’aider. Généralement quand elle se sentait mal, elle buvait pour oublier, mais elles étaient déjà en train de boire. Elle se tourna à nouveau vers le jeune homme qui la matait depuis tout à l’heure avant de reposer son verre encore plein sur la table. « En fin de compte c’est une bonne idée, allez viens ! » Alice se sentait peut-être seule, et puis elle l’avait dit elle-même, le type ferait bien l’affaire pour une ou deux nuits. Elle se leva et força Alice à se lever avec elle, lui prenant la main et l’entrainant vers le type en question sans chercher à savoir si elle était d’accord ou non. Elle s’arrêta devant le mec et se tourna vers Alice, un grand sourire aux lèvres. « Laissez-moi vous présenter Alice. » Elle passa rapidement sa langue sur ses lèvres avant de se tourner vers le jeune homme, il n’avait pas l’air de comprendre ce qu’il avait fait pour avoir une chance pareille ce soir, mais le plus important, c’était qu’il soit prêt à la saisir. « Et vous êtes ? » Eleanor leva les yeux au ciel et se mordilla la lèvre inférieure avant de répondre d’un ton amusé : « Gay. » « Oh. » Le jeune homme eut l’air embarrassé pendant quelques secondes, mais il reprit pied bien assez tôt, se tournant vers Alice l’air de se demander s’il était tombé sur un couple de lesbienne. « Elle est 100% hétéro, ne vous en faites pas. » Le rassura-t-elle, toujours ce même sourire malicieux aux lèvres. Elle se tourna vers Alice comme pour l’encourager à faire comme si elle n’était pas là. « Tant mieux. » Répondit le jeune homme en tendant sa main à Alice et en se présentant à son tour. C’était plutôt bien parti, non ?

Alice fronça les sourcils, les mains autour de son verre quand Léa mentionna quelque chose qu’elle ne connaissait pas. Un dabek? Kézako? Mais avant qu’elle n’ait eu le temps de poser la moindre question - pas certain qu’elle aurait voulu avoir une réponse de toute façon - son amie l’avait interrompue. Alice voyait bien que la jeune femme s’efforçait d’être guillerette et légère, et c’était comme ça qu’elle l’aimait. Elles n’étaient jamais sérieuses lorsqu’elles étaient ensemble, et Alice ne pouvait pas s’empêcher de s’en vouloir de se sentir un peu mal. Ironique, non? Ce n’était pas comme si elle y pouvait quoi que ce soit, mais elle pourrait au moins faire l’effort de paraitre plus joyeuse et surtout d’éviter de penser à Noah simplement parce qu’un geek avait eu le malheur de croiser son regard. Des mecs avec des T-shirts aussi ringards que le sien, elle en croisait partout. Et pourtant, ils lui rappelaient toujours le jeune homme qu’elle aurait tout donné pour n’avoir jamais rencontré.

Pourquoi devait-elle constamment repenser à lui, et particulièrement à leur dernière rencontre. Elle aurait pourtant payé cher pour l’oublier, mais apparemment son traitre de cerveau n’était pas d’accord. La réaction de Léa l’empêcha cependant de se laisser sombrer dans des pensées aussi déprimantes qu’involontaires et Alice ne put pas retenir un petit sourire amusé. Son amie savait exactement comment réagir, elle voyait une émotion sur son visage et s’empressait de la désamorcer en changeant de sujet. Il fallait avouer que ce genre de blagues leur allait bien et qu’elles marchaient plutôt bien pour les empêcher de parler sérieusement. Alice l’avait appris après des années d’utilisation. Elle lança un petit sourire à la jeune femme, la remerciant silencieusement de ne pas avoir fait remarquer son petit coup de blues. Elle était sortie pour s’amuser, pour se vider la tête, et elle avait bien l’intention d’en profiter.

