Que ce soit Poudlard, l'orphelinat ou un autre établissement, April avait compris avec cette deuxième expérience qu'elle n'arriverait pas à apprécier et à s'intégrer dans une école quelle qu'elle soit. La jeune fille ne remettait pas les cours ou le système éducatif en cause, mais les autres élèves qui semblaient sans qu'elle ne sache exactement pourquoi, la détester quoi qu'elle fasse; elle se sentait différente de ses camarades.

Pourtant malgré l'intérêt qu'elle portait aux cours pratiques peu communs qui y étaient donnés, elle ne pouvait s'empêcher de trouver des explications rationnelles à tout ce qu'on pouvait lui demander de faire. Mais depuis son altercation avec les serpentards April préférait garder ses réflexions pour elle.

Alors quand le professeur exigea de ses élèves qu'ils se mettent en binôme, April comme à son habitude attendit avec espoir de se retrouver toute seule. À l'orphelinat, il n'était pas rare qu'un professeur devienne son partenaire pour l'exercice qu'il demandait, lui offrant l'assurance de ne pas être rabaissée durant l'heure en question.

Mais une fois de plus, le destin ne semblait pas vouloir lui sourire malgré le fait que l'antipathique col-vert s'était mis avec un camarade de sa maison, la laissant seule avec une bleue. April ne comprenait pas la répartition d'autant plus effectuée par un haut-parleur caché dans vieux chapeau rabougri.

Inquiète, craignant déjà de se faire rabaisser à défaut de molester, elle eut un mouvement de recul à l'approche de sa camarade. Inquiète pour ses affaires, April les tenaient fermement serrés contre sa poitrine, jetant des regards aux alentours pour rediriger Shamee vers un potentiel et inexistant camarade tout aussi esseulé qu'elle.

April !...

Elle avait fini par se résoudre de mauvaise grâce. Elle qui n'aimait pas la compétition, elle trouvait le système de maison et de points complètement stupide et absurde. Elle avait depuis longtemps abandonné l'idée d'être la meilleure de sa classe ; c'était tout bonnement impossible et n'en avait donc plus rien à faire d'avoir ou pas une bonne note. La seule chose qui lui importait était d'être accepté t'elle qu'elle était.

Avec le temps passé à l'orphelinat, April avait dû apprendre à se méfier de ses camarades quel qu'ils soient. Même les nouvelles devenaient malintentionnées à son égard après quelques jours passés au contact des autres. Elle avait dû apprendre à ne compter que sur elle-même.

Ce n'était pas la peur de perdre ses affaires ou de les oublier en classes qui poussait April à les serrer contre elle, mais bien celle de les voir dégrader volontairement à son insu ou pas. Les chipies les plus démoniaques ne se cachaient même pas des professeurs et n'hésitaient pas à voler la jeune sang-mêlée en plein cours.

Pourtant, la dénommée Shamee lui semblait être tout aussi timide qu'elle-même. Le fait qu'elles se soient retrouvées toutes les deux à attendre de voir avec qui le destin allait les répartir confirmait cette hypothèse. April réalisa qu'elle réagissait peut-être un peu trop précipitamment.

Je_heu...oui c'est ça.

Ne voulant pas faire part de sa méfiance envers les autres élèves, l'orpheline se contenta d'acquiescer de la tête. Elle baissa le regard penaude en posant ses affaires à ses pieds en le plaçant à l'opposé de son infortunée partenaire. Elle restait prudente malgré toutes les preuves de gentillesse de sa camarade.

Je ne sais pas trop... De là d'où je viens, on ne fait pas de botanique.

April ne voulait pas être cataloguée comme différente, elle préférait caché qu'elle était orpheline. Shamee devait venir de la campagne ou tout du moins avoir des parents jardiniers. À ses dires, elle semblait avoir déjà quelques bases en botanique et peut être même dans les autres matières. C'était une chance pour la poufsouffle qui n'y connaissait rien et pour qui tout était nouveauté à Poudlard.

