Days like these you wanna get away [Jude]

Jude était affreusement paumé. Quand il avait claqué la porte une vingtaine de minutes plus tôt, en assurant à Shane qu'il serait incroyablement prudent et non sans tourner 36 fois la clef dans la serrure pour pleinement le rassurer, il n'avait pas prévu qu'en arrivant au bar irlandais dans lequel lui et ses potes se retrouvaient très régulièrement, ces derniers n'auraient que le match de football du jour à la bouche. Oh ce n'était pas qu'il n'aimait pas ça, le foot. C'était plutôt qu'il avait passé l'après-midi sur son vélo et qu'il ne suivait plus rien de ce qui se racontait autour de lui. Pas réellement blasé, parce que ce n'était pas vraiment son genre, mais hochant plutôt la tête comme s'il était de la partie alors que son esprit voyageait déjà très loin. Il devait tenir bien piètrement son rôle car Dave, celui qui lui faisait face, s'esclaffa finalement en avisant son regard perdu. Je crois que y'en a un qui n'a rien suivi du match ! Levant les yeux au ciel avec un sourire, Jude lui tira la langue comme un enfant de cinq ans. Il faut bien que je gagne ma vie moi les amis, que voulez-vous ! Je n'y peux rien si vous regardez les papillons voler pendant que moi je trim-... Wow ! qu'il s'exclama alors en sentant un poids se poser soudainement sur ses épaules, le faisant vaciller un instant sous l'effet de la surprise. S'il se demanda un instant qui venait de lui sauter dessus, la voix qui s'éleva non loin de son oreille suffit à lui en donner la réponse avant même qu'il ne s'intéresse au visage de leur nouvel interlocuteur. Alors qu'est ce qu'on fête ce soir ? C'était Callan qui, une fois encore, revenait sans prévenir après avoir disparu sans prévenir. Ton retour d'entre les morts peut-être ? lâcha Dave, faisant allègrement pouffer Jude, qui n'avait rien entendu d'aussi juste. Bien sûr, le principal intéressé fit mine de n'avoir rien compris ni entendu et se contenta de reprendre la discussion comme si de rien n'était. C'était pas que Jude ne l'aimait pas, mais son âme lui criait de toutes ses forces de se méfier de lui. Il l'attirait un peu trop et Jude n'avait certainement pas envie de tomber dans le panneau d'un gars bizarre qui disait si peu de choses sur lui. Ce qu'en soit il pouvait comprendre, mais cela atteignait un tel niveau que Jude avait pour l'instant très peu confiance en lui, aussi agréable à regarder pouvait-il être. Alors, sans rien dire, il agrippa sa main et pivota joyeusement sur lui-même pour se défaire de l'accolade de Callan, jetant lui-même son propre bras autour du cou de Dave, laissant l'autre derrière lui pendant que le groupe finissait par rentrer dans le bar. Autour de la table, les discussions reprirent autour du match de foot, tout ça parce que ce maudit Callan avait la délicieuse idée de les relancer sur le sujet. Affichant une moue parfaitement exagérée, Jude tenait son menton posé sur la paume de sa main, l'autre faisant inlassablement tourner le verre de son cocktail sans alcool, le liquide miroitant à chaque nouveau tour. Jusqu'à ce qu'une pinte de bière ne vienne tinter contre le verre. Jude se redressa, avisant Callan qui était installé à côté de lui et qui tentait visiblement de trouver de quoi discuter. Apparemment, il était loin de suivre les autres également. L'équipe qui a gagné bien sûr ; pour dire, je sais même pas c'est laquelle. Puis, avec un regard taquin, Jude reprit avec innocence. Et toi, t'as une préférence ? Tu préfères qu'on se dise que t'étais atteint d'une grave maladie soudaine et terriblement douloureuse qui t'a envoyé à l'hôpital et dont tu es désormais miraculeusement guéri ? Ou bien que t'étais parti faire un tour du monde mais qu'on te manquait tellement que t'as décidé de revenir ? Ou même que t'es un agent secret ; je veux dire, c'était pas la première fois, cette petite disparition. Se penchant vers lui, le regard profondément empli d'une lueur de défi, il continua à voix basse. Je sens que tu nous caches un secret d'état. Vas-y, balance, tu travailles pour les Etats-Unis ou la Russie ?