Elle pencha sa tête légèrement sur le côté, ses lèvres s’étirant en un sourire taquin. « Oh vraiment, tu veux me faire croire que je t’ai vexée? J’ai bien le droit de m’envoyer en l’air, non? » Alice fit bien attention de ne pas vraiment se poser la question, encore une fois, il s’agissait d’un terrain miné et elle n’avait aucune intention d’y poser les pieds encore une fois ce soir. Mais Léa avait bien du sentir son malaise, et elle réagit encore une fois très rapidement. Elle se leva et força Alice à en faire autant, la tirant vers le bras tandis que la jeune femme se laissait faire. Elle prit juste le temps d’attraper le dernier verre d’alcool et se laissa trainer jusqu’au geek. Alice avala le shot cul-sec, les yeux fermés tandis que l’alcool brulait sa gorge avant de se tourner vers le jeune inconnu. Elle eut à peine le temps de reprendre son souffle que Léa avait commencé les présentations, elle se força à sourire tandis qu’une de ses mains venait repousser ses cheveux comme par réflexe. Ce n’était pas la première fois qu’elle draguait dans un bar, et son expérience lui serait sans doute utile. Quoi qu’il soit arrivé cette semaine, quoi que Noah puisse en penser, qu’elle en ai envie ou non, elle était bien déterminée à profiter de sa soirée. Et le jeune homme n’était qu’un départ.

Alice vit tout de suite le regard déçu du geek et était sur le point de lui expliquer qu’elle était hétéro - elle - quand Léa reprit la parole, lui coupant l’herbe sous le pied. Elle lança un regard amusé à la jeune femme avant de se concentrer à nouveau sur l’inconnu, son sourire moins sincère mais plus déterminé que tout à l’heure. « Hé oui, désolée. Pas de girl on girl action ce soir. » souffla-t-elle, amusée tandis que ses yeux luisaient de malice. Elle attrapa la main du jeune homme, l’attirant vers elle jusqu’à ce que ses lèvres effleurent son oreille. « Mais je suis sure qu’on pourra trouver d’autres moyens de s’amuser. Juste entre nous. » murmura-t-elle finalement avant de s’écarter, rigolant doucement lorsqu’elle constata que le geek était devenu rouge comme une tomate. Il n’avait vraiment rien d’exceptionnel, mais Alice s’en fichait pas mal. Elle n’avait pas l’intention de l’épouser, elle en serait débarrassée d’ici une semaine. Du moment qu’il pouvait lui servir jusque là, elle se foutait du reste.

« Je suis venue ici pour passer un peu de temps avec mon amie… » Alice passa son bras dans le dos de Léa, lui lançant un petit sourire avant de se tourner vers le geek. Il faudrait peut-être qu’elle lui demande son nom d’ailleurs, même si elle n’était pas certaine d’en avoir quelque chose à faire. « Je ne peux pas l’abandonner comme ça, alors pourquoi ne me donnes-tu pas ton numéro et je t’appellerais dès que j’aurai un peu de temps libre? » Selon toute probabilité, ce soir lorsqu’elle serait trop soule pour se souvenir de quoi que ce soit et que Léa serait rentrée chez elle. Apparemment trop choqué pour pouvoir formuler une réponse cohérente, il se contenta de hocher la tête avant de sortir un morceau de papier et un stylo de sa poche intérieure. Alice lui lança un sourire encourageant, ses lèvres s’affaissant légèrement lorsqu’il commença à écrire et ne pouvait donc plus la voir. Elle évita soigneusement le regard de Léa et attrapa finalement le bout de papier, le gardant dans sa main et forçant un nouveau sourire. « Merci. » souffla-t-elle finalement de sa voix la plus suave avant de faire demi tour, tirant Léa derrière elle. Elle attendit patiemment qu’il ne puisse plus les entendre avant de laisser son visage se détendre. Elle se tourna vers son ami, les traits plus fatigués et secoua gentiment la tête. « Tu sais que je plaisantais, n’est-ce pas? » Alice reprit place derrière la table, s’affalant presque sur la banquette, les mains toujours serrées autour du petit morceau de papier qu’il lui avait donné.