Tu sais ce qu'on doit faire?

Elle ne voulait pas révéler une fois de plus qu'elle ne croyait pas en la magie, pas après sa première expérience avec le serpentard. Au moins avec des plantes, on ne pourrait pas essayer de l'induire en erreur avec des tours de passe-passe aussi sophistiqués qu'ils soient.

Le silence de la serre n'était qu'un vague souvenir. Les feuilles bruissaient des chuchotements des binômes, des rires des amis heureux de se dégourdir les mains sur des travaux pratiques après bien trop de temps passé à gratter un parchemin.

Petit à petit, le chaos se transforma, non pas en ordre, il ne fallait pas être irréaliste mais en quelque chose d'un peu plus ordonné. Les binômes se séparèrent et le professeur pu noter avec un certain plaisir que quelques maisons s'étaient mélangées et que les amitiés commençaient à pointer le bout de leur nez au delà de la compétition annuelle. Certains riaient déjà tout bas, d'autres encore tentaient des approches timides. Par chance, ce n'étaient que des premières années et il n'était pas indispensable de surveiller tout couple de sexe opposé. Lesquels étaient par ailleurs assez rares. Ce problème là se posait surtout à partir des 4èmes.

Restaient deux fillettes laissées à leur sort dans deux coins de la pièce. Shamee Fuller et April Jones. Et bien...cela promettait d'être intéressant. D'un geste, il ordonna aux deux gamines de former le dernier binôme et, les laissant faire connaissance, passa dans les premiers rangs, distribuant de toutes petites fioles avec un bec verseur et une plume à chaque groupe.

Un peu de temps perdu à rattraper deux Gryffondors tentant de s'échapper vers la réserve de plante urticantes - une sombre histoire de potion de vérité glissée dans un verre de jus de citrouille par un ennemi serpentard plus âgé - et à convaincre un binôme bleu et jaune que, promis, ces plantes là ne les mangeraient pas, et il revenait vers les deux délaissées.

"Il faut chatouiller les feuilles de la plante avec la plume pour recueillir ses larmes de rire." fit le professeur d'une voix douce et sans aucun jugement.

Il tendit la plume à Shamee et la fiole à April puis fit un pas de côté, restant près d'elles mais de l'autre côté du pot pour ne pas les effrayer.

Il connaissait depuis longtemps les exactions que la famille Fuller appelait tradition et en voir les résultats sur la jeune Shamee - ce prénom, vraiment ! - le mettait souvent face à sa propre hypocrisie. Ca, pour juger en silence dans son coin, il y avait du monde mais que faisait-il, lui, concrètement, pour que de telles horreurs s'arrêtent ? Rien. La cruauté n'avait pas attendu le Seigneur des Ténèbres et ne disparaitrait pas avec lui.

La demoiselle Jones était plus une énigme. C'était une poufsouffle discrète. Il savait de part son dossier qu'elle venait d'un orphelinat moldu. Donal avait beaucoup d'empathie pour ces nés de moldus qu'on enlevait à leur monde et leur famille pour les lancer sans préparation, à onze à peine, dans un monde dont ils ne connaissaient pas les règles et dont ils ne pouvaient pas parler à l'extérieur.

Deux caractères, deux histoires, un binôme pour un cours. Doucement, il s'agenouilla et montra aux petites les feuilles verte foncées au dessus et argentées en dessous d'une fleur qui ressemblait un peu au perce-neige.

"Les larmes du Leukion ont différentes propriétés dont celles d'augmenter l'efficacité de l'arrosage d'autres plantes. On s'en sert aussi dans certaines potions, pour renforcer un caractère positif par exemple. Il faut chatouiller sous la feuille, avec le bout de la plume, si possible le long de la nervure centrale. Une fleur qui rit tremble un peu et s'ouvre avant que les larmes ne coulent."

Il ne dit pas que lesdites larmes étaient dorées et sirupeuses comme du miel. Il voulait laisser la surprise aux enfants.