Citation :

Si on t’organise, une vie bien dirigée, où tu t’oublieras vite. Si on te fait danser, sur une musique sans âme, comme un amour qu’on quitte.

Il fait noir entre les pierres froides de la perfide Albion. C’est la nuit, le couvre feu, le silence. La solitude, enfin. Les cours n’ont pas commencé ou à peine et déjà j'en ai assez. Assez du bruit ambiant, de cette langue qui est la mienne mais qui n'est pas celle de mon coeur, de mon pays. Les choses ici sont à la fois identiques et différentes, et ça m'agace. Je ne dois pas être faite pour vivre en groupe. Alors oui, je fais illusion, bien sûr. S'adapter fait partie de mon adn. Je souris, je fais des plaisanteries, je tente de me faire des "amies". Des amies. J'ai bien vu ce que valait l'amitié quand je me suis retrouvée vraiment dans la merde.Tant pis, tant mieux. Je n'ai besoin de personne, vraiment.

J'ai enchanté mon MP3 pour pouvoir l'utiliser même dans des lieux totalement magiques. J'ai mon casque sur les oreilles et France Gall qui chante Michel Berger et je me suis eclipsée des dortoirs pour un peu de solitude. Ce que ça fait du bien d'entendre les sons familiers de mon pays d'origine ! Et cette chanson galvaudée dont personne n'écoute les paroles pourtant si importantes. Je ne sens pas le froid. Je ne suis plus seule. Je suis dans ma zone, tranquille, sans jugement, sans regard extérieur, sans rien. Je suis moi.

Citation :

Tant de liberté pour si peu de bonheur, est ce que ça vaut la peine. Si on veut t’amener à renier tes erreurs, c’est pas pour ça qu’on t’aime.

Moi, ce n'est pas la fille qui a failli tuer un gars. Moi c'st la joie, la tristesse, la peur, la violence, la colère mais aussi l'optimisme, la détermination, l'envie d'un monde meilleur. Et je sens le sol sous mes pieds nus qui dansent sans logique. Et je sais que les courants d'air jouent avec mes jambes nues dans un short de nuit qui m'arrive à mi-cuisse. Et oui, j'ai l'air idiote dans un maillot bleu blanc rouge marqué Zidane, taillé homme XL qui flotte totalement sur mon torse d'adolescente. Et alors ? Les fantômes peuvent bien me voir, ils n'en mourront pas à nouveau. Je chante dans mon micro barbie en plastique, celui que je cache sous mon lit comme on le ferait d'un sex-toy. Osef. Je décharge. Ca me fait un bien fou.

Citation :

Danse pour le début du monde, danse pour tous ceux qui ont peur, danse pour les milliers de coeurs qui ont droit au bonheur.

"Bondsoir Mademoiselle." fait maladroitement une voix grave. Surprise, je me retourne. Ca, c'est pas France ou Michel, ils n'ont pas un accent aussi poucrave. C'est un type. Le trauma veut revenir. Je croise les bras. Frissonne. La dernière fois que je me suis retrouvée dans cette position... et j'ai bêtement utilisé ma baguette comme pic à chignon.

"Wesh, t'as du mal regarder, Roger. J'ai rien d'une demoiselle et va pas croire que j'suis en détresse."

C'est un peu nul comme répartie mais il m'a prise par surprise et c'est uniquement pour poser l'ambiance de toute façon. N'approche pas, je mords. Et puis, comme j'ai pas envie qu'il s'approche plus et que je ne suis pas certaine qu'il capte quoi que ce soit à part le fameux "voulez vous coucher avec moi ce soir" j'enchaine en british.

"Les toilettes c'est à l'étage du dessus."

En vrai j'en sais rien, j'ai aucune idée d'où je suis. Contrairement à lui qui connait probablement l'endroit par coeur...

C'est officiel, il capte quedalle. Non seulement en français, ce qui serait excusable, vaguement, si j'étais de bonne humeur, mais également en anglais. J'lui ai pas demandé les chiottes, j'lui ai dit de dégager. Enfin, si les mecs de mon âge était intelligents, ça se saurait et je serais pas ici à me geler les miches. Qui a eu pour superbe idée de mettre des gamins dans un chateau de pierre perchée dans le pays le plus humide d'Europe déjà ?

Il se fache même pas. Genre il fait comme si je lui avais parlé normalement et répond calmement. Sans tenter de me faire fermer ma gueule et sans pour autant se recroqueviller. Et je ne l'ai pas remarqué avant ? Je penche la tête. Non, il ne me dit rien de rien. Si on est en cours ensemble, il doit être encore plus au fond de la classe que moi et très discret. Ca le regarde hein. Je décroise les bras. Je ne sais pas quoi foutre de mon micro ridicule. Si je le mets dans la poche de mon short, ça va tout déformer. Avant, je l'aurais fourré dans mon sous-tif mais je veux pas qu'il prenne ça pour une provocation. Je sais que je dois vaguement me tenir à carreaux quand même. Je hausse les épaules, le gardant dans ma main.

"Je veux pas spécialement faire le mur." fais-je en lui suivant quand même. Où veut-il me conduire ? Aux toilettes ? Dans un coin sombre pour m'agresser ? A mon dortoir ? Encore faudrait-il qu'il sache où il est. Peut-être que lui m'a remarqué. On n'est pas beaucoup - pas assez - de frenchies. "Faudrait vraiment être con pour s'enfuir en pleine nuit en pyjama, tu ne crois pas ?"

Puisqu'il n'a pas l'air de s'offusquer de mon agressivité, je baisse d'un ton. Ca ne veut pas dire que je ne suis pas sur mes gardes. Doucement, j'ai attrapé ma baguette, laissant mes cheveux me tomber dans le dos. Comme ça, je pourrais me défendre au besoin. Je n'ai pas vu la sienne. Elle doit être dans un étui. Ca me donne l'avantage.

"C'est un truc d'anglais le couvre feu ou quoi ? Chez moi, ça ne tiendrait pas cinq minutes. Y aurai un scandale chez les parents d'élève, un tollé chez les profs, trois grèves et quatre projets de loi. Mais vous dinez super tôt et vous vous couchez avec les poules. Et personne ne dit rien."

Cette soumission toute britannique à l'autorité me perturbe. Genre en ville, si le bonhomme n'est pas vert, personne ne traverse. En France c'était un sport national de traverser à côté des clous et en dehors de toute signalisation...

Je me sens de plus en plus nerveuse. Ca me donne envie de dire des conneries juste pour qu'on sache que je suis là et qu'on ne m'attaque pas. C'est stupide. Luttant contre cette pulsion et pour ne pas passer pour une pintade écervelée je décide donc de me taire. Il n'a qu'a faire la conversation, Monsieur je ne me présente pas.

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