Elle jouait avec sans s’en rendre compte, le tapant contre la table tandis que ses yeux parcouraient la salle. Elle avait l’intention de s’amuser, oui, mais elle n’était plus certaine d’en être capable. Elle ne pouvait pas s’empêcher de repenser à Noah, et son corps commençait à s’agiter de lui-même, montrant sa colère sans qu’elle ne s’en aperçoive. Ses pieds commencèrent à taper contre le sol tandis que ses doigts resserraient leur étreinte sur le numéro du jeune homme. « J’apprécie ce que tu essayes de faire, mais je n’ai pas besoin de ton aide. Ni de la sienne d’ailleurs. » ajouta-t-elle en donnant un petit coup de menton pour désigner le geek dont elle ne connaissait toujours pas le nom. « Un homme, c’est la dernière chose dont j’ai besoin pour l’instant. Crois moi. »

Spoiler:

Eleanor ne pouvait s’empêcher de sourire en voyant la façon dont Alice draguait si naturellement. Elle avait déjà vu son amie à l’œuvre et elle devait bien avouer qu’elle s’était imaginé une ou deux fois à la place du chanceux sur qui elle jouait de ses charmes. Mais ça ne l’empêchait pas d’être à chaque fois impressionnée par la manière dont elle réussissait toujours à obtenir ce qu’elle voulait, quelle que soit la cible d’ailleurs. Elle ne savait pas comment elle arrivait à ce résultat, enfin, elle était magnifique, elle était gentille, drôle, facile à aborder et elle savait très clairement flirter, mais elle avait aussi un petit quelque chose d’assez spécial qui la démarquait encore un peu plus de toutes les autres. Lea n’avait jamais réussi à mettre le doigt dessus, mais elle pouvait voir que ce petit quelque chose de particulier avait encore fait des ravages ce soir là. Elle commença cependant à froncer les sourcils quand Alice passa son bras dans son dos et expliqua au jeune geek qu’elle draguait depuis tout à l’heure qu’elle devait passer la soirée avec elle. Elle se tourna vers Alice, se demandant si tout allait bien ou si elle se servait juste de Lea comme d’une excuse pour s’en aller. Elle écarta cette hypothèse quand Alice demanda son numéro au jeune homme. Bah après tout, elle n’allait pas se plaindre, elle s’était imaginée qu’Alice n’aurait aucun scrupule à la larguer dans le bar pour aller s’amuser un peu avec son nouveau Jules, apparemment elle avait sous-estimé sa meilleure amie. Soit ça, soit Alice n’était pas d’humeur à jouer à ce petit jeu.

Elle ne réussit pas à chasser cette hypothèse là de son esprit, surtout quand elle vit l’expression d’Alice changer du tout au tout alors qu’elles se dirigeaient à nouveau vers leurs sièges. Elle détourna les yeux histoire de rester discrète et de ne pas faire comprendre à Alice qu’elle l’observait depuis tout à l’heure et se laissa trainer jusqu’à leur banquette. Elle ne put réprimer un petit rire quand Alice lui fit remarquer qu’elle avait voulu plaisanter tout à l’heure. « Alors pourquoi tu lui as demandé son numéro ? » Répliqua automatiquement Lea en haussant légèrement un sourcil. Elle passa rapidement sa langue sur ses lèvres et regarda Alice s’asseoir. La jeune femme était redevenue un peu plus… Mélancolique. Apparemment sa petite diversion n’avait pas eu l’effet escompté. Elle se laissa elle-même retomber sur la banquette et commanda une dernière bière. Elle avait déjà assez bu pour la soirée, mais comme elle avait encore soif, elle avait choisi quelque chose de relativement doux, histoire de ne pas finir à quatre pattes par terre. Elle attendit que le serveur lui apporte sa boisson tout en jetant de temps en temps des coups d’œil à sa meilleure amie en face. Elle avait le regard dans le vague et elle tapotait nerveusement le bout de papier avec le numéro du geek de tout à l’heure contre la table. Elle était de toute évidence en train de penser à autre chose, et Lea n’avait pas besoin d’être un génie pour deviner que la jeune blonde pensait à Noah. Elle laissa échapper un petit soupir, ressentant une soudaine envie de massacrer le jeune informaticien pour avoir mis son amie de cet état là. Elle n’avait jamais pris cette histoire au sérieux, elle s’était imaginé qu’Alice s’en serait remise depuis longtemps d’ailleurs… La voir comme ça, elle n’aimait pas ça, et pas seulement parce que ça cassait l’ambiance. Elles déconnaient beaucoup toutes les deux et elles ne parlaient jamais de choses sérieuses, mais elles tenaient l’une à l’autre, elles n’avaient juste jamais eu besoin de se le dire ou de se le prouver. Et bien peut-être qu’elles allaient commencer aujourd’hui.