Un coup d'œil en arrière, presque innocent, avait suffi à Jude pour saisir la fugace déception qui semblait avoir éclairé les traits de Callan. Il n'était pas certain d'avoir correctement interprété cette expression, se demandant presque si ce n'était pas lui qui se l'était imaginée ainsi, lui qui ne pouvait nier avoir apprécié ce contact bref. Mais ce n'était même pas une chose qu'il souhaitait s'avouer à lui-même ; ce n'était pas la bonne chose à s'avouer. Il pouvait avoir le béguin sur n'importe qui ; juste, pas lui. Il y avait trop de choses étranges par rapport à Callan et Jude avait sans doute assez donné des problèmes, lui qui en avait encore. Tant de choses étranges que autour de la table, Jude n'avait pu retenir sa curiosité et ce qui apparaissait peut-être comme une simple taquinerie était en vérité une question qu'il se posait réellement. Si Callan plongea d'abord dans la dérision lui aussi, Jude ne put que noter au passage la manière dont ce dernier s'exprimait. C'était une chose qu'il avait déjà remarqué, lui l'observateur, mais qu'il n'arrivait pas bien à s'expliquer. Des mots qui se glissaient dans le discours du brun, comme des indices semés inconsciemment ; ce "souffle" de la dernière fois, quand il pensait parler d'un ballon de foot. Et ce "vos", perdu dans sa phrase, comme s'il s'excluait d'un groupe dont il faisait pourtant partie : l'être humain. Nos voitures ? Dis donc, tu vis vraiment dans une grotte. Quoi, tu passes ta vie en trottinette, ou en rollers peut-être ? Au fond, il n'était peut-être pas le mieux placé pour juger d'une telle chose ; il passait désormais une bonne partie de ses journées perché sur un vélo, alors... Mais ce "vos" avait suffi à pleinement raviver sa méfiance et ses doutes, toutes ses retenues qui ne le lâchaient plus. Il se laissa pour autant emporter par l'humour qui teintait leur conversation et lorsque Callan se pencha également, affirmant que la vérité lui offrirait la mort, Jude laissa son sourire fondre jusqu'à ne plus arborer qu'un infime rictus. Se penchant un peu plus pour juger de la lueur qui brillait dans les yeux du brun, Jude savait pertinemment qu'on aurait presque pu croire qu'ils allaient s'embrasser. Non pas ce qu'était une chose qui lui déplairait mais Callan, bien que souvent absent, s'immisçait bien trop dans leur groupe et dans sa vie pour qu'il se laisse aller à un simple flirt innocent qui faisait fi de tous les mystères qui entouraient le jeune homme. Jude s'était presque inconsciemment fait la promesse de ne pas laisser Callan jouer avec lui sans en connaître plus sur lui. Je suis terrifié. Tant de muscles et de prestance, je serais vaincu si facilement ! qu'il lâcha, moqueur, lui qui malgré le peu de sport qu'il faisait, avait les épaules tout de même plus carrées que celle de Callan. S'écartant l'un de l'autre, comme un pacte entre eux, la conversation reprit un chemin un peu plus sérieux. Jude laissa échapper une moue. S'il n'était pas convaincu, au fond, il sentait que Callan ne mentait pas réellement. Sans doute n'était-ce pas toute la vérité, mais tout du moins une partie. Et Jude était assez intelligent pour savoir qu'il n'obtiendrait sans doute jamais rien de plus. C'en était presque dommage ; il en venait à espérer des aveux pour se dire qu'il pourrait enfin se laisser tenter sa chance avec le jeune homme. Je comprends, je sais ce que c'est. Eux sans doute moins ! qu'il glissa en riant en avisant le voisin de Callan qui reprenait la bière que ce dernier lui avait dérobée, offrant une grimace enfantine en guise de réplique à Jude. Enfin, à qui est-ce que ça déplairait ? qu'il lâcha avec un sourire. Lui aurait adoré, s'il avait eu les moyens et la possibilité. Mais il ne voulait pas abandonner son frère. Peut-être qu'un jour, il irait mieux et qu'alors, ils pourraient partir tous les deux. Mais ce n'était certainement pas d'actualité. Levant alors les yeux au ciel en avisant Callan et ses mains vides, il agita sa main en l'air pour interpeller un serveur. Donnez-lui une bière s'il vous plaît, c'est moi qui offre. Il était presque trop gentil mais après tout, maintenant que le brun était là, il n'allait pas nier son existence et sa présence.