why do I feel this party's over (robin)

Depuis plusieurs années qu'elle s'entrainait, Robin avait élevé la pratique de sortir pour énerver son père au rang d'art. La première fois qu'elle avait fait le mur à Paris pour aller picoler, elle avait fait attention à ne pas faire de bruit en rentrant, par peur que son père ne s'énerve, et ne la punisse. Comme les temps avaient changé. Aujourd'hui, elle sortait plus pour énerver son paternel que par véritable plaisir. Oui, elle savait que son physique attirait les regards de la gente masculine, et elle profitait souvent de ses sorties pour perfectionner son jeu de charge, mais elle s'en lassait à la longue. En France, les mecs avaient représenté une forme de challenge, mais les Anglais étaient des rustres. Elle n'avait même plus besoin de faire semblant d'être drôle, ou de s'inventer un personnage. Un demi sourire, et quelques mots avec son accent Français exagéré, et les garçons tombaient comme des mouches. C'était pathétique. Mais ce soir, elle n'était pas d'humeur pour ces jeux, malgré le fait que plusieurs hommes avaient tenté leur chance depuis qu'elle était arrivée.

Elle avait déménagé en Angleterre il y a quelques mois, et malgré ce que son père se tuait à lui répéter, elle ne s'était pas 'acclimaté à sa nouvelle vie'. Bien au contraire. Elle y mettait toute la mauvaise volonté du monde, ne serait-ce que parce qu'elle refusait de donner raison à son père. Leur relation avait toujours été compliquée, mais il avait dépassé les bornes en la trainant de force dans ce trou à rats. Sans parler de son idée ridicule de mariage. Mais mieux valait ne pas y penser pour le moment. La jeune blonde finit son 4ème cocktail de la soirée d'une traite avant de se lever de son siège, titubant légèrement. Plusieurs hommes se tournèrent dans sa direction en voyant cela, et Robin dut retenir une soudaine nausée. Elle avait peut-être un peu bu, mais elle n'était pas une proie facile pour autant. Elle avait toujours fait tout son possible pour apparaître son avantage, pour être en position de force, mais ce soir ses barrières s'étaient un peu effritées avec l'alcool. Et elle détestait ça. Elle fit un geste obscène en direction d'un quadragénaire qui l'observait avec un regard malsain, cachant son sourire en voyant sa réaction et celle de ses amis. On était bien loin de la Robin élégante et toujours propre sur elle dont elle voulait donner l'image. La carapace n'était pas brisée, mais elle était un peu fissurée ce soir. La faute à son père. Et aux quatre cocktails... peut-être.

Robin s'avança vers le bar, autant pour échapper au groupe de pervers qui la regardait désormais avec un mélange de colère et d'excitation que pour se commander un nouveau verre. Elle imagina son père débarquer dans le bar et la trouver dans cet état, mais bien loin de la raisonner, cette image lui donna envie de boire encore deux ou trois verres, histoire de bien montrer toute l'importance qu'elle accordait à son opinion. Et voilà que Robin commençait à divaguer. Voilà à quoi l'avait réduit la compagnie des britanniques. Pitoyable. Elle attrapa le regard d'un serveur qui se tenait derrière le bar, et son expression changea pour se faire plus amicale, plus séduisante. Elle avait repéré le jeune serveur à peine avait-elle mis les pieds dans le bar quelques heures plus tôt, mais elle n'avait pas eu envie de s'amuser avec lui. Pas jusqu'à présent en tout cas. Peut-être que ça lui remettrait les idées en place de redevenir un peu la Robin qu'elle s'efforçait d'être au quotidien, et quoi qu'il en soit, le barman servirait au moins à éloigner les papys qui la reluquaient depuis tout à l'heure. "C'est toi qui prépare les cocktails ici ? Si oui, tu es drôlement doué avec tes mains."