« Si tu le dis. » Lâcha Eleanor d’un ton très peu convaincu. Elle savait que ça allait agacer Alice et elle regretta de l’avoir lâché sur ce ton quelques secondes après. Elle lança un petit sourire d’excuses à la jeune femme avant de récupérer sa bière des mains du serveur et de la porter à ses lèvres. Elle en but quelques gorgées avant de reposer la chope sur la table. L’alcool lui faisait encore de l’effet, chose qu’elle aurait cru impossible, mais cette dernière bière lui avait fait franchir encore une nouvelle étape dans l’inhibition, étape suffisante pour la pousser à ignorer leur règle d’or. « Qu’est-ce qui va pas ? » Elle avait lâché ça rapidement, comme si ça lui avait brûlé les lèvres depuis le début de la soirée, ou bien comme si elle avait pensé que ça passerait mieux si ça durait moins longtemps. Elle laissa échapper un léger soupir avant de passer une main dans ses cheveux. Elle se pencha en avant sur la table pour se rapprocher d’Alice et plongea son regard dans celui de la jeune blonde. Elle savait qu’elle n’aurait pas dû chercher à briser leur règle d’or, mais maintenant c’était trop tard pour reculer. « Enfin je veux dire… Je t’ai jamais vu aussi… » Elle fit un geste en l’air pour essayer d’expliquer ce qu’elle voulait dire, mais l’alcool ne l’aidait pas vraiment à retrouver les mots. Elle finit par laisser retomber ses bras, abandonnant l’idée d’expliquer oralement ce qu’elle voulait dire, Alice aurait probablement très bien compris. « Je sais que tu dois pas avoir envie de m’en parler, et que tu penses ne pas avoir besoin d’aide, mais t’es plus la même. En temps normal quand tu rencontres un gars ça va tout de suite mieux. » Dit-elle en désignant le geek de tout à l’heure d’un vague et léger coup de tête en arrière. Elle ne put cependant s’empêcher de sourire en pensant à ce qu’elle allait dire ensuite. « Je sais plus quoi faire après moi pour te remonter le moral, j’ai jamais eu à essayer autre chose. Je peux t’en trouver un plus mignon si tu veux. » Elle lança un petit sourire amusé à sa meilleure amie, histoire de détendre un peu l’atmosphère. Ou en tout cas d'essayer.

Alice avait envie de boire, maintenant plus que jamais. Oh bien sur elle avait déjà pris quelques cuites, mais elle n’avait jamais eu autant envie d’être déchirée qu’à cet instant précis. Elle sentait la colère monter en elle, mais elle savait très bien qu’une fois la rage passée, ce serait la tristesse qui s’emparerait d’elle. Et si elle pouvait éviter de pleurer devant Léa, elle le ferait. Malheureusement pour elle, même la quantité d’alcool (impressionnante) qu’elle avait déjà ingurgité ne semblait pas pouvoir la mettre de bonne humeur. Noah avait même réussi à lui pourrir ça, pensa-t-elle avec rancœur. Alice lança un regard noir à son amie lorsqu’elle lui demanda pourquoi elle avait pris son numéro si elle n’avait pas besoin d’un homme. La réponse était simple : ce n’était pas parce qu’elle avait eu peur de le vexer (ça n’aurait pas été la première fois), mais simplement parce qu’elle savait qu’un jour elle serait prête à trouver un copain et que ce jour là elle serait contente d’avoir gardé ce numéro. Mais ce jour n’était pas encore arrivé. Elle s’en sentait même très loin.

