Poudlard avait changé. C'était toujours le même château, aux pierres grises et aux tours majestueuses. Le travail de reconstruction avait du être colossal et Donal plaignait les elfes et autres ouvriers qui avaient du y mettre la main dans la morosité d'après guerre.

Oui, vraiment, on aurait pu croire que rien ne s'était passé, que les modifications étaient minimes. Après tout, les portraits avaient été restaurés, d'autres les avaient rejoints, tout était en place. Et pourtant, Poudlard avait changé.

Ce n'était plus le même coeur qui y battait. Plus la même vibration que lorsqu'il était jeune. La bâtisse portait une cicatrice de plus.

L'état des serres quand il était arrivé était bien entendu abominable mais ça n'avait pas affaibli la résolution de l'ancien Serdaigle qui, a peine ses affaires posées, s'était mis au travail. Il avait passé les derniers jours d'été à préparer son bureau, mettre en ordre ses affaires, vérifier ce qu'il fallait avec le Directeur quand celui-ci l'appelait. Il avait du reprendre l'habitude du bon vieux temps anglais, celui où il pouvait qu'une fois par an, mais tous les jours.

Poulard avait changé, mais en septembre les élèves arriveraient. Les plus vieux seraient marqués par les événements. Les plus jeunes choqués peut-être, inquiets surement. Ils seraient là, il faudrait les prendre en charge, les accepter comme ils étaient et tirer le meilleur de chacun afin que l'excellence de l'enseignement britannique (et irlandais !) continue de briller à travers l'obscurantisme et l'intolérance.

C'est pourquoi il préparait ses cours si sérieusement. C'est pourquoi aussi, il se retrouvait devant la porte du professeur de potions, Severus Rogue.

Il y avait des rumeurs sur cette ombre qu'il avait pu apercevoir une ou deux fois dans les couloirs. Rumeurs qu'il refusait d'écouter. Il venait en homme neuf, qui ne le connaissait pas et était bien décidé à découvrir un collègue. Il frappa à la porte. Dans sa main droite était une plante en pot, une dictame. Ses vertus curatives puissantes en faisaient un bon ingrédient de potion et c'était moins casse gueule qu'une bouteille de whisky pur feu. Il ne savait pas si son collègue buvait de l'alcool.

"Professeur Rogue ? C'est le professeur Hyland." Après tout, si les élèves n'étaient pas arrivés, l'équipe professorale était là et ça pouvait être n'importe qui. Fantômes mis à part. "Je vous dérange ?"

C'était la fin d'après midi. Il y avait quelques heures encore avant le diner mais le gouter était passé. Donal aimait ce moment de la journée où tout semblait se ralentir et refusait de s'arrêter. Le meilleur moment pour le partage, d'après lui !

Il avait été un temps où Donal se posait des questions sur la façon dont les autres pouvaient le percevoir, ce qu'ils pensaient en vrai et s'il ne les ennuyait pas - bien qu'ils disent le contraire le plus souvent. Et puis, un jour, quelque part dans la jungle, il avait simplement décidé qu'il ne voulait plus se faire de noeuds au cerveau et qu'il prendrait les gens au mot.

Ca leur apprendrait à mentir pour des bêtises et à se forcer à faire des trucs par politesse ou il ne savait quoi. Lui était du genre franc du collier même s'il n'aimait pas faire de la peine sans raison et si l'autre ne l'était pas, et bien tant pis pour lui.

C'est en partie pour cela que, malgré les signes évidents du contraire, il sourit plus largement quand son collègue soupira qu'il était évidemment extatique à l'idée de le rencontrer. Bon, d'accord, il exagérait un peu dans sa non-interprétation mais c'était tellement surfait tout ça. Comme on ne laissait pas entrer il ne s'imposa pas, tendant simplement la plante en pot à son collègue.

"C'est une dictame, pour vos potions personnelles ou pour décorer votre bureau, comme vous le souhaitez."

Il n'avait pas mis de petit noeud. Peut-être aurait-il du mais il n'avait pas imaginé rester dans le couloir comme ça. Laissant l'homme prendre la plante s'il le désirait, il continua tranquillement.

"Je suis en train de revoir l'organisation des nouvelles serres et je me disais qu'il pourrait être utile que j'en dédie un pan pour les plantes à potions dont vous pourriez avoir besoin. Dans le même temps, je pensais qu'il pourrait être intéressant que nos programmes soient parallèles voire de faire quelques cours communs et je voulais en discuter avec vous."

Il ne montrait aucune gêne, pas plus qu'il ne cherchait à imposer son point de vue. Il était très heureux de son idée, visiblement intéressé par cette notion de travail en équipe et sûr de ses propres capacités.

"Nous pouvons prendre date si vous êtes trop fatigué pour discuter ce soir cependant, je me tiens à votre entière disposition !" termina-t-il, décidé à prouver à son camarade qu'il n'était pas que un gêneur et qu'il voulait bien s'adapter à l'inconnu.

Après tout, ses soirées à lui étaient libre comme l'air. Il n'avait pas de famille, pas de vie sentimentale, pas de responsabilités autre que ses plantes.

Le Professeur Rogue montrait l'enthousiasme d'un élève collé le 24 décembre mais cela ne refroidit pas l'ancien serdaigle qui savait que sa passion pour le travail bien fait n'était pas toujours partagé par ses camarades. Son collègue et lui avaient grosso-modo le même âge - le potionniste lui semblait plus vieux - et il ne l'avait jamais repéré, ce n'était donc pas quelqu'un de sa maison. Peut-être un poufsouffle, ou un serpentard, il n'avait pas l'énergie des gryffondors. Retenant un "je vous remercie de votre immense générosité monseigneur" qu'il aurait lâché vis à vis d'un personne moins fermée, il se contenta d'apprécier l'invitation d'un signe de tête, suivant l'étrange homme en noir dans son bureau.

