La Forêt Interdite était sans doute l'un des grands symboles de l'incompétence d'Albus Dumbledore quant à la pseudo sécurité qu'on attribuait soi-disant à Poudlard. Bien évidemment, c'était ce que se disait Clovis... tout en explorant ladite Forêt Interdite de son propre chef en bravant l'interdiction. Mais tout de même, se répétait-il malgré tout, quelle belle preuve d'hypocrisie.
A la limite, les centaures n'étaient pas de si mauvaise compagnie, à la grande et délicate condition qu'ils comprennent que vous ne soyez pas là pour empiéter sur leur territoire ou pour les y chasser. Mais du coup, même l'approche pacifiste n'était pas forcément évidente.
Puis les araignées. Clovis n'avait foncièrement rien contre Hagrid (tout le monde appréciait Hagrid sauf les quelques stupides brutes de l'école). Mais il fallait dire aussi que ramener une Acromentule et la laisser se reproduire dans la Forêt juxtaposant le bâtiment, sous pretexte de la protéger n'était pas la meilleure décision de sa carrière.
Ce n'était quelques exemples, mais avoir une forêt aussi dangereuse à portée des élèves et les protéger de celle-ci uniquement en la nommant "Interdite" n'était pas réellement raisonnable. C'était comme dire à un nourisson de ne pas mettre la fourchette dans la prise, après lui avoir donné une fourchette et le poser devant une prise. La preuve : Clovis s'y était bien rendu, lui (à la Forêt, pas à la prise).
C'était sans doute un des symptômes étranges des personnes en dépression, en deuil, en peine de coeur, traumatisés, ou, dans son cas, les quatre à la fois : un comportement qui n'avait rien de sain, attiré par ce genre d'endroit et/ou de compagnie destructeurs. La Forêt Interdite avait un calme étrange que Clovis supportait mieux ces temps-ci. La Bibliothèque aussi, mais parfois il n'avait pas le besoin de lire, ce qui était relativement sain, mais plutôt le besoin de se défouler et de ressentir quelque chose de presque... excitant. Comme l'inquiétude, la peur ou le danger.
Tout ceci ne ressemblait pas du tout à Clovis, de nature plutôt bienveillante, mais il devait admettre que même lui ne se reconnaissait pas depuis la Bataille de Poudlard. Comme si en mourant, Charles avait fait mourir aussi une partie de lui.
Mais il y avait aussi des alarmes, des sortes de rappels à ce que vous êtes réellement lorsque vous vous engagez dans cette déraison provoquée par la dépression. Comme une licorne en train de mourir.
Ah oui, ça avait de quoi secouer.
Même si Clovis était révolté contre le monde, il n'avait pas envie de voir mourir une licorne. Le plus accablé des hommes ne pouvait pas rester comme ça devant une licorne qui se vidait de son sang. Il n'y avait que Voldemort pour faire quelque chose d'horrible comme - se satisfaire d'un tel spectacle, - l'avoir provoqué, - et accélérer sa mort en allant juqu'à boire son sang.
Lorsque Clovis trouva cette licorne qui agonisait au sol, il se paralysa. D'abord, il repensa à ces histoires sur Voldemort, mais "heureusement" la blessure avait l'air causée par une mauvaise chute.
Une très très mauvaise chute. L'animal avait du cogner ses pates avant contre une racine vicieuse pour tomber sur la tête ou le cou. Un filet de sang argenté coulait le long de son museau, mais le plus choquant avait été l'horrible plaie, gigantesque ouverture sur son cou, déversant beaucoup trop de sang selon Clovis.
Il avait un père moldu qui lui avait dit un jour que parfois, la meilleure chose à faire en voyant un animal qui souffrait trop était de les abréger en le tuant.
Il est hors de question que j'achève une licorne, papa, marmonna-t-il, tremblant. Plutôt se battre contre un centaure ou une armée d'enfants acromentule que d'achever une licorne.
Pourtant ses options étaient maigres :
- Clovis serait incapable de soigner l'animal lui-même. Niveau magie il était plutôt doué dans les sorts de défense. Niveau connaissance des créatures magiques, il connaissait les basiques enseignées à Poudlard mais n'avait jamais approfondi le sujet assez pour être capable d'arrêter une hémorragie à une licorne.
- Chercher de l'aide d'un professeur compétent : l'idée n'était pas très engageante, étant donné qu'il serait donc amené à justifier sa présente dans la Forêt Interdite, et qu'il ne pourrait certainement pas se défendre en les accusant d'y mettre une sécurité trop faible.
- Déplacer la licorne : son père lui avait aussi dit que lorsqu'une blessure était trop importante, déplacer quelqu'un (ou une licorne dans ce cas là) n'était pas du tout une bonne idée à moins d'être un professionnel et d'avoir le matériel pour.
En fin de compte, l'option la plus à sa portée était d'achever une licorne, et il était certain que s'il faisait ça, l'Enfer lui construirait une maison juste à côté de celle de Voldemort. Et même de son vivant, Clovis n'était pas sûr d'être capable de dormir après avoir tué un tel animal.
Pourquoi ce n'était pas une saleté d'Acromentule ?!
Il s'accroupit près de l'animal, délicatement, et posa sa main juste au-dessous de son oreille pour caresser doucement l'animal. J'aimerais tellement t'aider mon grand... Mais je suis loin d'être aussi doué que Rolf...
Il ne s'entendit parler que trente secondes plus tard et se sentit bien idiot. Rolf !
Clovis se leva immédiatement. Je t'en supplie, ne meurs pas trop vite, je te ramène quelqu'un qui pourra t'aider !
Embêté de ne rien pouvoir faire pour s'assurer que l'animal ne rende pas l'âme, Clovis fut tout de même contraint de partir rapidement. Rolf Scamander était un élève de son âge, qui avait été désigné à Poufsouffle la même année que lui. Ils n'étaient pas particulièrement proches, d'abord parce que, pendant 5 ans, Rolf avait fait preuve d'une trop grande timidité. Clovis, pris par ses propres tourments, n'avait donc pas vraiment eu l'occasion de devenir son ami, mais tout le monde à Poufsouffle connaissait Rolf. Il avait cette passion pour les animaux si poussée que son nom était devenu la référence lorsqu'on se posait une question sur la faune. Comment apprivoiser un hyppogriffe ? Je sais pas, demande à Rolf. De quoi se nourrit un dragon ? Faut que Rolf me le rappelle.
A cet instant, Clovis espérait que "Comment faire en sorte qu'une licorne ne meurt pas en se vidant de son sang allongée sur une racine ?" était une question à sa portée.
Il monta les escaliers du château quatre à quatre marches, ignorant les reproches des tableaux qu'il croisait, jusqu'à la salle commune des Poufsouffle. Il répondit à l'énigme avant même que la porte ne finisse sa phrase pour pouvoir entrer sans plus attendre, et fonça vers le lit de ce pauvre Rolf.
Hé, réveille toi, j'ai absolument besoin de ton aide, c'est ue question de vie ou de mort ! Clovis avait chuchoté pour que les autres ne l'entendent pas, mais avait mis assez de force dans sa voix pour secouer le jeune Scamander.
J'ai trouvé une licorne qui se vide de son sang, prends ce dont t'as besoin mais t'as pas le temps de t'habiller, on doit y aller maintenant !
Il était désolé de brusquer autant Rolf en pleine nuit, d'autant quelqu'un d'aussi introverti, mais Clovis était certain que "une licorne se vide de son sang" était une phrase qui saurait lui faire passer outre sa timidité. Même la pire des brutes devraient être capable de pleurer pour ça.