Elle avait beau essayer de convaincre sa jeune amie qu’elle allait bien, elle savait très bien que Léa n’en croyait pas un mot, tout comme elle n’avait pas cru à son histoire de tout à l’heure. Mais le fait que Léa montre aussi clairement qu’elle avait reconnu son mensonge commençait à l’agacer. Alice n’avait aucune envie qu’on la juge, et si Léa n’était pas capable de se retenir Alice pouvait tout aussi bien s’en aller. Mais sa colère retomba bien vite lorsqu’elle vit que son amie regrettait son ton. Léa posa alors une question qu’elle n’aurait jamais cru entendre de la bouche de la jeune femme, une question qui fit souhaiter à Alice d’être bien plus bourrée qu’elle ne l’était à ce moment là. Elle regarda avec envie la bière d’Eléanor, énervée de voir que la jeune femme n’arrivait pas à terminer sa phrase. Elle était quoi, hein ? Pathétique ? Lamentable ? Rabat-joie ? Alice savait pourtant que ce n’était pas juste d’en vouloir à Léa car elle aurait bien aimé en savoir plus aussi de son côté. Et elle ne pouvait pas blâmer son amie d’être curieuse, surtout quand il était aussi clair qu’elle était incapable de s’amuser comme avant.

Et c’est peut-être ça qui finit par la mettre KO. Léa essayait de le masquer, mais elle était vraiment inquiète et pour être honnête, Alice ne s’était pas rendu compte de l’ampleur de la situation avant que son amie ne se montre aussi… triste pour elle. Elle essaya de s’en empêcher mais Alice laissa échapper un rire soudain, rire qui ressemblait presque plus à un sanglot et les barrières s’effondrèrent. La jeune femme commença à rigoler pour de bon tandis que des larmes roulaient le long de ses joues. Douloureuses et amères, Alice les essuyait immédiatement mais elle savait qu’elle ne pouvait pas les cacher. Elle n’était même plus sure d’en avoir envie. « Ça va, ça va. J’ai juste… laisse moi deux minutes… » souffla-t-elle finalement en levant une main pour empêcher son amie de se lever pour s’approcher d’elle. Elle finit par se calmer après quelques minutes, mais les larmes ne s’arrêtèrent pas tout à fait. Alice prit une longue inspiration avant de sortir un mouchoir de son sac pour essuyer ses joues.

Elle avait envie de s’excuser d’avoir commencé à pleurer, mais après tout, Léa l’avait bien cherché non ? Et elle n’était plus d’humeur à se chercher des excuses, elle était triste, ça ne servait plus à rien de le nier. S’excuser n’arrangerait rien. « Je l’ai revu… » expliqua-t-elle finalement, sa voix un peu rauque. Alice s’éclaircit la gorge avant de poursuivre. Maintenant qu’elle était lancée, autant aller jusqu’au bout. « Il a atterrit à la boutique, ne me demande pas pourquoi ou comment… Je me suis défoulée sur lui bien sur, tu imagines. Il a finit par insulter mon manager – longue histoire – et j’ai démissionné avant qu’elle puisse me virer. » Alice savait que ce n’était pas ce genre de détails qui intéressaient Léa, mais c’était plus dur que prévu de dire la vérité, alors elle prit une longue inspiration avant de relever les yeux vers le visage de son amie. Autant aller droit au but maintenant qu’elle s’était lancée. « Il m’a embrassée. Et je… je l’ai laissé faire Léa… Je crois que j’en avais envie, quelque part peut-être… Je pensais toujours à lui… même après tout ce qui s’était passé et je sais que je devrais le détester… et crois moi, je suis toujours énervée mais… je ne le hais pas autant que je le devrais… » conclut-elle, les yeux baissés. Elle prit plusieurs inspirations rapides pour essayer de se calmer, les mains serrées sous la table du bar pour s’empêcher de recommencer à pleurer. Elle savait très bien qu’il ne le méritait pas, oh ça elle le savait… mais de toute évidence, c’était plus compliqué que ça.