On avait déjà vu des approches plus subtiles, mais Robin n'en était pas à son premier verre. Se forçant à ignorer le léger vertige qui la saisissait, la jeune blonde s'accouda au bar dans un geste qu'elle imaginait élégant mais qui ne l'était sans doute pas vraiment. "Tu penses que tu pourrais m'offrir une pinte ?" Elle insista sur le dernier mot, exagérant encore plus son accent Français. "Je pense que ça m'aiderait à me débarrasser des relous là-bas." Elle fit un léger signe de tête en direction du groupe de quadragénaire en costume, et tenta son expression la plus ingénue. Le coup de la demoiselle en détresse, ça marchait à tous les coups.

Même pompette, Robin n'avait aucun doute que son charme naturel fonctionnait toujours très bien. L'intérêt des hommes dans le bar n'avait pas diminué depuis qu'elle était entrée, si c'était possible il avait même augmenté avec chaque verre qu'elle buvait, mais ce n'était peut-être pas uniquement dû à son charme. Un autre soir peut-être, elle se serait réjouie de leurs regards, s'en serait amusée, enorgueillie, mais ce soir elle se sentait épuisé. Malgré tous ses efforts (c'est-à-dire aucun), elle ne parvenait pas à se faire à sa nouvelle vie en Grande Bretagne. Elle détestait la météo, les gens, l'école. Tout. Plus que tout, elle détestait savoir que son père avait pu la faire quitter tout son monde sur un coup de tête, sans qu'elle ne puisse rien dire. Elle détestait le fait qu'il puisse la forcer à épouser un parfait inconnu, ou en tout cas essayer de la forcer. Ce bras de fer perpétuel la fatiguait parfois, même si elle ne l'admettrait jamais.

La jeune femme observa le visage du barman tandis qu'il l'écoutait, mais il ne semblait pas aussi sensible à son charme qu'elle l'aurait imaginé. Sa question la prit de cours, et Robin fronça les sourcils par réflexe. Elle n'avait pas l'habitude qu'on lui réponde de la sorte, c'était le moins qu'on puisse dire. Elle se retint à peine de lui demander pourquoi malheureusement, mais de toute façon le jeune homme s'était déjà tourné pour attraper une pinte vide et commencer à la remplir. Robin fit une moue choquée en l'entendant lui demander 4£ pour la pinte. Son choc était réel, mais elle avait tellement l'habitude de maîtriser ses expressions que son étonnement ne dût pas paraître très naturel. Le barman lui lançait un sourire amusé, et Robin eut une soudaine envie d'attraper le verre d'eau pour le lui lancer à la figure. Elle n'aurait pas osé jeter la bière, mais elle hésitait encore pour le verre d'eau. Elle avait bien remarqué que le barman l'avait observée, et qu'il en avait surement déduit qu'elle pouvait se permettre de se payer une pinte, mais pour elle ce n'était pas la question. Les hommes ne refusaient jamais de lui offrir un verre, et le blondinet au bar aurait dû se sentir honoré qu'elle lui en offre l'opportunité. Merlin savait que la moitié des élèves de son année auraient tué pour avoir la même chance. "Apparemment la galanterie est bien morte, apparemment..."

Une phrase qui ne risquait pas de convaincre le barman que Robin était sobre et en pleine possession de ses moyens. Mais malgré cela, elle se tourna vers le groupe de cadres derrière elle et laissa échapper un soupir avant de s'asseoir sur un tabouret au bar. Elle n'avait pas envie d'avoir à les rembarrer, pas ce soir, et c'était sans doute plus simple de rester avec le barman insolent. Robin attendit qu'il l'observe pour repousser la pinte d'eau du dos de la main, se concentrant bien plus que nécessaire pour que son geste soit élégant et pour qu'elle ne renverse pas le verre contre le bar. En temps normal, le geste serait venu naturellement, mais tout semblait plus difficile pour elle ce soir. "Et pour ta gouverne, l'accent fonctionne très bien," répondit-elle finalement, fière d'avoir réussi à faire une phrase cohérente et plutôt bien tournée. Elle n'était peut-être pas si ivre que ça finalement. "Mais a priori ce soir il ne sert qu'à attirer les CONS." Robin se tourna vers le groupe de quadragénaire en terminant sa phrase. Sa tête commença à tourner un peu quand elle se tourna de nouveau vers le jeune barman, et son regard se posa automatiquement sur la pinte d'eau qu'elle avait rejetée. Non, c'était trop tard pour revenir en arrière.