Pauvre élèves, ils ne devaient pas rigoler tous les jours avec un type pareil. Après, l'étude des potions était une matière rigoureuse et difficile qui demandait un grand sérieux. Ce n'était pas de la soupe que l'on faisait et peut-être que ce caractère correspondait à un style d'enseignement efficace. Il n'avait pas à juger les techniques des collègues. Tout au plus pouvait-il regretter un manque de camaraderie entre adultes.

"Quelle espèce de verveine utilisez vous pour la potion revigorante ? Je sais que la plupart des potionnistes penchent vers la Verbena officinalis qui est au final celle la plus utilisée en médecine moldue mais j'ai obtenu de bons résultats avec la Glandularia peruviana magicis, qui a un principe actif plus concentré. A ne pas confondre avec l'espère ornementale péruvienne bien sur mais vous le savez. Pour la livèche, je la cultive par éclats de souche, vous me direz si vous les préférez en semis. Le cranson officinal, j'en ai déjà. Pour le véritaserum, j'ai également des alternatives à vous proposer si vous êtes ouvert aux espèces moins endémique d'Angleterre."

Il connaissait bien évidemment les plantes qui entraient dans les préparations des deux potions et de beaucoup d'autres. Certes, il n'avait eu qu'Effort Exceptionnel à ses ASPICs mais les deux matières étaient définitivement liées...

"Je cueille en général les feuilles pour le véritaserum en nouvelle lune, si vous souhaitez un autre moment, n'hésitez pas à me le faire savoir."

Nouvelle lune car de l'obscurité vient la lumière de la vérité lui avait-on enseigné. Il aimait bien ce concept, même si en toute rigueur il aurait du faire plusieurs chaudrons de potion avec des plantes ramassées à différentes phases, sur plusieurs essais avec différents potionnistes afin d'avoir des résultats vraiment analysables.

Il sourit, conscient qu'il se faisait tester.

"Est-ce que cela vous rassure sur mes capacités, Professeur ? Je veux bien passer un test écrit mais je vous préviens, ma calligraphie a beaucoup perdu depuis mes études."

Il s'adossa à un mur et croisa les bras, toujours souriant mais guettant les expressions de son collègue. Lui aussi le testait en lançant autant d'informations d'un coup et en utilisant les noms scientifiques des plantes. Tant de potionnistes se sentaient supérieurs aux "jardiniers" sans réfléchir au fait que c'était grâce à eux que les potions fonctionnaient ou non.

Aha ! Etait-ce de la surprise qu'il avait fugacement vu passer ? Donal ne connaissait pas assez bien son collègue pour en être certain, d'autant plus que l'expression avait rapidement été remplacée par le masque qu'il semblait porter en permanence mais il décida unilatéralement qu'il avait gagné des points. Son sourire se teinta d'une pointe d'amusement ironique à l'approbation formulée du sorcier et il inclina poliment la tête.

En réalité, il appréciait toujours quand on allait dans son sens et savoir qu'il avait passé une étape de l'énigme que semblait être le potionniste était gratifiant. Il n'était pas certain d'arriver à ouvrir la porte dès le soir même évidemment. C'était un défi qu'il pouvait se permettre de relever sur le long terme.

Il aimait les défis, surtout ceux de l'esprit. Et, miracle, ne voila-t-il pas que l'homme sombre décidait de placer la discussion sur un niveau personnel ! Et bien, si on lui avait dit quand le Professeur avait ouvert la porte, il ne l'aurait pas cru. S'adossant un peu mieux contre le mur, Donal laissa ses yeux vagabonder sur le bureau tandis qu'il réfléchissait à sa réponse.

"J'ai déjà donné en post-doctorat et les chicaneries entre les différents laboratoires me fatiguent rapidement. Au moins les enfants ont-ils l'excuse de l'immaturité et de la méconnaissance du monde. J'ai passé plusieurs années à crapahuter à travers différentes jungles pour étudier les plantes dans leur environnement naturel puis...la vie je suppose. J'ai du me poser et choisir un métier avec des horaires plus compatibles avec une vie de famille. J'ai enseigné plusieurs années en Inde et quand l'heure de revenir au pays a sonné, c'est naturellement que j'ai postulé dans l'enseignement. Je suppose que si je n'avais pas été engagé je serais retourné au USE sur mes recherches sur les capacités régénérantes des algues de la mer d'Irlande."

Son sourire s'était fait plus triste. Il n'avait pas tout dit. Il ne parlait jamais de ce que tout le monde avait vécu ici, loin de lui. Des guerres. De son implication ou non sur ses répercussions dans son pays natal qui n'était pas et ne serait jamais l'angleterre. Pourtant, il n'avait pas menti une seule fois dans son discours. Secouant la tête, il reprit.

"Je dois vous avouer que l'état du Château et la perspective de pouvoir reconstruire les serres iconiques de mon enfance comme je l'entendais à eu plus de poids que la paye."

Nouveau sourire, cette fois avec l'autodérision du Serdaigle qui sait que sa passion bizarre ne sera pas partagée.

"Et vous-même ? Qu'est ce qui vous a poussé à rejoindre l'enseignement ?"

Il ne parla pas du talent qu'il ne connaissait pas, ni même du manque total d'attrait que semblait avoir son collègue sur ce rôle.