Elle se redressa finalement, un peu plus calme qu’avant même si des larmes continuaient à rouler le long de ses joues. Elles étaient rares maintenant, et moins douloureuses que tout à l’heure. Elles la soulageaient presque désormais. Alice se força à sourire. « Tu sais, si tu étais une véritable amie, tu ne me laisserais pas me rendre ridicule toute seule. » Elle savait très bien qu’essayer de changer de sujet ne servirait pas à grand-chose, mais elle n’avait pas d’autre choix. Maintenant qu’elle avait finit, elle se sentait ridicule d’avoir craqué. Et si Léa pouvait lui faire avouer ses secrets, elle n’avait aucun droit d’en garder pour elle-même. Alice lança un regard appuyé à son amie. « Qu’est-ce que tu me caches ? »

Eleanor se sentit immédiatement mal à l’aise quand Alice commença à rigoler, pas parce qu’elle n’aimait pas que son amie se moque d’elle, mais parce qu’elle pouvait très bien voir que ça cachait quelque chose. La façon dont le rire était venu sonnait faux et, bien entendu, quelques secondes plus tard, la jeune blonde était en train de pleurer. Lea baissa les yeux, s’en voulant d’avoir provoqué ça, elle n’avait pas voulu rendre Alice encore plus triste, elle avait juste pensé que ça aurait pu lui faire du bien de parler, que ça l’aurait soulagé, mais après tout, qu’est-ce qu’elle y connaissait, hein ? Elle ne confiait jamais rien à personne, comment pouvait-elle savoir que ça la ferait se sentir mieux ? Elle n’en savait rien. Enfin elle ne put réprimer un sourire en voyant Alice lever sa main comme pour la dissuader de venir la consoler, elle n’en avait eu aucune envie. Elle n’aimait pas voir sa meilleure amie souffrir comme ça devant ses yeux, mais elle savait que ça ne servirait à rien d’aller la prendre dans ses bras, et puis, elle n’était pas très démonstrative en amitié, elle n’avait généralement pas besoin de montrer quoique ce soit, c’était l’avantage d’être amie avec des mecs, ils vous foutaient la paix sur le côté sentimental et mièvre. Elle regarda Alice s’essuyer les joues et écouta avidement son récit, soupirant et grimaçant à tour de rôle dès que l’abruti qu’était Noah était ne serait-ce que mentionné. Elle ne l’avait jamais rencontré, mais elle ne l’aimait pas du tout.