Elle observa le visage du barman, un peu perdue. Il y a quelques minutes à peine, elle avait tenté de le draguer, de se comporter comme la Robin qu'elle avait décidé d'être il y a bien longtemps, et maintenant elle venait de se montrer plus honnête qu'elle ne l'avait été depuis plus d'une décennie. Étrange. Avec la fatigue accumulée depuis de longs mois, il semblait que ses quelques cocktails lui étaient monté à la tête plus vite que prévu, mais il fallait qu'elle garde la face. "Alors..." commença-t-elle avec un sourire qu'elle espérait séducteur aux lèvres. Elle fit une légère pause dans sa phrase, mais se rendit compte avec effroi qu'elle ne savait pas comment la terminer. Mais que lui arrivait-il ? Elle draguait les inconnus dans les bars aussi bien qu'elle respirait en temps normal, mais son cerveau ne semblait pas vouloir coopérer ce soir. "Tu as une copine ? C'est pour ça que tu ne veux pas offrir des verres aux belles femmes qui te le demandent ?" Plutôt bien rattrapé, Lasnier.

La tête commençait à lui tourner, un sentiment auquel Robin n'était pas habituée. Elle savait généralement bien géré sa consommation d'alcool, buvant juste assez pour ne pas paraître coincée, mais trop peu pour perdre le contrôle. Elle aimait maitriser la situation, elle en avait besoin, et l'alcool était incompatible avec ce besoin. Alors pourquoi se retrouvait-elle ce soir seule dans un bar de Londres, manifestement ivre ? Elle aurait aimé dire que c'était la faute de son père, comme tout le reste, mais la vérité était sans doute plus complexe. Peut-être qu'à force de vouloir tout maitriser, elle avait besoin d'une soirée de liberté, d'une soirée sans contraintes, sans limites. Et encore mieux, une soirée avec un blond qui ne piquait pas les yeux et qui pouvaient continuer à lui servir de l'alcool.

Elle fronça légèrement les sourcils en entendant sa réaction. En temps normal, quand quelqu'un disait "wow" en réponse à ce qu'elle venait de dire, c'était qu'il était impressionné. De toute évidence, ce n'était pas le cas ici. Non seulement il donnait l'impression de la juger comme il respirait, mais il n'essayait même pas de lui faire croire qu'il la rejetait parce qu'il était déjà en couple. Le fait de savoir qu'il avait une copine n'aurait pas arrêté Robin, mais quand même, c'était la moindre des politesses.

Robin laissa échapper un rire exagéré en l'entendant parler de principes. Elle avait rencontré peu d'hommes qui disaient avoir des principes, et encore moins qui les respectaient véritablement. Pour qui est-ce qu'il se prenait au juste ? Elle avait l'habitude d'attraper les hommes avec moins d'efforts que ça, et elle n'aimait pas voir que son charme ne semblait avoir aucun impact sur le barman. Elle n'avait pas envie de le ramener chez elle, mais elle n'avait rien contre un petit flirt, et elle était agacée de voir que le blond ne voulait apparemment pas jouer son jeu. Non, à la place il préférait passer pour un prince en armure, à la défense des jeunes femmes ivres. Quelles conneries. "Quelle générosité," répliqua-t-elle d'un ton sec en l'écoutant proposer de lui offrir des verres d'eau. "Mais non merci." Elle remit ses cheveux derrière ses épaules d'un grand coup de main, et ses cheveux frappèrent une dame qui passait derrière elle pour se rendre aux toilettes. Robin se tourna un peu brusquement pour lui lancer un regard plein de dédain, et elle perdit l'équilibre l'espace d'une seconde. Son tabouret vacilla, puis elle retrouva une position stable face au bar.