Elle faillit interrompre Alice juste pour le simple plaisir de l’insulter, mais elle finit par se retenir pour lui permettre de finir. Il lui avait brisé le cœur et en plus cette enflure revenait pour jouer avec elle et lui faire perdre son boulot. Mais quelle ordure ! Il allait le payer, Lea ne savait pas encore comment elle allait s’y prendre, mais elle allait réagir, histoire de venger un peu sa meilleure amie, et puis elle était toujours plus ou moins en recherche de proies potentielles, Noah en ferait une parfaite, en plus il travaillait dans l’informatique, ou il était doué dans le domaine, Lea avait oublié, mais ça lui ferait un peu de challenge pour changer, et elle aimait se lancer des défis, ça l’occupait. Sa colère contre Noah redescendit quand elle entendit ce qu’Alice avait à dire sur ce qu’elle ressentait encore pour lui, au fond, Lea ne pouvait pas s’empêcher d’avoir un peu pitié pour elle, elle savait ce que c’était que d’être amoureuse quand les sentiments n’étaient pas réciproques. Enfin, elle n’en savait rien, elle ne connaissait pas Noah, mais dans tous les cas c’était un beau connard et elle aurait probablement mieux fait de l’oublier, ce n’était pas forcément mieux. « Tu finiras par l’oublier, je te le promets. C’est normal que ça prenne du temps, tu devais vraiment tenir à lui. » Elle évita volontairement de parler de l’incident à la boutique, parce qu’elle savait aussi ce que c’était que de se laisser emporter dans le feu de l’action et qu’elle ne voulait pas donner l’impression à Alice qu’elle la jugeait. Enfin, elle n’avait jamais été très douée pour réconforter les gens. « Si jamais il recommence à t’emmerder, appelle-moi et je viendrais lui casser la gueule. » Lança-t-elle, un petit sourire amusé au coin des lèvres. Le pire, c’était qu’elle ne plaisantait pas, elle n’y arriverait probablement pas, mais elle pouvait toujours essayer. En plus il n’oserait pas frapper une femme, si ?

Elle grimaça quand la question lui revint en pleine tête. Elle aurait dû se douter qu’Alice voudrait savoir ce qui n’allait pas chez elle en ce moment, après tout, elle avait brisé leur pacte, ça lui donnait le droit d’en faire autant, à sa place Lea ne se serait pas privée non plus après tout. Elle prit une nouvelle gorgée de sa bière, cherchant un moyen de détourner le sujet. Mais quand elle releva les yeux elle remarqua les quelques larmes qui roulaient encore sur la joue d’Alice et elle se décida à dire la vérité. Elle n’en avait pas envie, mais la jeune blonde avait été honnête avec elle, la moindre des choses, c’était de lui rendre la pareille, non ? Et puis, ce n’est pas comme si c’était si important que ça ? Elle avait juste peur qu’Alice change de comportement vis-à-vis d’elle, elle ne pourrait pas supporter que sa meilleure amie la traite différemment après avoir appris qu’elle était malade. C’était pour ça qu’elle lui avait caché depuis tout ce temps. « C’est gentil de me jeter sous le bus avec toi. » Répliqua-t-elle d’un ton vaguement amusé avant de reprendre une gorgée de bière. Elle avait pris sa décision, certes, mais les mots n’en sortaient pas plus facilement pour autant. Elle se mordilla la lèvre inférieure avant de baisser les yeux. « Mon frère n’a pas eu d’accident, si j’étais à l’hôpital c’est parce que j’ai une tumeur au cerveau. » Elle avait hésité à préciser l’endroit où s’était logée sa tumeur, mais elle ne voulait pas prendre le risque qu’Alice demande d’elle-même, alors quitte à être honnête, autant l’être jusqu’au bout. Elle releva les yeux et lança un sourire sincère à la jeune blonde, histoire de la rassurer. Elle ne voulait pas qu’elle s’inquiète, alors elle allait peut-être éviter de parler de toute la partie où elle refusait de se faire soigner. Elle grimaça malgré elle en y repensant. « Mais je vais très bien, je voulais juste pas que tu me ménages après l’avoir appris. » Elle sourit de plus belle avant de prendre une nouvelle gorgée. « Un dernier verre ? » Proposa-t-elle du ton le plus naturel du monde, comme si elles venaient de terminer une conversation particulièrement anodine sur ce qu’elles avaient mangé le midi.

Alice n’aimait pas parler de ses sentiments, tous ceux qui la connaissaient un minimum auraient pu vous le dire, mais elle n’arrivait pas à s’en empêcher. Juste pour cette fois, une exception. Elle s’autoriserait à se sentir désolée pour elle-même pour quelques minutes et tout irait mieux ensuite. En tout cas, elle se plaisait à le penser. Alors elle laissa tout sortir, elle confia tout ce qu’elle pouvait à son amie sans vraiment chercher à savoir si c’était logique, si c’était raisonnable ou même si c’était ridicule. Au point où elle en était, ça n’avait plus grande importance de toute façon. Elle esquissa une sorte de sourire, mais franchement ça devait plus ressembler à une grimace. Surtout lorsque l’expression était mêlée aux larmes qui continuaient à couler le long de ses joues. Elle aurait voulu les arrêter, mais c’était peut-être mieux comme ça. Une fois que tout serait sorti, elle se sentirait mieux. Ou alors elle se sentirait encore pire l’espace d’une soirée, mais l’alcool aidait un peu.

Alice laissa échapper un rire moqueur et sans joie à la réflexion de Léa. Elle essuya ses larmes du dos de la main avant de lever les yeux vers son amie. « Le pire c’est que tu pourrais, c’est une chochotte. » Elle rigola malgré elle-même avant de passer une main dans ses cheveux. Elle se sentait plus légère, elle avait moins l’impression d’être en train d’étouffer et elle se força à sourire alors qu’elle demandait à Léa de la rejoindre dans son club des pleurs. Elle savait que ce n’était pas juste de forcer son amie à parler, mais après tout, si Léa n’en avait vraiment pas envie, elle pouvait toujours se taire ou mentir. Et à vrai dire, Alice avait envie d’en savoir plus. Elle avait résisté tout à l’heure, mais l’alcool aidant elle n’était plus aussi prudente qu’au début de la soirée. Et si Léa lui cachait quelque chose, elle avait envie de le savoir.

La jeune femme garda un air sérieux lorsque Léa répondit, l’observant boire une gorgée de bière tout en sachant que son amie avait pris sa décision. Elle pouvait le sentir dans l’air, dans la façon dont la jeune femme s’était légèrement tendue : elle allait parler. Alors, Alice essaya de se redresser dans son siège pour lui accorder l’attention qu’elle méritait. Dire que la suite la choqua aurait été l’euphémisme du siècle. Alice resta paralysée pendant quelques secondes, le temps que l’information monte au cerveau et qu’elle décide comment réagir. Elle ouvrit la bouche, passant une main dans ses cheveux alors qu’elle essayait de trouver quelque chose à dire. ‘Désolée’ était trop simple, et aussi sincère que ça puisse être, elle savait que Léa ne voulait pas de sa pitié. Elle se sentait mal de s’être plaint alors que son amie traversait quelque chose de si grave, de si dévastateur. Elle secoua la tête avant de fermer la bouche, jetant un regard aux alentour pour essayer de gagner du temps.

Elle dut se retenir de hurler lorsque Léa lui avoua qu’elle allait très bien. En quoi est-ce qu’elle allait bien ? Alice avait envie d’en demander plus, de savoir exactement ce qu’elle faisait pour se soigner, ce que ses médecins pensaient de la situation, ses… ses chances de survie. Mais quelque part elle savait que ça n’aurait pas été juste de lui demander ça. Léa avait fait un effort en lui avouant la vérité et Alice pensait qu’elles avaient été suffisamment honnêtes l’une avec l’autre pour au moins deux mois. Elle n’allait pas lâcher l’affaire pour autant, et Léa devait très bien le savoir, mais pour l’instant, elle garda le silence. Elle se contenta de hocher la tête, essayant de garder une expression neutre. Elle savait que lire de la peine dans ses yeux énerverait Léa plus que le reste, alors elle fit comme si la jeune femme n’avait rien dit. Elle y penserait plus tard, pour l’instant les quelques mots qu’elle lui avait confié devrait faire l’affaire.

« Un dernier verre. » confirma-t-elle avec un léger sourire avant d’appeler un serveur à leur table. Il n’y avait pas assez de téquila sur la planète pour lui faire oublier cette soirée, mais elle pouvait toujours essayer.