"Oui, voilà, regardez où vous allez," lança-t-elle vaguement derrière elle avant de s'accouder au bar. Sans réfléchir, Robin attrapa le verre d'eau et en but une gorgée avant de le reposer sur le comptoir. Et merde, maintenant il allait penser qu'il avait gagné. Elle ne savait pas pourquoi la conversation était devenue une compétition dans sa tête, mais c'était le cas. Elle repoussa de nouveau le verre d'eau avant d'attraper sa pinte et d'en boire une longue gorgée. L'alcool ne fit rien pour améliorer le léger tournis qu'elle ressentait depuis quelques minutes, mais elle se força à lancer un grand sourire en direction du barman, faisant comme si de rien n'était. "Alors, tu habites dans ce trou à rats depuis toujours ? Ou toi aussi on t'a trainé ici de force ?" Peut-être qu'en abordant un nouveau sujet, il ne se rendrait pas compte qu'elle avait bu une gorgée d'eau et qu'elle avait manqué de tomber de son tabouret. Oui, un nouveau sujet, voilà qui allait l'aider à reprendre le contrôle de la situation.

Robin n'arrivait pas à croire qu'elle avait assez bu pour se retrouver déchirée, seule, dans un bar de la capitale britannique. Elle savait normalement se maîtriser, buvant juste assez pour être charmante, mais pas assez pour perdre le contrôle. Il semblait que toutes ses règles s'étaient fait la malle ce soir. Mais peut-être qu'elle en avait besoin. À force de vouloir toujours tout maîtriser, on avait besoin de perdre le contrôle, et c'était rarement beau à voir. Robin en était un bel exemple ce soir, même si elle ne s'en rendrait compte que le lendemain. Elle avait l'impression d'être debout sur une planche qui se penchait un peu plus chaque seconde, une planche que quelqu'un avait savonné pour lui rendre la tâche encore plus ardue. Elle avait beau essayé de tenir debout, la mission lui semblait impossible, et elle était obligée de s'agripper aux bords pour ne pas s'effondrer.

Elle arqua un sourcil surpris en entendant la réaction du barman. Elle s'était volontairement montrée agressive dans sa question, mais plus pour tenter de regagner le contrôle de la discussion que pour essayer de le vexer. Vu son attitude détachée, elle n'avait même pas pensé qu'elle était capable de le toucher, et pourtant sa réponse sentait l'amertume. Étonnant. Elle renversa sa tête en arrière en l'entendant dire qu'il était né à Berlin, un geste qu'elle regretta immédiatement. Elle eut presque besoin d'attraper le bord du comptoir pour ne pas perdre l'équilibre, mais lorsqu'elle attrapa de nouveau le regard du barman, son visage arborait de nouveau une expression pleine de confiance, comme si rien ne venait de se passer. "Berlin !" souffla-t-elle, un sourire aux lèvres. "J'adore Berlin." Elle y avait passé pas mal de soirées quand elle s'était lassée des nuits parisiennes, et plusieurs de ses meilleures conquêtes avaient été réalisées à Berlin. Elle observa le visage du jeune homme, comme pour voir si elle arrivait à déceler une trace de ses origines dans ses traits. Si on lui avait posé la question, elle aurait répondu qu'elle avait tout de suite su que le barman était allemand d'origine.

Elle posa son coude sur le comptoir, passant à quelques centimètres seulement de sa pinte et manquant de peu de la renverser. Elle cala son visage dans la paume de sa main, essayant de se convaincre que son geste avait plus pour but de lui donner un air rêveur que de soutenir sa tête qui lui paraissait soudain peser une tonne. "Je suis née à Paris," répondit-elle avec un air moqueur, une expression qui semblait dire "ça ne se voit pas peut-être ?". Elle avait l'habitude qu'on devine rapidement d'où elle venait, mais elle se comportait normalement avec un peu plus d'élégance et de raffinement que ce soir. "Tu retournes souvent à Berlin pour faire la tête, j'imagine." Robin avait dit ça sans réfléchir, parce qu'elle pouvait se permettre de faire des aller-retours fréquents en transplanant, ou avec des portoloins, mais le fait que Milo puisse être un moldu lui était complètement sorti de la tête.